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L’AEUMC : premier coup d’œil sur les principaux enjeux controversés

Fasken
Temps de lecture 13 minutes
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Bulletin Commerce International Et Droit Douanier

Après plus d'une année de négociations, le Canada, les États-Unis et le Mexique ont annoncé la signature d'un Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC), fondé sur l'accord de principe entre les États-Unis et le Mexique annoncé le 27 août 2017. Dans ce bulletin, nous abordons ce que recherchait le Canada dans le cadre de ces négociations, ce qu'il a réussi à obtenir, la manière dont certains des enjeux clés ont été résolus et les résultats des négociations pouvant avoir une incidence sur les relations commerciales du Canada avec d'autres pays.

Ce que voulait le Canada dans le cadre d'un AEUMC :

Règlement des différends

Les négociateurs canadiens souhaitaient conserver les dispositions de règlement de différends prévues au Chapitre 19 de l'ALÉNA, qui permettaient au Canada de contester les décisions des États-Unis en matière de droits « antidumping » et de subvention devant un tribunal neutre. Ce vœu fût exaucé : l'AEUMC reproduit les règles du Chapitre 19 de l'ALÉNA.

En entamant les négociations sur l'ALÉNA, le Canada désirait réformer le processus de règlement de différends entre un investisseur et un État, prévu au Chapitre 11 de l'ALÉNA, qui accordait aux investisseurs un recours auprès d'un tribunal impartial afin de contester les décisions du gouvernement qui touchaient à leurs investissements. Le Canada voulait s'assurer que le gouvernement disposait d'un droit inattaquable de réglementer dans l'intérêt public. Même s'il subsiste un débat en droit à savoir si l'ALÉNA autorise déjà ce droit, ce débat est clos : l'AEUMC ne comporte plus de processus de règlement de différends à l'instar du Chapitre 11 de l'ALÉNA entre un investisseur et un État. Les différends en matière d'investissement entre le Canada et les États-Unis devront désormais être abordés au palier des relations internationales, ou tranchés par les tribunaux de chaque pays.

Exception visant la culture canadienne

Les négociateurs canadiens souhaitaient préserver l'exception portant sur les industries culturelles du Canada, qui vise particulièrement les livres, la musique, les vidéos et la radiodiffusion. Même s'il subsiste un débat en droit à savoir s'il s'agit véritablement d'une exception ou si celle-ci est nécessaire afin de s'assurer que les industries culturelles du Canada appartiennent à des Canadiens, l'exception visant la culture a été préservée dans l'AEUMC.

Environnement

Les négociateurs canadiens souhaitaient veiller à ce qu'aucun pays membre de l'ALÉNA ne puisse diminuer la protection de l'environnement afin d'attirer des investissements. À l'instar de l'ALÉNA, l'AEUMC prévoit expressément que les pays membres reconnaissent qu'il est « inapproprié d'encourager le commerce ou l'investissement par l'affaiblissement » de la protection de l'environnement. Les négociateurs canadiens espéraient également obtenir l'adoption de règles appuyant pleinement les efforts déployés en matière de changement climatique, mais l'AEUMC n'aborde pas cet enjeu.

Tarifs sur l'acier et l'aluminium en vertu de l'article 232

Quoiqu'aucune entente n'ait été conclue en ce qui concerne le recours actuel aux mesures de sécurité nationale afin d'imposer des tarifs sur l'acier et l'aluminium en vertu de « l'article 232 », l'AEUMC prévoit, qu'à l'avenir, les États-Unis s'abstiendront d'imposer ces tarifs pendant un délai de 60 jours suivant toute décision de percevoir les tarifs. Si les parties ne parviennent pas à une solution dans ce délai, les mesures de sécurité nationale en matière de tarif pourront être mises en œuvres. L'industrie canadienne de l'automobile bénéficie d'un traitement spécial : les exportations canadiennes d'automobiles inférieures à 2,6 millions de véhicules par an sont exclues de l'application de ces tarifs. Ce chiffre est 40 % plus élevé que les niveaux actuels de production canadienne.

Ce que le Canada souhaitait obtenir dans le cadre d'un AEUMC, mais qu'il n'a pas réussi à obtenir :

Égalité entre les genres, droits autochtones et migration de gens d'affaires

En entamant les négociations sur l'ALÉNA, le Canada souhaitait rajouter de nouveaux chapitres sur l'égalité des genres et sur les droits autochtones. Le Canada voulait aussi moderniser la liste des professionnels et des gens d'affaires éligibles pour l'obtention de permis de travail, en proposant comme modèle l'AEGC, soit l'accord de libre-échange que le Canada a conclu avec l'Europe. Or, il n'y a pas de chapitres distincts dans l'AEUMC portant sur les droits autochtones ou sur l'égalité des sexes et toute nouvelle libéralisation de la mobilité transfrontalière de professionnels devra attendre sa résolution un autre jour.

Marchés publics

Le Canada désirait obtenir un meilleur accès aux marchés publics du gouvernement américain, en vantant l'AEGC comme étant une grande réussite . Même si l'AEUMC comprend un chapitre sur les marchés publics, celui-ci s'applique uniquement entre les États-Unis et le Mexique. L'accès du Canada aux marchés publics des États-Unis et du Mexique sera donc décidé selon les règles établies en vertu de l'Accord sur les marchés publics de l'OMC. Par ailleurs, l'AEUMC n'offre aucune protection au Canada contre le recours à de nouvelles règles « Buy America » (Achetez américain), qui restreignent l'accès aux marchés publics américain aux sociétés qui emploient des produits et des matériaux provenant de sources américaines.

Règles de minimis

En vertu de l'AEUMC, les consommateurs canadiens seront en mesure d'acheter de la marchandise jusqu'à concurrence d'une valeur de 150 $ CA, au lieu des 20 $ CA actuels, sans payer de droits douaniers sur la valeur de leur achat. Les Canadiens doivent payer la taxe de la vente sur tout achat ayant une valeur de plus de 40 $ CA.

Comment les autres enjeux furent résolus

Produits laitiers

L'AEUMC aura pour effet d'éliminer le système canadien de fixation des prix selon les Classes 6 et 7 dans les six mois suivant l'entrée en vigueur de l'accord. Les produits visés par les Classes 6 et 7 comprennent les concentrés de protéines laitières, la poudre de lait écrémé et le lait maternisé, ainsi que les solides non gras du lait servant à fabriquer ces produits. Le prix de ces solides non gras du lait sera fondé sur le prix du lait écrémé en poudre aux États-Unis.

En outre, le Canada a convenu de limiter l'exportation de ces produits laitiers. Par exemple, le lait écrémé en poudre et les concentrés de protéines laitières seront sujets à un plafond de 55 000 tonnes métriques au cours de la première année de l'accord. Ce plafond diminuera à 35 000 tonnes métriques au cours de la deuxième année. Les exportations dépassant ce seuil se verront imposer une surtaxe de 0,54 $ CA. Les plafonds augmenteront de 1,2 % par an.

Canada offrira aussi de nouveaux contingents tarifaires, occasionnant un meilleur accès au marché pour une panoplie d'autres produits assujettis à la gestion de l'offre en provenance des États-Unis. Par exemple, le nombre intracontingent pour le fromage passe à 12 500 tonnes et augmentera par la suite de 1 % par an pour les 13 prochaines années. L'accès au marché pour la volaille et les œufs sera également accru. Par exemple, le nombre intracontingent pour le poulet augmentera à 57 000 mégatonnes lors de la sixième année de l'accord et augmentera de 1 % par an pour les 10 années qui suivent.

Règles d'origine pour les automobiles :

Pour être admissible au traitement « hors-taxe » en vertu de l'AEUMC, 75 % d'un véhicule donné doit provenir de l'Amérique du Nord. Il s'agit d'une augmentation de 12,5 % par rapport aux règles actuelles en vertu de l'ALÉNA. Les règles entreront en vigueur progressivement, en commençant par 66 % le 1er janvier 2020, ou à la date d'entrée en vigueur de l'accord, pour augmenter à 75 % en 2023. L'accord précise, en outre, que 70 % de l'acier et de l'aluminium utilisé doit provenir de l'Amérique du Nord pour qu'un véhicule soit classé comme étant en provenance de l'Amérique du Nord. L'AEUMC exige également que 40 % d'un véhicule donné soit fabriqué par des ouvriers gagnant au moins 16 $ de l'heure afin d'être admissible comme véhicule en provenance de l'Amérique du Nord. Des sous-règlements précisent les seuils maximaux et minimaux pour les catégories de dépenses que le travail hautement rémunéré doit ou ne doit pas excéder. Ces règles entreront en vigueur progressivement à compter de la date d'entrée en vigueur de l'accord, ou du 1er janvier 2020 jusqu'au 1er janvier 2023.

Un ajout inattendu

L'AEUMC rajoute une exigence selon laquelle un pays membre comptant négocier un accord de libre-échange avec un pays à l'économie dirigée (« non-market country ») doit d'abord en aviser les deux autres. L'AEUMC définit un pays à l'économie dirigée comme étant un pays qui, à la date de signature de l'accord, fût désigné par au moins un des trois pays comme étant une économie dirigée aux fins de ses lois en matière de recours commerciaux et avec lequel aucun des trois pays n'a actuellement d'accord de libre-échange. La Chine est visée par cette définition. Le membre négociateur doit offrir aux autres membres la possibilité d'examiner le texte intégral de l'accord dans les 30 jours qui précèdent sa signature. La conclusion d'un tel accord de libre-échange autorise les autres membres à mettre fin à l'AEUMC, moyennant un préavis de 6 mois, et à le remplacer par un accord bilatéral, à leur discrétion.

Les prochaines étapes

La loi des États-Unis exige que le libellé de l'AEUMC soit publié 60 jours avant sa signature, délai au cours duquel le Congrès peut examiner et soit approuver ou rejeter l'accord. En supposant que le Congrès donne son aval à l'accord, les trois chefs d'État doivent le signer avant le 1er décembre 2018, soit le dernier jour de la présidence mexicaine actuelle. Une fois l'accord signé, chaque pays doit adopter une loi interne pour donner effet aux dispositions de l'accord.

Observations

Nombre d'autres sujets sont visés par l'AEUMC, notamment : le commerce numérique, la propriété intellectuelle et des services susceptibles d'avoir une incidence importante sur les sociétés et la façon dont elles exercent leurs activités. S'il y a un conseil en particulier valant la peine d'être mentionné, c'est le suivant : lisez attentivement les règles et assurez-vous de les comprendre. Même si les reportages dans les médias affirment que pas grand-chose n'a changé aux termes de l'AEUMC, cela n'est pas vrai. L'AEUMC a transformé le paysage du commerce et de l'investissement en Amérique du Nord. Il est primordial que les sociétés comprennent ce nouveau régime régissant le commerce et l'investissement. Les sociétés doivent se garder de présumer qu'il est possible de se fier à ce qui a été fait par le passé afin de se conformer à ce nouveau contexte juridique et commercial.

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Auteurs

  • Clifford Sosnow, Associé, Toronto, ON | Ottawa, ON, +1 613 696 6876, csosnow@fasken.com
  • Peter E. Kirby, Consultant, Montréal, QC, +1 514 397 4385, pkirby@fasken.com