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Les conséquences d’un Brexit « dur » (Hard Brexit) pour le secteur privé canadien

Fasken
Temps de lecture 10 minutes
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Bulletin Commerce international et droit douanier

Le Brexit sera un Brexit « dur »

Plus tôt cette semaine, la Première Ministre du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (« RU ») et chef du parti conservateur, Mme Theresa May, a détaillé sa feuille de route pour le retrait du RU de l'Union européenne (« UE »). À ce titre, Mme May a notamment annoncé que:

  • Le RU quittera le marché unique européen, mais s'efforcera néanmoins d'obtenir des conditions favorables de libre-échange avec l'ensemble des pays de l'UE;
  • La Grande-Bretagne adoptera une approche globale en se tournant vers les autres pays du monde avec lesquels elle négociera des accords de libre-échange audacieux et ambitieux;
  • Une entente transitoire et intérimaire avec l'UE serait privilégiée en ayant pour but d'atténuer l'impact des changements proposés sur le secteur privé;
  • Les deux chambres du Parlement se prononceront sur toute entente, le cas échéant, conclue avec l'UE;

Pour le RU, les conséquences de son retrait de l'UE sont importantes, particulièrement après que Mme May eut confirmé que le RU ne visait :

« (…) pas d'appartenance partielle à l'UE, pas de statut de membre associé à l'UE ou tout autre statut qui nous laisserait un pied dedans et un pied dehors. Nous ne cherchons pas à conserver des relations privilégiées avec l'UE puisque nous partons. Le Royaume-Uni quitte l'Union européenne et mon travail est d'obtenir le bon accord pour la Grande-Bretagne. »

Autrement dit, le RU n'entend pas adopter le « modèle suisse », le « modèle norvégien », ou tout autre modèle existant, mais souhaite plutôt négocier en défendant ses propres intérêts en concluant un accord sur des mesures qui lui seraient favorables, ou pas.

En définitive, il faudra plusieurs années pour négocier un tel accord si l'on se fie au règlement des modalités de retrait du Groenland de l'UE, intervenu en 1985 et qui aura duré trois ans, malgré le fait que les enjeux économiques et politiques étaient bien loin de présenter le même degré de complexité.

En attendant que le RU finalise son plan de retrait de l'UE, plusieurs défis économiques et politiques risquent d'émerger, dont notamment :

  • L'économie du RU devra composer avec les risques de l'inflation (en raison de l'affaiblissement de sa devise) et du ralentissement de la croissance économique, comme l'ont prédit la Banque d'Angleterre et l'Office for Budget Responsibility;
  • L'Écosse (pro-UE) va probablement chercher à tenir un second référendum sur l'indépendance qui pourrait lui permettre d'accroître les pouvoirs qui lui sont actuellement dévolus ou de présenter une demande d'adhésion à l'UE; toutefois, l'Espagne a déjà annoncé qu'elle s'opposera catégoriquement à une telle demande, le cas échéant;
  • L'Irlande du Nord (pro-UE) pourrait faire l'objet d'une lutte politique à plus grande échelle, où le parti politique républicain (Sinn Féin) exercerait une pression afin d'obtenir une union politique (ou une entente conjointe) post-Brexit avec l'Irlande et dont les premiers jalons ont peut-être été posés en janvier avec l'annonce de la démission du Vice-Premier ministre Martin McGuiness (Sinn Féin). Cette annonce a eu pour effet de suspendre l'administration déléguée de l'Irlande du Nord (en raison des modalités de l'entente de partage des pouvoirs avec le parti démocratique unioniste);
  • Le Pays de Galles (pro-Brexit) devrait, selon toutes vraisemblances, entrer dans une phase d'agitation politique lorsque le financement structurel versé par l'UE lui sera retiré et que le RU pourra difficilement le compenser; et
  • Londres (pro-UE) pourrait voir le secteur des services financiers enregistrer une perte nette après la relocalisation de certaines opérations bancaires à Paris, Francfort ou Dublin qui pourraient par ailleurs accueillir dorénavant les chambres de compensation.

D'un point de vue canadien, le retrait du RU du marché unique européen équivaudrait à un retrait du Canada de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), avec somme toute quelques différences. Alors que 78% des exportations canadiennes se font en direction des États-Unis et que 77% des importations canadiennes proviennent du même pays, la situation entre le RU et l'UE est quelque peu différente. En effet, 44% des exportations du RU se font en direction de l'UE et 53% des importations proviennent de l'UE. Ainsi, le partenariat économique entre le RU et l'UE, bien qu'important, n'est pas considéré comme « vital » comme tel est le cas entre le Canada et les États-Unis.

Échanges commerciaux entre le Canada et la Grande-Bretagne

Court terme

Si le secteur privé canadien demeure passif face au marché du RU jusqu'à la conclusion des négociations du Brexit en vertu de l'article 50, celui-ci risque de manquer des occasions d'affaires importantes. D'abord et avant tout, il convient de souligner qu'une grande partie de l'Accord économique et commercial global Canada-UE (« AECG ») s'appliquera au RU dès que le Parlement européen aura donné son feu vert (ce qui devrait se faire en 2017). Selon les estimations du Financial Times, 98 % des dispositions de l'AECG devraient être en vigueur dès cette approbation, mais les avis des experts sur cette question sont partagés.

Par conséquent, les sociétés canadiennes ont tout intérêt à se pencher dès aujourd'hui sur les possibilités offertes par l'AECG, dont notamment :

  • Réduction des coûts de la chaîne d'approvisionnement ou augmentation des revenus découlant de la réduction des tarifs douaniers;
  • Transfert simplifié de personnel et des autres professionnels au RU en vertu de dispositions plus permissives en matière de mobilité de la main-d'œuvre;
  • Compréhension des nouvelles possibilités de passation de marchés et d'appels d'offres avec le gouvernement et le secteur privé britanniques.

En ce qui a trait à la mobilité de la main-d'œuvre, l'AECG introduira des règles spéciales permettant une « admission temporaire ». L'admission temporaire peut s'appliquer aux employés faisant l'objet d'un transfert temporaire interentreprises facilitant ainsi les activités des professionnels et des investisseurs, comme ce sera le cas pour les gestionnaires, les avocats, les ingénieurs et les comptables. De plus, le Canada et l'UE s'engagent à autoriser les entreprises à maintenir en poste pendant une période maximale de trois (3) ans leurs employés faisant l'objet d'un transfert temporaire interentreprises sur le territoire de l'autre partie, sans égard au secteur d'activité. L'AECG garantit en outre que les employés faisant l'objet d'un transfert temporaire interentreprises pourront être accompagnés par leur conjoint ou conjointe et par leur famille lorsqu'ils seront affectés temporairement à une filiale à l'étranger.

Moyen et long terme

À moyen terme, les avantages qu'offrait l'AECG ne seront dans doute plus applicables aux échanges commerciaux entre le Canada et le RU, à moins qu'un nouvel accord de libre-échange ne soit négocié entre ces deux pays ou que l'UE et le Canada ne s'entendent sur une forme de traitement équivalent à l'AECG. Il convient d'ailleurs de rappeler que le Canada a largement investi dans l'AECG et que l'UE est un marché trop important pour que le Canada risque de mettre cet accord en péril en raison de négociations simultanées avec les Britanniques qui ne pourraient servir qu'à irriter l'UE.

Ceci étant dit, le RU est le partenaire commercial européen le plus important pour le Canada et les deux pays entretiennent d'excellentes relations bilatérales et commerciales. À notre avis, celles-ci ne seront pas négligées par le Canada une fois que l'AECG aura été ratifié et sera entré en vigueur. Le RU est actuellement le troisième marché d'exportation en importance pour le Canada et représente sa sixième source d'importation. Par ailleurs, le Canada a été classé par le RU comme étant l'un des principaux pays avec lesquels il souhaite conclure un accord de libre-échange.

Si toutefois un nouvel accord de libre-échange entre les deux pays était nécessaire, nous nous attendons à ce que l'AECG soit utilisé comme pierre angulaire grâce à laquelle de telles négociations seraient entamées. Dans le cadre de l'AECG, le RU a déjà accepté d'ouvrir son marché des services, d'assouplir les restrictions sur les investissements et de favoriser l'accès aux appels d'offre sur les marchés publics.

Conclusion

Nous recommandons donc aux entreprises canadiennes qui œuvrent à l'échelle internationale et qui entretiennent particulièrement des relations commerciales avec le RU de se familiariser avec les dispositions de l'AECG et les différentes dates de sa mise en application. Cela leur permettra sans aucun doute d'assurer ou de maintenir un avantage concurrentiel notoire, que ce soit dans le secteur tertiaire, en matière de marchés publics, de la mobilité de la main-d'œuvre ou de la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles.

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Auteur

  • Al Gourley, Associé, Londres, +44 (0)20 7917 8671, agourley@fasken.com