L'Accord économique et commercial global (l'« AECG ») a été signé par le Canada et l'Union européenne (l'« UE ») le 30 octobre 2016. Le lendemain, le gouvernement du Canada déposait un projet de loi modifiant diverses lois canadiennes afin d'harmoniser la législation et la réglementation canadiennes en matière de propriété intellectuelle avec celles de l'Union européenne[1]. À cet égard, le projet de loi C-30 apporte des modifications aux secteurs pharmaceutiques et biologiques en modifiant le règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le « règlement sur les médicaments brevetés ») et en édictant le règlement sur les certificats de protection supplémentaire (le « règlement sur les CPS »). Ceux-ci sont entrés en vigueur le 21 septembre 2017. Nous avons déjà parlé du projet de loi C-30 dans un bulletin précédent; le présent bulletin examine les nouveaux règlements.
Le règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)
L'ancien règlement
L'ancien règlement sur les médicaments brevetés prévoyait un mécanisme par lequel l'innovateur qui déposait une présentation de drogue nouvelle pouvait soumettre au ministre de la Santé une liste de brevets se rapportant à la présentation en vue de son ajout au registre des brevets, créant ainsi un lien entre le mécanisme d'approbation des drogues nouvelles et la protection de la propriété intellectuelle.
Le fabricant subséquent qui cherchait à commercialiser une version semblable du médicament en comparant directement ou indirectement celui-ci avec le produit de l'innovateur pouvait déposer une présentation abrégée de drogue nouvelle dans le cas d'un médicament générique conventionnel ou une présentation de drogue nouvelle dans le cas d'un produit biologique ultérieur. S'il y avait des brevets inscrits au registre, le fabricant subséquent devait, soit accepter d'attendre l'expiration de ceux-ci avant de recevoir son avis de conformité, soit alléguer la non-contrefaçon ou l'invalidité des brevets au registre. Dans les 45 jours suivant la signification de l'avis d'allégation, l'innovateur pouvait instituer devant la Cour fédérale du Canada des procédures visant à empêcher le ministre de la Santé d'émettre un avis de conformité qui permettrait la vente d'une version subséquente du médicament au Canada jusqu'à l'expiration des brevets. Dès que les procédures étaient intentées, et tant qu'elles n'avaient pas été rejetées ou fait l'objet d'un désistement, le fabricant subséquent ne pouvait obtenir son avis de conformité et entrer sur le marché. L'instance devait être complétée dans les 24 mois de son introduction.
Lorsque les procédures prises en vertu de l'ancien règlement étaient rejetées, la délivrance d'un avis de conformité faisait en sorte que l'appel interjeté par l'innovateur devenait académique puisque le tribunal ne pouvait plus empêcher le ministre de délivrer un tel avis de conformité. Le seul recours dont disposait alors l'innovateur consistait à prendre une action en contrefaçon de brevet en vertu de la Loi sur les brevets. Cette situation créait un scénario de « double recours » quant au même brevet. Les conclusions tirées en matière de contrefaçon ou de validité de brevet en vertu de l'ancien règlement ne liaient pas le tribunal dans le cadre d'une action ultérieure fondée sur la Loi sur les brevets, ce qui pouvait mener à des résultats contradictoires.
Le nouveau règlement
L'avis d'allégation
Le fabricant subséquent devra, comme c'était le cas auparavant, envoyer un avis d'allégation s'il dépose une présentation dans laquelle il compare directement ou indirectement son médicament à une drogue à l'égard de laquelle il y a des brevets sur le registre. Toutefois, l'avis d'allégation devra aborder toutes les revendications du brevet, même celles qui n'étaient pas pertinentes dans le cadre de l'ancien règlement, comme les revendications portant sur un procédé. Cette façon de faire facilitera incontestablement le déroulement des litiges portant sur les produits biologiques, lesquels sont souvent définis en fonction de leur procédé.
L'action
Comme auparavant, l'innovateur aura 45 jours pour introduire une instance en vertu du règlement. Toutefois, il ne s'agira plus d'une procédure sommaire, mais bien d'une action complète assortie de la production de documents et d'interrogatoires au préalable.
La décision d'intenter ou non une action en vertu du nouveau règlement pourrait avoir des conséquences graves pour l'innovateur. En effet, le règlement prévoit qu'aucune autre action qu'une action intentée en vertu du règlement ne peut être déposée contre le fabricant subséquent pour la contrefaçon d'un brevet visé par un avis d'allégation. Une action en vertu de la Loi sur les brevets serait donc irrecevable sauf si le fabricant subséquent est en en mesure de démontrer qu'il n'avait pas de motif raisonnable lui permettant de prendre des procédures en vertu du règlement à l'époque pertinente.
Si une action est intentée en vertu du règlement, le ministre de la Santé ne pourra délivrer un avis de conformité au fabricant subséquent tant que l'instance n'aura pas fait l'objet d'un désistement, n'aura pas été rejetée ou qu'un délai de 24 mois ne sera pas écoulé, selon la première de ces éventualités. Toutefois, l'innovateur pourra renoncer à ce délai de 24 mois, permettant ainsi au ministre de délivrer un avis de conformité au fabricant subséquent dès sa présentation approuvée. Ceci permettra à l'innovateur d'échapper à toute responsabilité en dommages, y compris la perte permanente d'une part de marché, maintenant comprise dans la compensation. Dans le cas d'une renonciation, l'innovateur devra bien évidemment accepter la concurrence sur le marché tant qu'un jugement définitif en sa faveur n'aura pas été rendu.
La décision rendue par la Cour au sujet de l'invalidité sous le régime du règlement est définitive, de sorte qu'il ne sera plus nécessaire d'intenter une autre action en vertu de la Loi sur les brevets pour que le brevet soit reconnu valide ou non à l'égard de tous.
La demande reconventionnelle
Le nouveau règlement prévoit que le fabricant subséquent « peut » présenter une demande reconventionnelle en vue d'obtenir une déclaration d'invalidité. L'emploi du mot « peut »signifie que le fabricant subséquent pourrait hypothétiquement soulever l'invalidité du brevet dans son avis d'allégation sans déposer une demande reconventionnelle. Toutefois, en pareil cas, l'innovateur demanderait dans sa déclaration que la Cour déclare le brevet valide, ce qui pourrait mettre fin à la multiplication des procédures.
Il n'y a pas de préclusion dans le cas d'une demande reconventionnelle. Selon le nouveau règlement, et contrairement à ce qui arrive dans le cas d'une action, le fabricant subséquent qui ne conteste pas la validité des brevets dans son avis d'allégation pourra toujours contester celle-ci dans une action ultérieure en vertu de la Loi sur les brevets.
L'appel
Le règlement prévoit que le ministre ne peut délivrer un avis de conformité avant l'expiration d'un délai de 24 mois à moins que l'action fasse l'objet d'un désistement ou soit rejetée. Il y a lieu d'espérer que l'instance – qui est maintenant une action en bonne et due forme et non plus une procédure sommaire – soit complétée dans ce délai. Sinon, et dans l'hypothèse où un avis de conformité était délivré, il serait loisible au fabricant subséquent d'entrer sur le le marché, bien qu'à ses risques et périls. Il en est de même si l'action est rejetée dans le délai de 24 mois. En pareil cas, le fabricant subséquent aurait le droit de recevoir son avis de conformité, que l'appel soit entendu ou non, et il lui serait également loisible d'entrer sur le marché à ses risques et périls.
Il y a lieu de signaler que le nouveau règlement restreint la possibilité de demander la prorogation du délai de 24 mois. En effet, les parties ne peuvent plus donner leur consentement à cet égard. Le délai ne peut être prorogé que si le tribunal conclut que la partie n'a pas agi avec diligence en remplissant les obligations qui lui incombaient ou qu'elle n'a pas collaboré de façon raisonnable au règlement expéditif de l'action. On peut donc s'interroger quant à savoir s'il existe, en pratique, un droit d'appel équivalent et efficace pour les innovateurs.
Communication rapide des documents avec les actes de procédure
Enfin, il sera nécessaire de divulguer dès le départ la preuve documentaire. Par exemple, le fabricant subséquent devra inclure dans son avis d'allégation les extraits pertinents de sa présentation, ainsi que tous les documents appuyant son allégation d'invalidité. Pour sa part, l'innovateur devra signifier avec son action, si on lui en fait la demande dans l'avis d'allégation, tout renseignement concernant l'inventeur, ainsi que tout carnet de laboratoire, rapport de recherche ou autre document pouvant être pertinent « pour établir si une propriété, un avantage ou une utilisation spécifique que la seconde personne affirme faire partie de l'invention était établi à la date du dépôt de la demande de brevet ». Il sera intéressant de voir comment ce dernier passage sera interprété, compte tenu de l'arrêt récent rendu par la Cour suprême dans l'affaire AstraZeneca qui a supprimé la doctrine de la promesse au Canada.
Le règlement sur les certificats de protection supplémentaire
Avant l'AECG, le Canada était le seul pays du G‑7 qui ne prévoyait pas d'indemnisation pour le temps consacré à la recherche et à l'obtention d'une autorisation de mise en marché. Le projet de loi C‑30 prévoit le rétablissement de la durée des brevets jusqu'à concurrence de deux ans. L'étendue de cette protection ne peut être plus grande que celle de la protection accordée par le brevet énoncé dans le certificat de protection supplémentaire (CPS) et elle est assujettie aux mêmes limites et aux mêmes exceptions que le brevet. Le nouveau règlement sur les CPS doit respecter les engagements pris par le Canada aux termes de l'AECG[3].
Exigences en matière de délais
Selon le nouveau règlement sur les CPS, seules les nouvelles présentations de drogues nouvelles déposées dans l'année suivant le dépôt de toute première présentation de drogue nouvelle internationale déposée pour le même médicament au sein de l'Union européenne, aux États‑Unis, en Australie, en Suisse ou au Japon sera admissible à un CPS. Pour offrir aux entreprises la possibilité de corriger leurs présentations internationales et de tenir compte des exigences en matière de délai, le règlement sur les CPS prévoit une période transitoire d'une année au cours de laquelle le délai de présentation est allongé à 24 mois.
Exclusion de certains ingrédients médicinaux
Les ingrédients médicinaux ne sont admissibles à un CPS que s'il s'agit d'une première approbation. Certaines variantes des ingrédients médicinaux qui sont énumérées dans le règlement sur les CPS ne sont pas admissibles à un tel certificat. Cette exclusion est inacceptable, étant donné qu'une variante équivaut parfois à une nouvelle substance découverte après plusieurs années de recherche, qui est donc brevetable et a droit à la protection d'un CPS. L'exclusion de ces variantes restreint indûment la portée de la protection.
Conclusion
Les nouveaux règlements modifient considérablement l'ancien régime réglementaire. Le règlement sur les médicaments brevetés et le règlement sur les CPS feront sans aucun doute l'objet de nombreuses contestations, notamment en ce qui concerne leur interprétation. Les tribunaux devront également trancher certaines questions d'ordre procédural. Il faudra sans doute repenser les stratégies des compagnies pharmaceutiques en matière de propriété intellectuelle à la lumière de ces nouveaux développements.
[1] Projet de loi C-30, Loi portant mise en œuvre de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne et ses États membres et comportant d'autres mesures.