Une conduite criminelle en dehors des heures de travail peut avoir une incidence importante sur la capacité d'un employé de gagner sa vie. En fait, dans la mesure où une mauvaise conduite en dehors des heures de travail mettrait en péril les intérêts légitimes d'un employeur, les arbitres et les tribunaux ont confirmé la validité de la suspension ou du congédiement d'employés ayant fait preuve d'une conduite répréhensible
à l'extérieur du lieu de travail.
Néanmoins, l'employeur doit éviter de prendre des décisions hâtives s'il apprend de l'implication d'un employé dans une conduite illicite, et ce même si des allégations criminelles visent cet employé ou si des accusations criminelles formelles sont déposées contre celui-ci. Toute décision de l'employeur doit se fonder plutôt sur les résultats d'une enquête interne et tenir compte des circonstances de la situation,
y compris la gravité de l'infraction et le lien entre cette dernière et le lieu de travail.
L'employé devrait-il être suspendu temporairement?
Dès que l'employeur apprend qu'un employé aurait présumément participé à une activité criminelle en dehors des heures de travail, il doit décider des mesures immédiates ou intérimaires à mettre en place afin d'assurer que le lieu de travail demeure sécuritaire et efficace. Par exemple, l'employeur peut déterminer que l'employé en cause doit être suspendu jusqu'à la réalisation d'une enquête
plus exhaustive des allégations, ou jusqu'à la résolution du procès au criminel.
Afin de déterminer si une suspension convient aux circonstances d'une situation, l'employeur doit trouver un juste équilibre entre ses intérêts et ceux de l'employé. Les cinq principes qui suivent ont été établis dans le contexte syndiqué :
- Y a-t-il un risque raisonnablement grave et immédiat pour les intérêts légitimes de l'employeur?
- Y a-t-il un effet dommageable, préjudiciable ou nuisible sur la réputation de l'employeur, ses produits, ses employés ou ses clients?
- L'employeur a-t-il mené une enquête afin d'évaluer le risque présenté par le maintien de l'employé dans ses fonctions?
- Ce risque peut-il être réduit par des moyens tels qu'une surveillance plus étroite ou une mutation dans un autre poste?
- L'employeur envisage-t-il, de manière continue, la possibilité de réintégrer l'employé dans son poste?
Évidemment, dans un milieu de travail non syndiqué, la suspension d'un employé durant une enquête ou en attendant la résolution d'un procès au criminel peut entraîner des allégations de congédiement déguisé. Dans de tels cas, certaines questions pertinentes seront à savoir si la suspension de l'employé en cause était justifiée vu les circonstances, si elle était fondée sur des raisons d'affaires légitimes, si la décision de suspendre l'employé a été prise de bonne foi, et les répercussions découlant de la durée de cette suspension sont minimes.
Les mesures disciplinaires sont-elles justifiées?
Une fois que les allégations et la preuve ont fait l'objet d'une enquête par l'employeur, celui-ci doit se pencher sur la question de savoir si des mesures disciplinaires doivent être imposées à l'employé pour sa conduite en dehors des heures de travail.
Dans un tel contexte, un principe bien établi en droit du travail soutient qu'un employeur ne peut imposer des mesures disciplinaires à un employé uniquement en raison d’une conduite répréhensible de ce dernier a eu lieu à l'extérieur du lieu de travail. Une fois de plus, un lien doit être établi entre cette conduite et l'exploitation efficace des activités de l'employeur. Il est essentiel de tenir une enquête exhaustive sur
la conduite en cause. Des allégations et des faits non fondés ne peuvent justifier en soi l'imposition de mesures disciplinaires auprès de l'employé concerné.
Dans un contexte syndiqué, les cinq facteurs qui suivent servent à déterminer s'il existe un lien entre la conduite et le lieu de travail, et s'il est justifié d'imposer des mesures disciplinaires à l'employé en cause :
- La conduite de l'employé en cause fait du tort à l'entreprise ou à ses produits
- La conduite de l'employé en cause le rend incapable de bien remplir ses fonctions
- La conduite de l'employé en cause entraîne chez les autres employés le refus, la réticence ou l'incapacité de travailler avec lui
- L'employé en cause a commis une infraction grave au Code criminel, et sa conduite elle entaché la réputation de la compagnie et celle de ses employés
- La conduite de l'employé en cause nuit à la gestion efficace des opérations et du personnel de l'entreprise
Fardeau de la preuve
Bien que le fardeau de la preuve repose sur l'employeur, il n'est pas nécessaire que tous les facteurs soient présents. Tout facteur individuel susmentionné peut justifier l'imposition de mesures disciplinaires à l'employé en cause ou le congédiement de ce dernier, selon les répercussions de l'infraction. Par conséquent, les critères dépendront en grande partie des faits de chaque situation.
Dans un contexte non syndiqué, il a été confirmé qu'un seul acte d'inconduite de la part d'un employé peut justifier le congédiement de ce dernier, si cet acte nuit ou fait du tort à la sécurité et au bon déroulement des activités de l'employeur.
Par exemple, dans une affaire fréquemment citée, la Cour supérieure de justice de l'Ontario a confirmé le congédiement d'un gestionnaire accusé de possession de pornographie juvénile. La Cour a déterminé que l'emploi continu de l'employé ferait du tort aux activités et à la réputation de l'employeur, compte tenu de la forte médiatisation des accusations criminelles portées contre l'individu, de la participation
de la compagnie à de nombreux projets philanthropiques visant de jeunes enfants au sein de la communauté, et du fait que l'employé était souvent en interaction avec des clients.
De façon générale, la jurisprudence indique qu'il n'est pas nécessaire pour l'employeur de présenter une preuve directe du tort fait à sa réputation. Les arbitres tiennent plutôt compte de la conduite criminelle de l'employé, de la nature des infractions, de la nature des activités de l'employeur et de la nature des responsabilités de l'employé au sein de l'entreprise pour déterminer, par inférence ou par des
conclusions tirées des circonstances, si le public aurait une perception négative de l'emploi continu de l'employé.
Autrement dit, les arbitres ont conclu qu'un employeur n'est pas tenu de prouver le tort fait à sa réputation générale, c'est-à-dire de présenter une preuve objective spécifique à cet effet au moyen de témoignages multiples. Le tribunal lui-même exercera son jugement pour déterminer ce que pourrait penser, dans les circonstances, un membre impartial et bien informé du public ou d'un groupe pertinent.
De plus, dans le cadre de l'évaluation de la nature de l'infraction, des responsabilités de l'employé et des répercussions sur la réputation de l'employeur, il est plus probable qu'un arbitre confirme les mesures disciplinaires imposées à un employé pour sa conduite à l'extérieur du lieu de travail si l'employé en question occupe un poste de confiance tel que celui d'un enseignant, d'un agent de police ou d'un travailleur de la
santé. Par contre, l'évaluation des fonctions et des responsabilités de l'employé ne suffit pas pour confirmer de telles mesures.
Enfin, une fois que l'existence d'un lien suffisant entre la conduite en cause et le lieu de travail a été établie de sorte à pouvoir justifier l'imposition de mesures disciplinaires, la détermination de ces mesures s'appuiera sur les facteurs aggravants et atténuants habituels. Ceux-ci comprennent la durée du service de l'employé, les antécédents disciplinaires de ce dernier, les règles et les politiques de l'employeur et leur
application, ainsi que divers autres facteurs, tels que le remord véritable de l'employé en cause, les excuses faites de bonne foi par celui-ci, les éléments de provocation, et l'honnêteté de l'employé durant l'enquête.
Un champ de mines juridique
Compte tenu de la nature souvent hautement médiatisée des allégations criminelles, de l'incidence que peuvent avoir ces allégations sur la réputation de l'employeur, et de la divergence des intérêts et des devoirs de l'employeur dans de telles situations, les employeurs seraient avisés d'obtenir des conseils juridiques pour l'évaluation de leur réponse à la conduite d'un employé en dehors des heures de travail.
Outre les questions présentées dans cet article, d'autres considérations peuvent être soulevées en l'espèce. Citons par exemple le refus de l'employé de participer à l'enquête de l'employeur par crainte de s'incriminer dans le cadre des procédures criminelles, les considérations en matière de droits de la personne et le devoir d'accommodement de l'employeur, et la demande d'un congé sans solde par l'employé durant
son incarcération. Toutes ces considérations doivent être prises en compte soigneusement par l'employeur.
Judith Parisien est membre du groupe Droit du travail et de l'emploi de Fasken à Ottawa. Dans le cadre de sa pratique, elle représente des employeurs et conseille ses clients sur diverses questions relevant du droit du travail et de l'emploi.