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Protocole modifiant le traité fiscal entre le Canada et le Royaume-Uni

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Bulletin Fiscalité

Après près de trois ans de négociations, une entente est intervenue afin de modifier la Convention fiscale entre le Canada et le Royaume-Uni (le « traité »). Le processus a débuté en octobre 2011 à Ottawa et s'est conclu par la signature à Londres le 21 juillet 2014 d'un protocole modifiant le traité (le « protocole »). La présente entente constitue le quatrième protocole modifiant le traité qui avait été signé la première fois le 8 septembre 1979, et dont le dernier protocole signé remontait au 7 mai 2003.

Le protocole renferme 16 articles modifiant le traité et comprend également un « protocole interprétatif » qui régit l'interprétation de certains termes utilisés dans le traité. Cet article abordera certains faits saillants du protocole et exposera les répercussions de ces dispositions sur les enjeux fiscaux transfrontaliers entre le Canada et le Royaume-Uni.

Sociétés de personnes

L'article 3 (Définitions générales) du traité renfermait une définition du mot « personne » qui excluait expressément les sociétés de personnes. Le protocole a modifié cette définition pour faire en sorte qu'une société de personnes est maintenant considérée une personne pour les fins du traité. Cette modification permettra au traité d'être plus conforme au modèle de convention fiscale de l'OCDE (le « modèle de traité de l'OCDE »).

De plus, le protocole d'interprétation comprend une disposition qui s'applique aux sociétés à responsabilité limitée du Royaume-Uni (« SRL du R.-U. »). Une SRL du R.-U. constitue une entité relativement inhabituelle du fait qu'elle est, en vertu du droit général, constituée en « personne morale »; par contre, lorsqu'elle exerce des activités commerciales, professionnelles ou d'affaires dans le but de retirer des bénéfices, ses activités sont généralement traitées comme étant exercées par ses membres (plutôt que par la SRL du R.-U. elle-même), même si ce traitement « transparent » ne s'applique pas, par exemple, dans le cas d'une dissolution d'une SRL du R.-U. À cet égard, le protocole d'interprétation précise que le revenu ou les gains d'une SRL du R.-U., dont le siège de direction effective est situé au Royaume-Uni et qui est considérée comme étant transparente sur le plan fiscal aux fins d'imposition par le Royaume-Uni, seront considérés comme étant un revenu ou des gains des associés de la SRL, mais uniquement dans la mesure où ils sont considérés, aux fins d'imposition par le Royaume-Uni, comme étant le revenu ou les gains d'un résident du Royaume-Uni. Cette disposition interprétative a pour effet, entre autres, qu'une SRL du R.-U. pourrait par ailleurs être considérée comme une société pour les fins de l'impôt canadien malgré le fait qu'elle puisse être transparente sur le plan fiscal aux fins de l'impôt du Royaume-Uni; en effet, nous comprenons que la Direction des décisions de l'Agence du revenu du Canada en serait venue à cette conclusion dans le cadre d'une demande de décision anticipée en matière d'impôts. Le protocole d'interprétation permet à l'Agence du revenu du Canada et à HM Revenue and Customs du Royaume-Uni de se consulter afin de s'entendre sur l'application du paragraphe, ce qui obligera les contribuables de tenir compte de l'incertitude qui se produit lorsque l'application d'un traité peut dépendre en bout de ligne de discussions entre les autorités fiscales auxquelles le contribuable n'est pas partie.

Résidence de la société

Le protocole modifie également l'article 4 (Résidence) en ajoutant le « lieu de constitution », comme raison d'assujettir une personne à l'impôt et d'être par conséquent considérée un résident d'un État contractant. Malheureusement, le protocole n'a pas ajouté une règle de départage de la résidence d'une société semblable à celle du paragraphe 3 de l'article IV du traité fiscal entre le Canada et les États-Unis (le « traité des États-Unis ») qui établit qu'une société qui est réputée autrement résident des deux États contractants est un résident uniquement de l'État contractant où elle est constituée. Les règles de départage assurent une plus grande certitude pour les contribuables qui s'en remettent aux possibilités offertes par le traité.

Bénéfices des entreprises

L'article actuel du traité sur les « bénéfices des entreprises » est identique pour l'essentiel au modèle de traité de l'OCDE avant 2010 et le protocole remplace cet article par une nouvelle version qui est généralement la même que l'article sur les « bénéfices des entreprises » du modèle de traité de l'OCDE de 2010.

Entreprises associées

Les dispositions du traité qui ont pour but de s'appliquer afin d'éviter la double imposition dans le contexte d'un ajustement des prix de transfert ont également été modifiées par le protocole. Plus particulièrement, l'exigence actuelle d'aviser les autorités compétentes dans les six ans de la fin d'une année d'imposition (Canada) ou d'une période imputable (Royaume-Uni) à laquelle l'ajustement se rapporte a été supprimée. En remplacement, le protocole prévoit qu'un État contractant ne peut procéder à un « ajustement principal » des bénéfices d'une entreprise après l'expiration de huit ans à compter de la fin de l'année imposable visée. Comme le protocole est silencieux sur la question des « ajustements secondaires » (c'est-à-dire la retenue à la source imposée aux non-résidents en raison de l'ajustement des prix de transfert aux contribuables résidents), il semble qu'un État contractant n'est pas assujetti à des délais prescrits en vertu du traité à l'égard de la cotisation des ajustements secondaires.

L'utilisation du terme « ajustement principal » dans les traités fiscaux au Canada est apparue pour la première fois dans le traité fiscal entre le Canada et Hong Kong et pourrait maintenant faire partie de la politique des traités fiscaux du Canada. Les délais prescrits applicables aux ajustements secondaires en vertu du traité fiscal entre le Canada et le Luxembourg ont été examinés dernièrement dans l'affaire McKesson Canada Corporation c. La Reine.[1]

Intérêts

Le protocole remplace l'article 11 (Intérêts) dans son intégralité. Le changement le plus important vise l'introduction d'une exonération d'impôt sur les intérêts provenant d'un État contractant qui sont payés à un résident de l'autre État contractant lorsque le bénéficiaire est le bénéficiaire effectif des intérêts et que celui-ci n'a aucun lien de dépendance avec le débiteur des intérêts.

Le protocole interprétatif impose une restriction importante à la portée de cette exonération pour ce qui suit :

  • aux fins d'imposition pour le Canada, la question de savoir si des personnes ont ou non entre elles un lien de dépendance est déterminée selon le paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada);
  • aux fins d'imposition pour le Royaume-Uni, des personnes sont considérées comme ayant entre elles un lien de dépendance si une personne est considérée comme ayant le « contrôle » d'une autre personne (treated as having control of another person), des personnes sont des « associés » (associates) ou des personnes « rattachées » (connected persons) aux fins de l'impôt du Royaume-Uni, ou (lorsqu'il n'existe aucun contrôle, association ou rattachement) des modalités conclues ou imposées entre les personnes ne reflètent pas celles qui caractérisent les opérations commerciales habituelles entre personnes agissant dans leur propre intérêt.

Détail intéressant, cette exonération semble s'appliquer dans le cas où un emprunteur paye des intérêts relativement à un titre de créance lorsque le propriétaire du titre de créance est lié au débiteur des intérêts, alors que le propriétaire des intérêts n'a aucun lien de dépendance avec l'emprunteur (par exemple, lorsque le propriétaire des intérêts détient un intérêt dans un coupon détaché qui est distinct du titre de créance). En vertu du droit canadien, de tels intérêts payés par un résident canadien à un non-résident du Canada sans lien de dépendance seraient autrement assujettis à la retenue d'impôt à la source du Canada.

Sont également exclus de l'exonération les intérêts participatifs qui, en totalité ou en partie, sont conditionnels à l'utilisation de biens ou dépendent de la production en provenant ou qui sont calculés en fonction soit des recettes, des bénéfices, de la marge d'autofinancement, du prix des marchandises ou d'un critère semblable, soit des dividendes payés ou payables aux actionnaires d'une catégorie d'actions du capital-actions d'une société.

Le présent concept est identique à la définition des « intérêts sur des créances participatives » que l'on retrouve au paragraphe 212(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada). Ainsi, les intérêts qui sont des « intérêts sur des créances participatives » payés par un débiteur canadien à un bénéficiaire effectif résident du Royaume-Uni seront assujettis à un taux maximum de 10 % en vertu de l'article 11 du traité. Fait à noter, le traité des États-Unis possède une disposition semblable mais avec un concept plus restreint d'intérêts participatifs à l'article XI qui applique le taux de retenue d'impôt à la source de 15 % prévu à l'article X, applicable aux dividendes.

Régimes de pension reconnus - Exonération pour les dividendes

Le protocole prévoit une nouvelle exonération d'impôt pour les dividendes. Une modification apportée à l'article 10 (Dividendes) exonérera certains dividendes de l'impôt dans l'État contractant source si ces dividendes sont la propriété effective d'un organisme qui a été constitué et exploité dans l'autre État contractant exclusivement aux fins d'administrer ou de fournir des prestations en vertu d'un ou de plusieurs « régimes de pension reconnus ». Pour être admissible à l'exonération, les conditions suivantes doivent être remplies : a) l'organisme doit être exonéré d'impôt dans l'autre État et doit être le bénéficiaire effectif des actions sur lesquelles les dividendes sont payés et doit détenir ces actions en tant qu'investissement; b) l'organisme ne détient pas directement ou indirectement plus de 10 % du capital de la société qui paie les dividendes ou plus de 10 % des droits de vote dans celle-ci; et c) chaque régime de pension reconnu verse des prestations principalement à des personnes physiques qui sont des résidents de l'autre État contractant. Pour ce qui concerne le Canada, un régime de pension reconnu s'entend d'un régime de retraite ou d'avantages sociaux à l'intention d'employés décrit à l'alinéa a) de la définition de « pension » prévue à l'article 5 de la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu (Canada).

On ne peut qu'applaudir cet ajout au traité qui est semblable à l'exonération prévue à l'article XXI du traité des États-Unis.

Élimination de la double imposition

Le protocole remplace le paragraphe 2 de l'article 21 du traité afin de permettre l'établissement des nouveaux régimes d'exonération établis par le Royaume-Uni (i) le 1er juillet 2009 relativement aux distributions reçues par les sociétés assujetties à l'impôt des sociétés du Royaume-Uni, et (ii) le 19 juillet 2011 (au choix) relativement aux bénéfices des établissements stables d'une société à l'extérieur du Royaume-Uni.

Le paragraphe 2 modifié prévoit une exonération de l'impôt du Royaume-Uni pour les dividendes versés par une société résidente au Canada à une société résidente au Royaume-Uni lorsque l'exonération est applicable et que les conditions pour une telle exonération prévues par la législation du Royaume-Uni sont réunies.

En vertu de la législation du Royaume-Uni, les conditions qui déterminent si une distribution est exonérée (ou imposable) repose sur la question de savoir si la société bénéficiaire est une « petite société » ou une « grande société ». Une petite société est, en règle générale, une société qui compte (i) au plus 50 employés et (ii) un chiffre d'affaires annuel de moins de 10 M € ou (iii) des actifs bruts de moins de 10 M €. Pour une petite société, l'exonération n'est pas possible lorsque a) une distribution se compose d'intérêts qui sont classés comme une distribution en vertu du droit fiscal du Royaume-Uni, b) une distribution est permise comme déduction des bénéfices imposables à l'extérieur du Royaume-Uni, et(ou) c) une distribution est payée dans le cadre d'un « mécanisme d'avantage fiscal » (tax advantage scheme). Une société qui ne remplit pas les exigences d'une « petite société » est jugée une « grande société » à ces fins et, pour une telle société, il existe une gamme de cinq exonérations qui sont précisément conçues pour conférer une exonération de l'impôt du Royaume-Uni sauf lorsqu'une évasion fiscale est perçue.

Si une société est résidente du Royaume-Uni et qu'elle possède un établissement stable situé au Canada, le paragraphe 2 modifié prévoit que le Royaume-Uni exonérera les bénéfices de cet établissement stable de l'impôt britannique lorsque l'exonération prévue par la législation du Royaume-Uni est applicable et que les conditions d'exonération prévues par la législation du Royaume-Uni sont réunies.

Procédure amiable

La procédure amiable prévue au traité était précédemment plutôt rudimentaire. Le protocole a établi une procédure amiable plus détaillée. Par exemple, pour les contribuables qui souhaitent profiter de la procédure amiable en vertu du protocole, une demande doit être déposée dans les trois ans de la première notification de la mesure qui entraîne une imposition non conforme au traité. Aucun délai n'existe actuellement en vertu du traité actuel.

De plus, pour les fins des articles 6, 7 et 14 du traité, le protocole prévoit qu'un État contractant ne peut procéder à un ajustement principal du revenu d'un résident de l'un des États contractants, après l'expiration de huit ans à compter de la fin de la période d'imposition à laquelle les revenus en cause ont été attribués, si ce revenu a été imposé dans l'autre État contractant.

L'une des plus importantes modifications au traité convenue dans le protocole consiste en une disposition d'arbitrage obligatoire qui sera utilisée pour aider à la résolution fructueuse des cas de procédure amiable. En tout point semblable aux dispositions d'arbitrage du traité des États-Unis, cette disposition permet aux autorités compétentes du Canada et du Royaume-Uni de recourir à un arbitrage contraignant dans le cas où les autorités compétentes ont été incapables d'en venir à un accord afin de résoudre un cas en vertu de la procédure amiable. En vertu du protocole, les autorités compétentes disposent de trois ans (ou un délai plus long dont les autorités compétentes peuvent convenir) de la date où les autorités compétentes des deux pays ont reçu l'information nécessaire pour examiner les questions soulevées. Par contre, les délais en vertu du traité des États-Unis sont fixés à deux ans (ou un délai plus long dont les autorités compétentes peuvent convenir). Des règles et des procédures détaillées d'arbitrage seront arrêtées par le Canada et le Royaume-Uni dans le cadre d'un échange de notes diplomatiques.

Échange de renseignements et assistance en matière de recouvrement des impôts

Le protocole remplace l'article 24 existant (Échange de renseignements) avec un nouvel article plus complet qui englobe les dernières dispositions du modèle de traité de l'OCDE. De même, un nouvel article 24A est établi par le protocole qui met en œuvre les dispositions du modèle de traité de l'OCDE se rapportant à une « assistance en matière de recouvrement des impôts ». Cette disposition remplace une disposition très modeste traitant de l'assistance en matière de recouvrement prévue au paragraphe 5 de l'article 27 du traité.

Selon le communiqué de presse du ministère des Finances annonçant la signature du protocole, il est prévu que celui-ci s'appliquera en règle générale à partir du 1er janvier 2015. Cela présume que le protocole sera ratifié par le gouvernement du Canada et du Royaume-Uni en 2014, alors que le protocole prévoit qu'il entrera en vigueur relativement aux impôts canadiens le 1er jour de janvier de l'année civile suivant sa ratification.



[1] 2013 CCI 404.  La décision a été portée en appel devant la Cour d'appel fédérale.

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Auteur

  • Christopher Steeves, Associé | Fiscalité, Toronto, ON, +1 416 868 3401, csteeves@fasken.com

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