Le jugement rendu par la Cour supérieure du Québec le 4 avril dernier dans l'affaire Hôtels Côte de Liesse inc. c. Holiday Hospitalily Franchising[1] vient nous rappeler l'importance pour un franchiseur que les clauses de ses contrats soient claires et ne contiennent aucune ambiguïté.
Ceci est d'autant plus vrai qu'une convention de franchise est destinée à être signée à plusieurs reprises et qu'elle risque aussi d'être souvent considérée par un tribunal comme étant un contrat d'adhésion (ce qui le cas pour tous les contrats dont les stipulations essentielles ne peuvent être discutées).
Dans cette affaire, un franchiseur américain était poursuivi devant la Cour supérieure du Québec par un franchisé qui lui reprochait de « lui avoir faussement représenté un certain niveau de limite de concurrence » .
Confronté devant ce recours institué au Québec, ce franchiseur, Holiday Hospotality Franchising LLC, a présenté une requête demandant à la Cour supérieure du Québec de décliner juridiction en faveur des tribunaux de l'État du Tennessee pour le motif que la convention de franchise stipulait la clause suivante :
« Its construction, interpretation and performance will be governed by the laws of the State of Tennessee. U.S.A. and any disputes shall be settled in the courts of that State. »
À première vue, l'on pourrait être porté à croire que la demande du franchiseur était fondée puisque cette clause réfère bien à la compétence des tribunaux de l'État du Tennessee.
Ce n'est pourtant pas ce que le tribunal a décidé!
En premier lieu, le juge a souligné que « La clause d'élection de for doit avoir un caractère impératif et doit également avoir pour effet de conférer de manière claire et précise une compétence exclusive au tribunal désigné », puis que « Toute ambiguïté sera interprétée contre celui qui l'a stipulée ».
Appliquant ces critères, le tribunal a relevé deux ambiguïtés dans la clause stipulée à ce contrat de franchise.
En premier lieu, en référant à la loi applicable, le contrat mentionne les mots « will be governed » alors que, pour les tribunaux compétents, les termes utilisés sont « shall be settled ». Cette différence de formulation a amené le tribunal à s'interroger sur le pourquoi de l'utilisation du terme « will » pour ce qui est de la loi applicable alors que le terme « shall » est utilisé lorsque vient le temps d'identifier le tribunal compétent.
Dans l'esprit du juge, l'utilisation de ces deux termes différents laisse planer un premier doute sur l'intention véritable des parties.
Selon le tribunal, « L'utilisation des termes «and any dispute shall be settled in the courts of that State» ne comporte pas le caractère obligatoire et exclusif nécessaire à en faire une véritable clause d'élection de for. Les termes utilisés ne permettent pas d'exclure une autre alternative. Impossible de conclure clairement à une exclusion explicite ou implicite de la compétence de d'autres tribunaux. »
Et il y a encore plus.
En second lieu, toujours selon cette clause, « l'application de la loi du Tennessee semble limitée aux différends qui touchent la «construction, interpretation and performance» de l'entente. Or ici les allégations tenues pour avérées portent davantage sur l'avant-contrat, la négociation et les représentations qui ont mené à la conclusion de l'entente. », ce qui a aussi amené le tribunal à conclure que « La clause 17 n'écarte pas clairement la compétence d'autres tribunaux à propos des questions autres que la «construction, interpretation and performance» de l'entente (agreement). Le Tribunal est plutôt d'avis que nous sommes face à une clause permissive. »
Au bout du compte, le juge a résumé ainsi ses commentaires :
« [16] Somme toute, le Tribunal est d'avis que l'interprétation contextuelle ne permet pas de conclure que les parties ont choisi de s'obliger impérativement et irrévocablement de soumettre le litige tel qu'engagé par la partie demanderesse aux tribunaux du Tennessee.
[17] Les ambiguïtés soulevées doivent s'interpréter contre le stipulant, en l'occurrence la défenderesse Holiday Hospitality Franchising LLC. »
La Cour supérieure du Québec a donc rejeté la demande du franchiseur et s'est déclarée compétente pour entendre le recours de ce franchisé.
La clause faisant l'objet de ce jugement concerne un tribunal étranger.
Cependant, les principes invoqués par la Cour supérieure dans son jugement s'appliquent tout autant à une clause conférant juridiction aux tribunaux d'une autre province canadienne ainsi qu'à une clause (que l'on retrouve dans de nombreux contrats de franchise) conférant juridiction aux tribunaux d'un district judiciaire particulier du Québec (par exemple, le district judiciaire du franchiseur).
Pour prévenir toute ambiguïté à ce chapitre, l'on peut notamment compléter la clause par l'ajout des mots « à l'exclusion de tout autre tribunal » ou, selon le cas, « à l'exclusion de tout autre district judiciaire ».
Ce qui est avant tout important est de se rappeler que la clarté, et l'uniformité, dans la rédaction des clauses d'une convention de franchise n'est pas seulement un caprice de juriste. Elle est très importante pour éviter de fort mauvaises surprises lorsque viendra le temps de les appliquer!
Dans plusieurs situations, la clarté d'une clause peut très bien faire la différence entre gagner, ou perdre, un procès.
Dans notre pratique en droit de la franchise, mes collègues de Fasken et moi sommes régulièrement confrontés à des contrats tirés de modèles non adaptés au franchiseur, à des contrats construits à partir de plusieurs autres contrats ou modèles (dont les clauses sont écrites dans des termes différents ou qui comportent plus d'une clause traitant, dans des termes différents, d'un même sujet), et de contrats rédigés de manière malhabile (souvent par des juristes qui ne sont pas vraiment expérimentés en droit de la franchise). Dans certains cas, il arrive même que des clauses soient très ambigües et d'autres carrément illégales (notamment au chapitre des clauses de non-concurrence), sans compter les cas où le contrat ne contient pas une ou plusieurs clauses qui seraient importantes pour bien protéger les droits du franchiseur.
Je vous laisse imaginer le risque qu'encourt le franchiseur après avoir signé de tels contrats avec 10, 25 ou encore plus de franchisés!
La prévention et le règlement efficaces de différends franchiseurs-franchisés commencent par la rédaction de contrats clairs, complets et bien adaptés au franchiseur.
Dans son livre incontournable Le droit de la franchise au Québec (dont une réédition mise à jour sera publiée dans les quelques prochains mois), mon collègue et ami, Frédéric Gilbert, a d'ailleurs consacré tout un chapitre (le chapitre VII) aux clauses que l'on devrait retrouver dans une convention de franchise ainsi qu'à leur rédaction.
Fasken possède toute l'expertise et toutes les ressources nécessaires pour vous aider à rédiger des ententes qui protègent bien vos droits, et pour vous assurer que celles-ci soient et demeurent vraiment adaptées à vos besoins.
[1] Le franchiseur Holiday Hospitalily Franchising LLC a déposé auprès de la Cour d'appel du Québec une requête pour permission d'en appeler de ce jugement. Quelle que soit la décision que la Cour d'appel du Québec rendra éventuellement dans cette affaire, les principes et les précautions énoncés dans cet article demeurent exacts et importants.