Mercredi dernier, le 4 juillet 2018, le projet de règlement intitulé « Exceptions à l'interdiction de payer ou de rembourser le prix d'un médicament ou d'une fourniture dont le paiement est couvert par le régime général d'assurance médicaments » a été publié dans la Gazette officielle du Québec.
Plus de 18 mois après la sanction du projet de loi 92, le gouvernement dévoile donc enfin les exceptions qui permettront la mise en œuvre de certains programmes d'aide financière. Mais, la série d'exceptions dévoilée le 4 juillet comporte-t-elle de véritables exclusions ou est-ce plutôt un revirement sur l'interdiction générale énoncée à la loi?
Depuis l'adoption du projet de loi 92, la Loi sur l'assurance médicaments (RLRQ, c. A-29.01) énonce une nouvelle interdiction pour les fabricants, grossistes et intermédiaires de payer ou de rembourser une partie ou la totalité d'un médicament inscrit à une personne couverte par le régime général au Québec, et ce, autant pour les bénéficiaires du secteur public que du secteur privé.[1]
Rappelons que dans le cadre des débats ayant mené à l'adoption du projet de loi 92, il avait été convenu de reporter l'entrée en vigueur de l'interdiction jusqu'à ce que le ministre de la Santé et des Services sociaux (le « ministre ») définisse un cadre réglementaire afin de permettre certaines exceptions, notamment pour des raisons humanitaires. À l'époque, l'objectif était de limiter les perturbations qu'aurait engendrées une interdiction soudaine de l'ensemble des programmes de support aux patients comportant un volet financier.
Pendant plus d'une année et demie, les experts du ministre se sont donc penchés sur la question des programmes de support aux patients, pour en venir finalement à dévoiler un projet de règlement tenant en trois courts articles. Malgré leur concision, ces articles auront un impact significatif sur le sort des programmes de support et sont d'autant plus surprenants compte tenu de ce qui avait été annoncé dans le projet de loi 92.
Article 1
L'article 1 du projet de règlement précise que les fabricants, grossistes et intermédiaires peuvent rembourser le prix des médicaments couverts lorsque i) la méthode du prix le plus bas ne s'applique pas ou ii) aucune version générique ou biosimilaire n'est remboursée.
Remarquons que le ministre a en quelque sorte renversé l'interdiction générale prévue à la loi et finalement choisi d'éviter de circonscrire les types de paiements ou remboursements exemptés en fonction du caractère humanitaire des programmes. Plutôt que d'édicter des exceptions précises et détaillées, le projet de règlement suggère essentiellement et simplement que les programmes de support financier ne soient pas interdits, à moins que la méthode du prix le plus bas s'applique ou qu'un médicament générique ou biosimilaire soit couvert par le régime.
Même lorsqu'une version générique est remboursée, une certaine interprétation de l'article 1 suggère qu'une aide financière pourrait être offerte si le médecin indique de ne pas substituer le médicament innovateur conformément aux normes en vigueur.[2] Notons toutefois que le langage du projet actuel génère une confusion importante à ce sujet, à savoir si tous les médicaments pour lesquels la méthode du prix le plus bas ne s'applique pas (incluant les produits prescrits avec la mention de non substitution) sont exemptés de l'interdiction ou si seuls les médicaments inscrits à la « Liste des médicaments pour lesquels la méthode du prix le plus bas ne s'applique pas[3] » sont visés.
Par ailleurs, nul doute que les programmes de type loyauté visant le maintien de l'utilisation d'un médicament innovateur suite à l'inscription à la liste des médicaments d'un concurrent générique seront bannis au Québec, dès l'entrée en vigueur du règlement. Cette interdiction arrive à point nommé pour les pharmaciens et elle sécurise leurs allocations professionnelles, alors que les membres de l' Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) viennent à peine d'entériner leur entente avec le ministre.
Somme toute, il s'agit d'une bonne nouvelle pour les patients qui, dans la plupart des cas, pourront continuer à bénéficier de programmes de support avec un volet financier, du moins jusqu'à l'inscription d'une version générique ou biosimilaire.
Quoi qu'il en soit l'exception énoncée à l'article 1 renvoie à la notion d' « inscription » en faisant fi de toute condition de remboursement reconnue dans le cas des médicaments d'exception. Or, l'utilisation de l'expression « inscription » n'est pas sans conséquence, puisqu'elle semble suffisamment large pour interdire tous les programmes compassionnels ou de copaiement lorsqu'un générique est disponible, à moins que le médecin ne mentionne que le produit ne peut pas être substitué. Ainsi, un patient recevant un produit innovateur pour une indication reconnue aux fins de remboursement par le régime général au Québec pourrait se voir interdire toute aide de la part de la compagnie novatrice dès l'inscription du générique, et ce, même si le produit générique en question est inscrit en vertu de conditions de remboursement différentes, ex. : plus limitatives.[4]
Article 2
L'article 2 comporte une clause grand-père permettant à des patients ayant bénéficié d'un paiement ou d'un remboursement avant l'entrée en vigueur de l'interdiction de continuer à recevoir cette aide financière.
Or, les fabricants, grossistes et intermédiaires visés par l'interdiction générale doivent demeurer prudents. En effet, la clause grand-père proposée ne permet pas la continuation de tous les programmes; elle permet seulement de payer ou rembourser une personne ayant bénéficié d'une aide financière dans le passé. L'adhésion de nouveaux patients à des programmes existants ne serait donc pas permise.
De fait, les intervenants offrant de l'aide financière devraient bien identifier les personnes qui ont bénéficié de paiements avant l'entrée en vigueur de l'interdiction, en prenant toutefois grand soin de respecter les règles applicables en matière de protection de la vie privée.
Article 3
L'article 3 concerne l'entrée en vigueur du règlement, qui par le fait même enclenchera l'entrée en vigueur de l'interdiction générale sous l'article 80.1(2) de la Loi sur l'assurance médicaments. Celle-ci est fixée au quinzième jour suivant la date de publication du règlement adopté dans la Gazette officielle du Québec.
Compte tenu de l'impact potentiellement important des changements proposés, les sociétés pharmaceutiques pourraient être très motivées à participer à la consultation du gouvernement sur le nouveau projet de règlement. Toute personne ayant des commentaires à formuler sur ce projet de règlement peut le faire par écrit dans un délai de 45 jours suivant la publication du projet de règlement.
[1] Loi sur l'assurance médicaments (RLRQ, c. A-29.01), article 80.1(2) [Non en vigueur]
[2] Voir : RAMQ Infolettre 265, Nouvelles règles concernant le recours à la mention « ne pas substituer », 19 février 2015, en ligne.
[3] Annexe V de la liste des médicaments publiée en vertu de l'article 60 de la Loi sur l'assurance médicaments (RLRQ, c. A-29.01).
[4] Il est toutefois utile de rappeler que l'interdiction générale de la loi ne devrait pas s'appliquer pour les médicaments prescrits dans le cadre d'une indication qui ne répond pas aux conditions de remboursement du régime général, même si une version générique ou biosimilaire est disponible, voire même remboursée par le régime.