On remarque depuis plusieurs années l'intérêt que démontrent plusieurs sociétés ouvertes à se départir de leurs activités commerciales qui ne font pas partie de leurs activités principales ou qu'il conviendrait mieux qu'elles soient la propriété d'une société ouverte distincte, pour des raisons comme le fait que leur valeur réelle ne transparaît pas dans le cadre d'un conglomérat[1]. L'une des façons d'effectuer une telle opération consisterait à conclure une vente, sans lien de dépendance, des activités dont une société souhaite se départir (aux présentes, les « activités secondaires ») et à distribuer le produit net tiré de la vente aux actionnaires de la société (sauf si un tel produit est jugé nécessaire au soutien des activités principales). Toutefois, procéder de cette façon comporte au moins trois désavantages :
1. le processus pour trouver un acheteur prêt à payer un prix acceptable peut demander beaucoup de temps et être très couteux;
2. une telle vente et une telle distribution font en sorte en règle générale que la société et les actionnaires se retrouvent exposés à un impôt important, compte tenu du prix de base des actifs de l'entreprise qui est vendue et des comptes de capital-actions aux fins fiscales;
3. les actionnaires de la société qui souhaitent continuer d'investir dans des activités secondaires perdent la possibilité de le faire autrement qu'en investissant dans la société acquéreur, ce qui pourrait ne pas être possible.
Comme solution de rechange à la vente à un tiers, une société (aux présentes, « Pubco ») peut procéder à une forme de scission-distribution de l'entreprise de manière à minimiser le coût fiscal pour Pubco et les actionnaires, et permettre à ces derniers de continuer de détenir leur participation proportionnelle dans la société (« Subco ») qui est propriétaire des activités secondaires[2] Il existe deux façons pour accomplir une scission-distribution et qui ont été explorées au cours des dernières années par diverses sociétés ouvertes au Canada, soit : l'opération de scission-distribution dite « transaction papillon » et la distribution au moyen d'un dividende en nature et/ou la réduction du capital aux actionnaires de Pubco des actions de Subco. La transaction papillon de scission-distribution est assujettie à un certain nombre de règles techniques complexes qui doivent être observées avant la scission-distribution papillon, dans le cadre de celle-ci et après celle-ci. Les détails de ces règles dépassent l'objet du présent article qui vise simplement à présenter la structure principale d'une transaction papillon ouverte lorsque toutes ces règles ont été respectées. La scission-distribution par voie de transaction papillon d'une société ouverte est effectuée habituellement dans le cadre d'un arrangement sanctionné par un tribunal en vertu des lois sur les sociétés applicables (l'« arrangement »). Aux termes de l'arrangement, les actionnaires de Pubco cèdent, par roulement, à une nouvelle société canadienne (« Newco ») des actions de Pubco d'une valeur égale à la valeur des actions de Subco pour des actions de Newco, et, au moyen d'une série d'opérations qui ne donnent pas lieu à un impôt immédiat en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi »), Pubco cède les actions de Subco à Newco contre des actions privilégiées rachetables et remboursables (« actions privilégiées de Newco »), également par roulement. L'actionnariat entre Pubco et Newco est annulé par le rachat des actions intersociétés à leur juste valeur marchande et l'émission de billets à ordre payables sur demande et ne portant pas intérêt par le rachat des actions privilégiées de Newco détenues par Pubco, et le rachat des actions de Pubco. L'émission des billets à ordre donne lieu à des dividendes intersociétés libre d'impôt, et les billets à ordre sont acquittés par compensation. Les actions de Newco sont inscrites à une bourse de valeurs appropriée de sorte qu'à la réalisation de l'arrangement, les actionnaires de Pubco détiendront des actions dans Pubco qui continue d'être propriétaire des activités principales, et des actions de la nouvelle société ouverte, Newco, qui est propriétaire de toutes les actions de Subco, qui exerce les activités qui ont fait l'objet d'une scission-distribution.
L'avantage de la transaction papillon réside dans le fait que si elle est effectuée en conformité avec les règles de la Loi, aucun impôt ne sera payable par Pubco ou les actionnaires. On peut demander une décision anticipée en matière d'impôt sur le revenu auprès de l'Agence du revenu du Canada (ARC) relativement à la scission-distribution proposée.
Les désavantages d'une transaction papillon comprennent le fait que Pubco ne reçoit aucun produit de disposition des activités cédées, et le fait que le processus de scission-distribution peut être relativement coûteux et entraîner des retards particulièrement dans le cas où une décision anticipée en matière d'impôt sur le revenu est demandée.
Un dividende en nature des actions de Subco aux actionnaires de Pubco peut être effectué rapidement et n'exige, pas en règle générale, l'approbation des actionnaires[3]. Toutefois, aux termes de cette option, Pubco sera réputée avoir disposé des actions de Subco pour un produit égal à leur juste valeur marchande, entraînant ainsi la possibilité de réalisation d'un gain en capital, et les actionnaires seront considérés avoir reçu un dividende imposable d'un montant correspondant à la juste valeur marchande des actions de Subco reçues.
Si Pubco choisit de vendre Subco à un tiers et de distribuer le produit après impôt à ses actionnaires, une solution de rechange au paiement d'un dividende consiste à distribuer le produit net de la vente par voie de réduction du capital des actions de Pubco, dans la mesure où ces actions ont un capital versé important, et en tenant compte de l'exception du paragraphe 84(4.1) de la Loi pour les distributions de capital des sociétés ouvertes dans le cadre d'une réorganisation (les dispositions de ce paragraphe seront modifiées par les modifications techniques du 24 octobre 2012 (les « modifications techniques »))[4]. Les modifications techniques prévoient une exception à la règle générale voulant qu'une distribution au moyen d'une réduction du capital par une société ouverte à ses actionnaires soit réputée être un dividende imposable. Les modifications techniques accroitront le nombre de situations où une distribution au moyen d'une réduction du capital n'est pas réputée être un dividende, pour inclure ainsi une distribution où il est raisonnable de considérer que la distribution provient du produit réalisé dans le cadre d'une opération qui ne s'est pas produite dans le cours normal des activités de distribution de la société et qui a été réalisée dans les 24 mois avant cette distribution.
Scission-distribution au moyen d'un placement de droits
Le placement de droits constitue la quatrième façon d'effectuer une scission-distribution d'une société ouverte. Dans cette situation, les droits (« droits ») d'achat d'actions ordinaires de Subco (« actions de Subco ») à un prix déterminé sont émis, au prorata, aux actionnaires de Pubco. En règle générale, les droits comportaient une période d'expiration plutôt courte conformément à leurs objectifs. Si Subco est une société ouverte dont une partie des actions se négocient sur une bourse nord-américaine, elle possèderait déjà d'une image publique et une valeur de négociation pour ses actions. Bien que cela aide sans doute à la réussite d'un placement de droits des actions de Subco, un placement de droits pour une filiale fermée serait également possible. Dans les deux cas, les droits doivent être émis aux termes d'un prospectus renfermant l'information détaillée habituelle prévue dans ce document.
La réorganisation de la scission-distribution effectuée au moyen d'un placement de droits comporte certains avantages par rapport aux trois autres méthodes dans les situations appropriées suivantes :
(a) en disposant des actions de Subco au moyen de l'exercice de droits, Pubco touche le paiement du prix d'exercice de ces droits, ce qui peut donner lieu à la réception d'un montant important pouvant être affecté à ses activités principales et au paiement des impôts découlant de la disposition;
(b) les actionnaires de Pubco ont la possibilité de conserver intégralement leur investissement indirect au prorata dans Subco en exerçant leurs droits à un prix équitable;
(c) si, selon leurs modalités, les droits sont de courte durée et peuvent être exercés pour un prix qui est égal ou supérieur à la juste valeur marchande des actions de Subco au moment de leur émission, les actionnaires de Subco auront à inclure un montant nul ou négligeable dans le calcul de leur revenu suite à l'émission de droits.
Un inconvénient important pour Pubco réside dans le fait que la disposition d'actions de Subco aux termes de l'exercice des droits et le paiement du prix d'exercice constituera une disposition imposable et par conséquent la « scission-distribution au moyen d'un placement de droits » serait intéressante pour Pubco que si celle-ci a un prix de base relativement élevé dans les actions de Subco, ou qu'elle est en mesure de réduire l'impôt sur le gain en capital, par exemple, lorsque elle a des pertes en capital nettes. Dans un tel cas, le placement de droits, s'il est réussi, procurera à Pubco un produit liquide pour les actions de Subco dans un délai relativement court. Afin de garantir que Pubco touchera un montant minimum pour les actions de Subco ou de garantir la disposition complète des actions de Subco, Pubco peut contracter une certaine forme d'engagement de sauvegarde (« engagement de sauvegarde »). Un tel engagement de sauvegarde constitue un engagement d'acquérir auprès de Pubco toutes les actions de Subco pour lesquelles les droits expirent sans être exercés, au prix d'exercice stipulé dans les droits. En règle générale, l'engagement de sauvegarde se ferait avec une société liée faisant partie du même groupe de sociétés.
Le désavantage pour les actionnaires réside dans le fait qu'ils doivent payer au comptant la juste valeur marchande complète des actions de Subco acquises suite à l'exercice des droits.
Incidences fiscales canadiennes
Lorsqu'une société canadienne telle que Pubco distribue aux détenteurs de ses actions ordinaires des droits permettant d'acquérir des actions d'une deuxième société, Subco, au prorata, cette distribution constitue un avantage imposable pour un actionnaire d'un montant égal à la juste valeur marchande des droits ainsi distribués. Une exception bien connue à cette règle s'applique uniquement lorsque les droits visent à acquérir des action ordinaires de la société émettrice.
Dans la mesure où le prix d'exercice des droits n'est pas inférieur à la juste valeur marchande des actions de Subco pour lesquelles les droits peuvent être exercés, la juste valeur marchande des droits devrait être, en règle générale, négligeable compte tenu de la courte période au cours de laquelle ils doivent être exercées avant qu'ils n'expirent. L'exercice d'un tel droit pour acquérir des actions de Subco constitue un roulement en vertu du paragraphe 49(3) de la Loi pour un actionnaire qui a acquis les droits à titre d'immobilisations. Tout montant devant être inclus dans le calcul du revenu à la suite de la réception des droits sera ajouté au prix de base des actions de Subco acquises.
Sous réserve de l'inclusion dans leur revenu d'un montant relativement bas à l'égard de l'émission des droits, un placement de droits, tel qu'il est prévu ci-dessus, permet aux actionnaires des actions ordinaires de Pubco de conserver leur participation sous-jacente proportionnelle dans Subco et ses activités au moyen de l'exercice des droits et du paiement du prix d'exercice. Suivant l'exercice des droits, le détenteur sera propriétaire des titres négociés en bourse de deux sociétés : les actions de Subco acquises suite à l'exercice des droits et la participation résiduelle du porteur dans les actions ordinaires de Pubco.
Dans la mesure où les droits sont exercés, un tel placement de droits procurera à Pubco une contrepartie pour ses actions de Subco qu'elle n'aurait pas reçue aux termes de la transaction papillon ou la transaction de dividende en nature. Toutefois, il faut souligner que sans un engagement de sauvegarde, tel qu'il est décrit ci-dessus, qui garantit la disposition finale de toutes les actions de Subco détenues par Pubco, y compris celles pour lesquelles les droits expirent sans être exercés, Pubco n'est pas en mesure de garantir la disposition complète de sa participation dans Subco, ce qui pourrait constituer un important inconvénient selon les circonstances.
[1] Parmi des exemples récents mentionnons : (1) la scission-distribution par ConocoPhillips de la totalité de ses actions ordinaires de Phillips 66 en vigueur qui a pris effet le 30 avril 2012 et aux termes de laquelle les activités « en aval » de Phillip 66, y compris la fabrication et le traitement des produits pétrochimiques et le raffinage du pétrole brut, ont fait l'objet d'une scission-distribution en franchise d'impôt pour les actionnaires, aux fins de l'impôt des États-Unis, aux termes d'une lettre de décision privée de la IRS; (2) la scission-distribution de Kraft Foods Inc. de ses activités nord-américaines d'épicerie, aux termes de laquelle, à partir du 1er octobre 2012, chaque actionnaire de Kraft Foods Inc. (KFT) a reçu une action de la société commerciale alimentaire nord-américaine, Kraft Foods Group Inc., pour chaque trois actions de KFT et la société originale a été renommée et transformée, entre autres, en entreprise nord-américaine de confiserie et de collations et; (3) au Canada, la scission-distribution par Encana Corporation, société de gaz naturel non diversifiée, de Cenovus Energy Inc., société de pétrole intégrée concentrée sur la récupération assistée des hydrocarbures, qui est entrée en vigueur le 30 novembre 2009 aux termes d'un plan d'arrangement approuvé à l'assemblée des actionnaires d'Encana qui a eu lieu le 25 novembre 2009.
[2] Il est présumé aux présentes que l'entreprise devant faire l'objet d'une scission-distribution est la propriété d'une société canadienne, soit historiquement ou en raison du roulement prévu à l'article 85 d'une telle entreprise par Pubco à une société canadienne.
[3] Voir Electrohome Ltd., Re (1998), 40 B.L.R. (2d) 210, 4 C.B.R. (4th) 239 (Ont. Gen. Div. [Commercial List]); Hovsepian v. Westfair Foods Ltd., 37 B.L.R. (3d) 78, 2003 ABQB 641 (Alta. Q.B.).
[4] Le projet de loi C-28, Loi de 2012 apportant des modifications techniques concernant l'impôt et les taxes, a été adopté en première lecture à la Chambre des communes le 21 novembre 2012.