Alors que les différents médias sociaux rivalisent sur le marché pour occuper une place prépondérante dans la vie des consommateurs, les entreprises, quant à elles, rivalisent pour occuper une place prépondérante sur ces mêmes médias sociaux. L'usage des marques de commerce et autres droits de propriété intellectuelle (ci-après « PI ») sur les médias sociaux constitue une préoccupation sérieuse. Les technologies et les avancées en matière de médias sociaux sont constamment en changement et les directives sur l'utilisation de la PI sur les médias sociaux doivent être continuellement mises à jour et adaptées. De plus, en raison de la portée internationale des médias sociaux, une utilisation de la PI jugée acceptable dans un certain État ne sera pas nécessairement jugée comme telle dans un autre État.
Une récente décision de la Cour fédérale du Canada fournit des indications sur l'utilisation appropriée de la PI dans le monde numérique dont les titulaires de marques doivent être informés.
Dans l'affaire Red Label Vacations Inc. (redtag.ca) v. 411 Travel Buys Limited (411travelbuys.ca) (PDF - disponible en anglais seulement), 2015 CF 19 (« Red Label Vacations »), la Cour fédérale fournit des indications quant à l'utilisation de métadonnées. Elle se penche également sur la question de savoir si l'utilisation de motsdièse (par exemple « #sujet »), peut constituer une violation d'un droit de PI.
Utilisation des marques de commerce dans les métadonnées : la décision de la Cour
Red Label Vacations Inc. (« Red Label ») est une agence de voyages qui offre des services en ligne d'information et de réservation aux voyageurs canadiens par l'intermédiaire de son site Web, redtag.ca. Red Label possède trois marques de commerce enregistrées : (1) redtag.ca, (2) redtag.ca Vacations & Design, et (3) Shop. Compare. Payless!! Guaranteed & Design. 411 Travel Buys Limited (« 411 Travel ») est une agence de voyages en ligne qui offre de l'information sur son site Web et, par l'intermédiaire de ses agents disponibles par téléphone, des services de réservation de voyages et d'autres services connexes.
Lorsque le site Web de 411 Travel a été mis en ligne en janvier 2009, plusieurs de ses pages contenaient, entre autres, des métadonnées (les balises méta « Titre », « Description » et « Mot-clé ») contenant des termes tels que « red tag vacations » et « shop, compare & pay less ». Ces métadonnées n'étaient pas visibles pour les consommateurs qui consultaient le site Web de 411 Travel et ne se retrouvaient que dans le code source du site. Ayant appris l'utilisation par 411 Travel de ces expressions, Red Label a intenté des poursuites en alléguant une violation de droit d'auteur et une contrefaçon de marque de commerce.
Les métadonnées sont des éléments d'information qui sont intégrés au codage d'un site Web et peuvent être utilisés pour attirer les visiteurs vers ce site. Lorsqu'un utilisateur entre une certaine expression dans un moteur de recherche (p. ex. GoogleMC), un algorithme produit une liste de toutes les pages Web contenant le terme recherché. Les pages Web sont classées en fonction de leur pertinence par rapport à la demande de recherche de l'utilisateur. L'insertion stratégique de mots-clés dans les métadonnées et dans la page Web elle-même peut permettre d'augmenter la probabilité qu'un moteur de recherche classe ce site Web à un rang plus élevé dans les résultats des recherches contenant le terme demandé (p. ex. en page 1 plutôt qu'en page 6 des résultats). Par conséquent, l'optimisation du site pour les moteurs de recherche peut être un aspect important de la commercialisation des biens et services d'une entreprise.
Dans la décision Red Label Vacations, la Cour n'a pas conclu que 411 Travel s'était livrée à une contrefaçon des marques de commerce de Red Label. De l'avis de la Cour fédérale, l'utilisation dans les métabalises d'une marque de commerce ou d'une appellation commerciale ne crée pas en soi un risque de confusion, car le consommateur demeure libre de faire un choix parmi les résultats de recherche et d'acheter les biens et les services de l'un ou l'autre des fournisseurs :
[Traduction] L'utilisation de métabalises dans un moteur de recherche ne fait qu'offrir au consommateur un éventail d'hyperliens indépendants et distincts à partir duquel il peut choisir en toute liberté, plutôt que de l'orienter vers un concurrent en particulier. Même si les classements peuvent influer sur le choix effectué, il n'en reste pas moins qu'un tel choix existe. Même dans le cas où un internaute recherche le site Web lié à une marque de commerce ou une appellation commerciale en particulier, une fois qu'il accède au site Web, il faut qu'existe une confusion concernant la source de l'entité ou de la personne qui offre les services ou les biens.
Conséquences et incidences possibles sur l'utilisation des motsdièse dans les médias sociaux
Pour en venir à sa conclusion qu'il n'y avait aucun risque de confusion, la Cour fédérale, dans l'affaire Red Label Vacations, a souligné ce qui suit : (1) aucune des marques de commerce n'était visible dans le site Web de 411 Travel; et (2) le site Web était clairement identifié comme étant celui de 411 Travel. Toutefois, la conclusion aurait pu être différente si les marques de commerce et les appellations commerciales de Red Label avaient été insérées de manière visible sous la forme de « motsdièse ». À la différence des métabalises, les marques de commerce et les appellations commerciales d'un concurrent présentées sous la forme de motsdièse sont visibles pour les consommateurs et sont susceptibles de créer de la confusion (ou un risque de confusion) concernant l'identité du fournisseur des biens et services.
Un « motdièse » est un mot ou une série de mots thématiques précédé du symbole typographique « # »qui identifie les messages et les billets publiés sur les réseaux sociaux reliés à ce thème en particulier. Les motsdièse ne fonctionnent pas de la même manière que les métabalises et permettent aux utilisateurs de naviguer entre les différents messages publiés sur les médias sociaux qui sont liés au même motdièse. C'est cette fonctionnalité de création d'hyperliens qui pourrait présenter une incertitude du point de vue des marques de commerce. Si de nombreuses plateformes de médias sociaux se sont dotées de politiques concernant la contrefaçon des marques de commerce, on ne sait toujours pas si l'utilisation de motsdièse est constitutive d'une telle violation. Par exemple, dans sa Politique concernant les marques déposées, TwitterMC indique ce qui suit : « Utiliser le nom d'une entreprise ou d'une société, son logo ou d'autres contenus protégés en rapport avec une marque déposée d'une façon pouvant induire en erreur ou tromper d'autres personnes quant à l'affiliation de l'entreprise ou de la marque peut être considéré comme une violation de la politique en matière de marques déposées. » Dans quelles circonstances un motdièse pourrait-il induire en erreur ou tromper un consommateur?
D'après la décision Red Label Vacations, si quelqu'un utilise comme motdièse #votremarquedecommerce dans un message publié sur des médias sociaux qui donne un choix clair aux consommateurs, il pourrait être difficile de conclure à une contrefaçon de cette marque. Par contre, la question de la dépréciation de l'achalandage pourrait poser problème. La Loi sur les marques de commerce canadienne pose quatre conditions pour qu'il y ait dépréciation de l'achalandage :
- une marque de commerce a été utilisée par le défendeur en lien avec des biens ou des services, que ces biens et ces services soient ou non en concurrence avec ceux du demandeur;
- la marque de commerce du demandeur est suffisamment connue pour qu'un achalandage appréciable y soit rattaché;
- la marque de commerce dudemandeur a été utilisée d'une manière susceptible d'avoir un effet sur cet achalandage (c.-à-d. lien);
- l'effet probable serait de déprécier la valeur de cet achalandage (c.-à-d. préjudice).
Dans la décision Red Label Vacation, la Cour a conclu que comme il n'y avait aucune utilisation de marque de commerce en lien avec les métabalises, l'achalandage n'avait subi aucune dépréciation. Toutefois, compte tenu de certaines de leurs caractéristiques, le fonctionnement des motsdièse pourrait être plus proche de celui des marques de commerce et leur utilisation, même si elle n'est pas susceptible d'engendrer un risque de confusion, pourrait plus aisément être considérée comme un facteur de dépréciation de l'achalandage aux termes de l'article 22 de la Loi sur les marques de commerce canadienne.
Prochaines étapes pour les entreprises souhaitant protéger leurs motsdièse et leurs marques de commerce
1. Surveiller l'utilisation des #motsdièse
Puisque l'utilisation de motsdièse dans les médias sociaux peut être assimilée à celle des marques de commerce, les sociétés ont tout avantage à exercer une surveillance des plateformes comme Twitter afin de repérer toute utilisation de leurs marques de commerce à titre de motsdièse. De plus, les entreprises qui font usage de motsdièse devraient vérifier s'ils constituent des marques de commerce appartenant à des tiers.
Une entreprise souhaitant utiliser un mot ou une expression à la fois comme motdièse et comme marque de commerce a tout intérêt à procéder à une recherche de disponibilité exhaustive. Pour ce faire, il faudrait rechercher, dans les registres de marques de commerce pertinents (par exemple, Office de la propriété intellectuelle du Canada et United States Patent and Trademark Office), le mot ou l'expression devant être utilisé comme motdièse en association avec tout bien ou service avec lequel le mot ou l'expression sera utilisé (par exemple, dans le cas de Starbucks, en association avec le mot « boisson »).
2. Envisager la possibilité d'enregistrer des motsdièse à titre de marques de commerce
Une société qui prévoit utiliser un motdièse comme marque de commerce devrait envisager son enregistrement. Les facteurs à prendre en considération sont notamment l'importance et la durée de la campagne de marketing associée au motdièse (par exemple une plateforme de marketing multinationale à long terme ou une campagne locale de courte durée) et la volonté éventuelle de la société d'empêcher les tiers d'utiliser ce motdièse. Au Canada et aux États-Unis, les demandes d'enregistrement de marque de commerce portant sur des motsdièse par des sociétés sont déjà une réalité. S'il est possible de faire enregistrer un motdièse à titre de marque de commerce, on ne doit cependant pas oublier qu'il ne suffit pas d'inclure le signe de croisillon (#) pour donner un caractère distinctif à une expression ou un terme qui est par ailleurs descriptif ou générique.
#Fin