Le 15 février 2012, la Commission de réforme des services publics de l'Ontario (la « Commission ») a déposé son rapport bien attendu, lequel est intitulé Des services publics pour la population ontarienne : Cap sur la viabilité et l'excellence (le « rapport Drummond »)[1]. Les recommandations que propose le rapport Drummond pourraient modifier de façon fondamentale l'organisation du système de santé publique, l'allocation du financement provincial, et les moyens par lesquels les soins sont dispensés aux patients. Le rapport Drummond pourrait ainsi constituer un point tournant du système des soins de la santé de l'Ontario. Cependant, l'importance des conséquences du rapport Drummond dépendra en grande partie de la réaction du gouvernement provincial à son égard, à savoir plus particulièrement s'il accepte ou rejette les recommandations qui y sont formulées.
Contexte du rapport Drummond
La Commission a été établie au printemps de 2011 par le gouvernement provincial, avant la tenue des plus récentes élections provinciales. Le rapport Drummond avait pour objectif déclaré de fournir des recommandations au gouvernement provincial en vue d'éliminer le déficit provincial et d'atteindre l'équilibre budgétaire d'ici 2017-2018. Bien que le rapport Drummond cherche à atteindre cet objectif en proposant des mesures permettant de réduire les coûts dans l'ensemble des secteurs d'activité provinciaux, le lourd fardeau des coûts associés aux soins de la santé fait l'objet de bon nombre de recommandations. Ces recommandations visent en général à établir des mesures d'efficience et à supprimer des dépenses inutiles dans le système actuel, ce qui n'est pas surprenant compte tenu du fait que la Commission avait pour mandat particulier de ne pas proposer des recommandations qui mèneraient à la privatisation des soins de la santé[2]. Quoi qu'il en soit, le rapport propose d'importants changements au secteur public des soins de la santé, présentant de nouvelles occasions et de nouveaux défis aux fournisseurs de ce secteur.
Questions fiscales
Avant le dépôt du rapport Drummond, le gouvernement provincial prévoyait déjà limiter à 3 % l'augmentation annuelle des dépenses en matière de santé. Cependant, le rapport propose de maintenir à 0,8 % la croissance annuelle des dépenses dans l'ensemble des secteurs[3], et de plafonner la croissance annuelle du budget du gouvernement en santé à 2,5 % jusqu'en 2017‑2018[4]. Même si ces recommandations auraient sans doute des répercussions sur l'ensemble des décisions éventuelles concernant les dépenses en santé, elles auront une pertinence certaine dans le cadre des négociations en cours entre le ministère de la Santé et des Soins de longue durée (le « ministère ») et l'Ontario Medical Association portant sur la rémunération des médecins par l'intermédiaire de l'Assurance-santé de l'Ontario[5].
Soins centrés sur le patient : recours accru aux soins à domicile et intégration des soins primaires
Un certain nombre de recommandations du rapport Drummond ciblent les « soins centrés sur le patient », proposant la mise en place de systèmes coordonnés et intégrés au sein des divers milieux où sont dispensés les soins de la santé. L'objectif ultime consiste à maximiser les efforts destinés à la prévention des maladies qui mènent à l'hospitalisation, afin de réduire les coûts des soins de la santé et d'améliorer le bien-être général du patient.
Selon le rapport Drummond, l'objectif visant à réduire l'hospitalisation pourrait être atteint en partie en ayant davantage recours aux soins à domicile[6]. Un certain nombre de recommandations reposent sur la prestation de soins à domicile, notamment les recommandations portant sur les coûts associés à la prestation de soins auprès de la population vieillissante[7], le recours aux télésoins à domicile pour les patients ayant des maladies chroniques graves[8] et ceux se trouvant dans des collectivités éloignées[9], et le rôle accru des ressources au palier communautaire[10]. Le rapport Drummond soutient que ces changements proposés créeraient des occasions permettant aux travailleurs de la santé de fournir des services à la fois souples et adaptés aux besoins des patients.
Toujours dans l'espoir de réduire au minimum l'hospitalisation des patients, il y a de fortes chances que les soins de la santé en milieu familial seront davantage intégrés au modèle de soins de santé communautaires. Le rapport Drummond recommande notamment que les fournisseurs de soins primaires reçoivent le mandat de suivre leurs patients à mesure qu'ils progressent dans le système intégré de soins de santé (y compris durant leur hospitalisation)[11]. De plus, les centres d'accès aux soins communautaires et les équipes de santé familiale sont nommés dans le rapport comme étant des systèmes qui devraient être appelés à jouer un rôle accru dans la prestation générale des soins de la santé[12]. Ces changements cadreraient avec le « Plan d'action de l'Ontario en matière de soins de santé » (le « Plan d'action »), annoncé précédemment par le ministre de la Santé et des Soins de longue durée (le « ministre »)[13]. Ce plan propose l'intégration des équipes de santé familiale aux réseaux locaux d'intégration des services de santé[14].
Élargissement des champs d'activités
Toujours dans la visée de vouloir réduire les coûts, le rapport propose que certains services soient fournis par des praticiens de la santé dont les honoraires sont moins élevés, lorsque c'est possible. Le rapport propose plus particulièrement que certaines responsabilités (notamment des interventions comme les vaccinations) passent des médecins aux infirmières et infirmiers, ainsi qu'aux adjoints aux médecins[15], et que les réseaux locaux d'intégration des services de santé jouent un rôle accru de manière à encourager les hôpitaux à mettre à contribution toute l'étendue du champ d'activité de leur personnel[16].
En mettant l'accent sur la pleine mise à contribution du champ d'activité des membres des professions de la santé réglementées travaillant dans les hôpitaux, le rapport Drummond pourrait ainsi ouvrir le débat relativement à la redéfinition du champ d'activité de certains praticiens. Le rapport propose notamment que le champ d'exercice des pharmaciens soit élargi[17], et que le gouvernement provincial joue un rôle plus actif, en collaboration avec les ordres professionnels, en ce qui concerne la prise de décisions visant le champ d'activité des professionnels de la santé[18]. Ces changements présenteraient à l'ensemble des professionnels de la santé une occasion remarquable de passer en revue leur champ d'exercice afin de : (i) s'assurer qu'ils mettent à contribution toute l'étendue de leur champ d'activité au sein d'un secteur en pleine évolution; (ii) repérer les pratiques pouvant servir à élargir leur champ d'activité actuel.
Cliniques communautaires
Le rapport Drummond aura pour conséquence probable d'encourager davantage le recours aux services des cliniques communautaires spécialisées pour ce qui est des interventions ne nécessitant pas des traitements en milieu hospitalier[19]. Bien que cette recommandation cadre en partie avec le Plan d'action, elle présente toutefois une importante différence. Le Plan d'action précisait que ces cliniques devaient être sans but lucratif, tandis que le rapport Drummond envisage la possibilité de cliniques privées à but lucratif dont les services seraient payés aux termes du système du payeur public[20]. Bien que les détails relativement aux interventions pratiquées dans de telles cliniques n'ont pas encore été divulgués, les interventions dont les occurrences sont fréquentes (telles que la visualisation diagnostique, la dialyse, les mammographies, les colonoscopies, la chirurgie de la cataracte, et le remplacement de la hanche et du genou) seraient sans doute ciblées par cette recommandation.
Les paradigmes du financement
Le rapport Drummond soulève également un certain nombre de pratiques non efficientes qui ont pris forme dans le système actuel en raison des modèles de financement en vigueur. Certaines recommandations proposent que le financement soit versé davantage en fonction de la qualité des services dispensés par le fournisseur approprié (qu'il s'agisse de traitements assurés par l'Assurance-santé de l'Ontario ou d'autres questions liées au financement) plutôt qu'en fonction de la quantité des services fournis.
Le rapport ne propose pas que des interventions particulières cessent d'être assurées par l'Assurance-santé de l'Ontario. Cependant, advenant que certaines recommandations soient acceptées, la manière dont certaines interventions seraient couvertes par le régime d'assurance public pourrait faire l'objet de modifications. Le changement le plus important serait l'élargissement du mandat de Qualité des services de santé Ontario. Celui-ci deviendrait un organisme de réglementation chargé de mettre en application des directives fondées sur des preuves pour orienter les décisions en matière de traitement et les interventions assurées par l'Assurance-santé de l'Ontario. Selon le rapport, ce changement de mandat ferait en sorte que le financement des traitements serait fondé sur des preuves attestant de la nécessité des interventions visées.[21]
Un certain nombre de recommandations encouragent également l'utilisation du Modèle d'allocation fondée sur la santé (le « MAS »)[22] pour une meilleure allocation des ressources dans le système. Le MAS aurait recours au financement différentiel des services fournis dans les différentes régions[23], établirait la rémunération appropriée pour les interventions (plutôt que la pratique actuelle d'utiliser les coûts moyens pour fixer les paiements aux hôpitaux)[24], et éliminerait les incitatifs contre-productifs qui minent la qualité et l'efficience des soins[25].
Conclusion
Le rapport Drummond propose que d'importantes modifications soient apportées aux services de soins de la santé en Ontario. Or, on ne peut savoir pour l'instant si le gouvernement provincial adoptera, en tout ou en partie, les recommandations faites. Bien qu'un certain nombre de ces dernières cadrent avec des initiatives annoncées précédemment par le gouvernement provincial, certaines de ces recommandations entraîneraient des mesures de compression des coûts qui risquent de ne pas être populaires d'un point de vue politique. Quoi qu'il en soit, les services de santé publique de l'Ontario seront appelés à changer significativement dans un avenir proche. Les fournisseurs de services dans tous les secteurs liés aux soins de la santé auraient avantage à se préparer à ces changements, pour pouvoir en tirer pleinement partie.
[1] Ontario, la Commission de la réforme des services publics de l'Ontario, Des services publics pour la population ontarienne : Cap sur la viabilité et l'excellence (Toronto : Imprimeur de la Reine pour l'Ontario, 2012) (président : Don Drummond). Ce rapport porte communément le nom « rapport Drummond » en raison du président de la Commission, Don Drummond, ancien premier vice-président et économiste en chef de La Banque Toronto-Dominion.
[2] Ibid, p. 11
[3] Ibid, pp. 101-102.
[4] Ibid, recommandation 5-6, p. 175. Après 2017-18, les hausses annuelles des coûts de santé seraient limitées tout au plus à 5 %.
[5] Ibid, recommandation 5-60, p. 188, laquelle propose spécifiquement de « ne prévoir aucune hausse de la rémunération totale » dans le cadre des négociations.
[6] Voir, ibid, recommandations 5-3 et 5-4, p. 174, et 5-52, p. 187.
[7] Ibid, recommandation 5-26, p. 181.
[8] Ibid, recommandation 5-40, p. 183.
[9] Ibid, recommandation 5-71, p. 191.
[10] Ibid, recommandation 5-74, p. 191.
[11] Ibid, recommandation 5-32, p. 182.
[12] Ibid, recommandations 5-33, p. 183 et 5-62, p. 189.
[13] Ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l'Ontario, Plan d'action de l'Ontario en matière de soins de santé : De meilleurs soins aux patients grâce à un meilleur rendement de nos dollars investis en santé (Toronto : Imprimeur de la Reine pour l'Ontario, 2012).
[14] Ibid, p. 9.
[15] Supra note 1, recommandation 5-18, p. 180.
[16] Ibid, recommandation 5-23, p. 181.
[17] Ibid, recommandations 5-24, p. 182 et 5-94, p. 198.
[18] Ibid, recommandation 5-19, p. 181.
[19] Ibid, recommandation 5-97, p. 199.
[20] Supra note 13, p. 13. Le rapport Drummond, ibid propose que le modèle de services comprenne la prestation de services par des cliniques privées à but lucratif.
[21] Supra note 1, recommandation 5-46, p. 186.
[22] Le MAS est un outil pour l'allocation du financement des services de santé dans les collectivités de la province. Les allocations estiment la demande et le coût de ces services en se fondant sur des données cliniques et démographiques telles que l'âge, l'état de santé, la circulation des patients et la géographie rurale.
[23] Supra note 1, recommandation 5-17, p. 179.
[24] Ibid, recommandation 5-50, p. 186.
[25] Ibid, recommandations 5-72 et 5-73, p. 191.