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Le juste équilibre : la règlementation des boissons alcoolisées très sucrées

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Bulletin propriété intellectuelle et sciences de la vie

Le 24 mars 2018, Santé Canada a publié un Avis d’intention de modifier le Règlement sur les aliments et drogues (le « Règlement ») en vue de restreindre la quantité d’alcool dans les boissons alcoolisées très sucrées offertes en portions individuelles (c'est-à-dire, dans un contenant que l'on ne peut pas refermer). Cette proposition s’appliquerait aux boissons alcoolisées vendues en portions individuelles dont le taux de sucre excède un certain seuil (y compris les boissons qui contiennent des édulcorants).

Santé Canada a pris cette mesure à la suite du décès d’une jeune Québécoise de 14 ans dont le corps a été retrouvé après que celle-ci eut acheté et consommé illégalement plusieurs cannettes d’une boisson alcoolisée très sucrée contenant 11,9 % d’alcool, soit l’équivalent de quatre boissons alcoolisées.

(a) Changements apportés à la législation provinciale

À la suite de cet événement tragique, le gouvernement du Québec a promptement réagi en signalant son intention de modifier la législation provinciale relative à la vente de boissons alcoolisées très sucrées.  Le 21 février 2018, Martin Coiteux, ministre de la Sécurité publique du Québec, a déposé le projet de loi 170 en vue de moderniser la législation actuelle du Québec relative aux permis d’alcool et d’autres dispositions législatives relatives à la vente et à la consommation de boissons alcoolisées. Le projet de loi 170, qui a été adopté le 12 juin 2018, apporte les changements suivants :

  • La vente de certaines boissons alcoolisées, soit les boissons à base de bière contenant plus de 7 % d’alcool, sera interdite dans les épiceries et les dépanneurs;
  • Des sanctions pécuniaires (de moins de 100 000 $) seront également introduites en cas de violation du Règlement sur la promotion, la publicité et les programmes éducatifs en matière de boissons alcooliques, notamment dans les cas de publicité de boissons alcoolisées faite auprès de mineurs;
  • L’introduction d’exigences de formation sur la consommation responsable de boissons alcoolisées pour tous les détenteurs de licences, toutes les personnes assurant la gestion d’un établissement ayant obtenu une licence et tout autre membre du personnel d’un détenteur de licence[1].

En outre, et dans la mesure où la réglementation relative à l’alcool constitue une responsabilité partagée entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux[2], le gouvernement provincial du Québec a demandé avec insistance que Santé Canada prenne des mesures qui relèvent de ses compétences pour modifier ses règlements relatifs à la teneur d’alcool dans ces boissons. Par conséquent, Santé Canada a publié un Avis d’intention à cet égard et on prévoit que le Règlement sera modifié à l’automne 2018, au terme des audiences parlementaires.

(b) Proposition législative du gouvernement fédéral

Au printemps 2018, suivant la publication de l’Avis d’intention de Santé Canada, plusieurs groupes de l’industrie ont témoigné devant le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes (le « Comité »). Plus récemment, le 19 juin 2018, le Comité a publié un rapport sur les boissons alcoolisées prémélangées à teneur élevée en sucre (le « Rapport »). Le Rapport contient quinze recommandations visant à limiter la teneur en alcool, en sucre et en caféine des boissons. Les recommandations principales sont les suivantes :

  • La teneur en alcool de ces boissons devrait être limitée à 13,5 g d’alcool, ou 17,05 ml, soit un contenu équivalent à une consommation standard.
  • Le taux de sucre de ces produits devrait être établi à 5 %.
  • La teneur en caféine devrait être restreinte à 30 mg par consommation standard d’alcool.
  • L’étiquette des boissons alcoolisées en vente au Canada devrait indiquer le nombre de portions standards d’alcool ainsi que leur teneur en sucre, en calories, en caféine et autres stimulants.
  • Les étiquettes, les emballages et la commercialisation de boissons alcoolisées qui attirent les jeunes devraient être interdits.
  • Des taxes d’accise devraient être imposées à toutes les boissons alcoolisées à un taux fixe par portion standard, ou, dans les cas de boissons alcoolisées très sucrées, au même taux que les spiritueux, en plus d’établir un prix minimum pour une portion standard d’alcool.

(c) Le Règlement fédéral actuellement en vigueur régissant les boissons énergisantes contenant de la caféine

À l’heure actuelle, la règlementation canadienne interdit la vente de boissons énergisantes caféinées (BEC) contenant de l’alcool ainsi que l’ajout de caféine aux boissons alcoolisées. Il n’est toutefois pas interdit aux fabricants d’ajouter à leurs boissons alcoolisées des ingrédients aromatisants, comme le guarana, et qui eux-mêmes contiennent de la caféine. En outre, il n’est pas interdit aux fabricants d’ajouter à leurs boissons alcooliséesdes ingrédients comme le cola ou d’autres boissons gazeuses qui peuvent contenir de la caféine comme additif alimentaire.

En octobre 2011, Santé Canada a annoncé son intention de classifier et de règlementer les BEC en tant qu’aliments. En effet, Santé Canada a déterminé que, compte tenu des habitudes de consommation, de l'historique d'utilisation et de la présentation aux consommateurs, et en vertu de ses propres lignes directrices relatives à la classification de produits de santé naturels, les BEC correspondent à la définition règlementaire d’un aliment plutôt qu’à celle d’un produit naturel.  Pour commercialiser légalement ces produits au Canada, les fabricants sont actuellement tenus d’obtenir une autorisation de mise en marché temporaire (AMT) auprès de Santé Canada.

Pour obtenir une AMT, les entreprises sont tenues de recueillir des données sur tout incident lié à la consommation de leurs produits, et d’en faire rapport, afin que Santé Canada puisse comprendre et surveiller les effets à long terme de la consommation de BEC.

De plus, en 2012, Santé Canada a publié un document d’orientation dans lequel une approche est proposée relativement aux exigences réglementaires en matière de sécurité, afin de tenir compte des façons dont les BEC sont vendus aux Canadiens et consommés par ces derniers. En plus d’interdire la vente de BEC contenant de l’alcool, Santé Canada a établi que la concentration en caféine de BEC doit être au minimum 200 ppm (mg/L) et au maximum 400 ppm. En outre, la teneur maximale en caféine d’un contenant individuel ne devrait pas dépasser 180 mg (les contenants non réutilisables et les contenants de moins de 591 ml étant considérés comme des contenants individuels). De la même façon, les contenants de plusieurs portions ne devraient pas contenir plus de 180 mg de caféine par portion de 500 ml. De surcroît, les BEC ne devraient pas contenir plus de 25 % de jus, de purée ou de pulpe de fruits ou de jus de légumes.

Par ailleurs, de nombreuses lignes directrices en matière d’étiquetage et de marketing ont été adoptées, notamment les avertissements obligatoires tels que « Ne mélangez pas avec de l’alcool » et « À teneur élevée en caféine », et l’interdiction de commercialiser les BEC auprès des enfants ou en tant que forme d’hydratation ou de remplacement d’électrolytes lors d’activités physiques.

Actuellement, Santé Canada interdit la vente de boissons alcoolisées et de boissons mélangées auxquelles de la caféine a été ajoutée, peu importe que la caféine provienne d’une source artificielle ou naturelle. Toutefois, les boissons alcoolisées sucrées qui ne contiennent que de la caféine d’origine naturelle ont réussi à bénéficier d’un vide réglementaire pour se retrouver sur les tablettes d’épiceries et de dépanneurs à l’échelle du pays.

Il reste à voir si Santé Canada imposera des restrictions en matière d’alcool et introduira des lignes directrices en matière d’étiquetage semblable à celles qui visent les BEC aux boissons alcoolisées très sucrées en portions individuelles. 

Peu après que Santé Canada a manifesté son intention de modifier le Règlement relatif aux boissons alcoolisées sucrées, l’Agence canadienne d'inspection des aliments a publié, le 16 juin 2018, un Résumé de l'étude d'impact de la règlementation ainsi que des modifications proposées du règlement concernant la teneur maximale en sucre des bières. En particulier, les modifications proposées limiteraient à 4 % le sucre résiduel par poids, ce qui constitue une mesure claire et objective visant à respecter l’intégrité de la bière contrairement aux boissons à base de malt plus sucrées. La vente de boissons qui excèdent la limite de 4 % de sucre résiduel sera interdite en tant que bière et la désignation de bière ne pourra pas être utilisée pour ces boissons; elles devront donc être réétiquetées. Certaines bières existantes devront également être reformulées afin de respecter la limite de 4 % de sucre et être réétiquetées pour refléter ce changement d’ingrédients. Les commentaires à ce sujet peuvent être soumis jusqu’au 14 septembre 2018.


 


[1]Le Règlement de l’Ontario relatif à la vente de boissons alcooliques dans les magasins du gouvernement interdit actuellement aux épiceries de vendre de la bière ou du cidre contenant plus de 7,1 % d’alcool ou tout panaché au malt. Le Retail Liquor Store Handbook de l’Alberta interdit aux épiceries de vendre des boissons énergétiques ou toute boisson contenant de la caféine, des ingrédients végétaux, de la taurine ou d’autres vitamines et minéraux.

[2] La compétence fédérale en matières criminelles constitue la base générale pour le gouvernement fédéral de légiférer dans de nombreux secteurs du domaine de la santé, notamment les aliments et les drogues, les produits industriels et de consommation et les substances contrôlées. Ainsi, le gouvernement fédéral dispose du pouvoir de légiférer relativement au contenu des aliments et drogues. Pour leur part, les provinces sont responsables d’adopter les lois et les règlements relatifs à la vente et à la distribution de boissons alcoolisées, la surveillance à cet égard étant généralement assurée par les régies ou commissions des alcools provinciales. Elles peuvent établir des règlements supplémentaires en matière d’étiquetage à des fins de santé et de sécurité en ce qui a trait aux boissons alcoolisées et contrôler l’accessibilité par l’établissement de prix, l’octroi de licences aux points de vente, la détermination des heures d’ouverture et l’imposition d’un âge minimum pour la consommation d’alcool.

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  • Jean-Philippe Mikus, Associé | Agent de marques de commerce | Propriété intellectuelle, Montréal, QC, +1 514 397 5176, jpmikus@fasken.com
  • Dara Jospé, Associée | Propriété intellectuelle, Montréal, QC, +1 514 397 7649, djospe@fasken.com
  • Eliane Ellbogen, Avocate | Agente de marques de commerce, Montréal, QC, +1 514 397 5130, eellbogen@fasken.com

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