Dans ce monde de plus en plus technologique, pour un nombre sans cesse grandissant d'entreprises, l'importance et la valeur de leurs actifs intangibles (droits de propriété intellectuelle, technologies, secrets commerciaux, listes de clients, achalandage, savoir-faire, etc.) dépassent aujourd'hui de beaucoup celles de leurs actifs tangibles (immeubles, installations, équipements, stocks, etc.).
Ceci est encore plus vrai pour tout réseau de franchises dont une portion très importante des actifs est constituée de trois éléments-clés :
- ses contrats avec ses franchisés;
- son savoir-faire, et;
- ses droits de propriété intellectuelle.
J'ai maintes fois écrit (et je le ferai sans doute encore souvent) sur l'importance pour tout franchiseur de se doter de contrats complets et bien adaptés à son secteur d'activités, à son modèle d'affaire propre et à son fonctionnement particulier, de même que de bien gérer son portefeuille de contrats. Ce dernier point peut être adressé notamment en s'assurant que ceux-ci soient bien signés par toutes les parties en temps opportun et que tout renouvellement et toute modification soient aussi bien documentés.
Le présent article portera donc sur un autre des éléments-clés de la valeur de tout réseau de franchises : ses droits de propriété intellectuelle et ses renseignements confidentiels.
Comme il s'agit là d'un domaine à la fois très large et parfois quelque peu complexe, je me limiterai ici à vous proposer quelques conseils simples et pratiques qui vous permettront de renforcer la protection de vos biens intangibles et, d'autant, d'en maximiser la valeur.
Vos marques de commerce
Les marques de commerce constituent la première catégorie d'actifs intangibles à laquelle pense tout conseiller juridique d'un franchiseur.
Le portefeuille de marques de commerce du franchiseur représente un volet important de la valeur de son réseau. Il est aussi un outil très important dans le cadre de toute action entreprise contre un concurrent déloyal, un franchisé délinquant ou un ex-franchisé qui tente de s'approprier une partie de l'achalandage du réseau.
Quelques franchiseurs croient à tort que les marques ne protègent que le nom et le logo de leur entreprise. Certains croient aussi que le seul fait que leur société porte un nom ou a fait immatriculer un nom d'entreprise au Registre des entreprises du Québec leur procure une protection adéquate sur ce nom, ce qui n'est pas le cas.
La protection d'une marque de commerce ne peut découler que de deux sources :
• son utilisation dans une région géographique donnée (dans lequel cas, sa protection est limitée en principe à cette région géographique à moins de démontrer qu'un nombre suffisant de consommateurs résidant ailleurs connaissent la marque), ou;
• son enregistrement au Registre des marques de commerce (Canada) (lequel lui procure une protection légale dans l'ensemble du pays).
Bien qu'il procure beaucoup d'avantages importants, l'enregistrement d'une marque de commerce n'est pas une formalité obligatoire. Cependant, pour un franchiseur (dont la mission consiste à constamment développer son réseau dans de nouveaux marchés), je dirai qu'un tel enregistrement est presque incontournable puisque les marques de commerce non enregistrées ne bénéficient d'aucune protection dans un marché avant d'y être utilisées ou autrement reconnues.
Aussi, peuvent être enregistrés et protégés à titre de marques de commerce beaucoup d'autres éléments que le nom et le logo d'une entreprise. Par exemple, les noms et logos de produits ou de services, les slogans publicitaires et promotionnels, les noms et logos d'outils particuliers (tels des logiciels). De grands franchiseurs ont même réussi à protéger comme marques de commerce l'apparence particulière de leurs points de vente (comme la forme d'un restaurant), des couleurs distinctives, une ritournelle (« jingle ») qui les distinguent, et des formes de contenants ou des ajouts à des contenants, etc.
Nous en sommes même aujourd'hui rendus au point que certaines odeurs distinctives (notamment dans le domaine de la parfumerie) pourraient potentiellement faire l'objet de protection en tant que marques de commerce. Il ne nous manque que des saveurs particulières…
Bien que la plupart des franchiseurs possèdent moins de cinq marques de commerce enregistrées, plusieurs en possèdent des dizaines et quelques-uns plus d'une centaine.
Il est aussi intéressant de savoir que certains éléments décoratifs d'un établissement franchisé (par exemple une tapisserie, un dessin sur un mur ou un tapis original) peuvent être protégés, au Canada, en vertu de la Loi sur les dessins industriels et, aux États-Unis, par un Design Patent.
Voici quelques conseils simples et pratiques en matière de marques de commerce :
• Avec l'assistance de votre avocat(e) en propriété intellectuelle, identifiez tous les éléments distinctifs de votre réseau et de son marketing qui peuvent constituer des marques de commerce et assurez-vous de bien les protéger, notamment en les enregistrant au Registre des marques de commerce (Canada).
Pour vos marques de commerce les plus importantes, vous pouvez aussi en enregistrer diverses variantes (nom en français, nom en anglais, dessin seulement, dessin et couleur, nom et dessin combinés, etc.), ce qui aura notamment pour effet d'en accroître le niveau de protection combiné.
• Traitez votre portefeuille de marques de commerce comme votre portefeuille d'investissements : révisez-le régulièrement et procédez rapidement à tout ajout ou changement nécessaire pour qu'il demeure complet et à jour.
• Assurez-vous que toute personne qui utilise l'une ou l'autre de vos marques de commerce ait signé une entente rencontrant les exigences prescrites par l'article 50 de la Loi sur les marques de commerce (Canada) afin d'en préserver la validité.
• Lors de toute utilisation, que ce soit par vous, par un franchisé ou par toute autre personne autorisée, de quelque marque de commerce (enregistrée ou non), assurez-vous de bien mettre les mentions appropriées pour indiquer qu'il s'agit d'une marque de commerce qui vous appartient.
• Agissez rapidement dans le cas où vous avez connaissance de quelque usage non autorisé de l'une ou l'autre de vos marques de commerce (enregistrée ou non).
Le simple fait de ne pas agir contre tout usage non autorisé de l'une de vos marques de commerce peut éventuellement lui faire perdre son caractère distinctif, lequel est essentiel à sa protection.
• Enfin, enregistrez le plus rapidement possible vos principales marques de commerce (celles qui distinguent votre réseau de ses concurrents) dans tous les pays où vous prévoyez développer votre réseau au cours des prochaines années.
Sauf pour quelques exceptions, les enregistrements de marques de commerce sont nationaux, c'est-à-dire qu'ils doivent être faits par pays et que l'enregistrement dans un pays ne procure aucune protection dans un autre pays.
Dans environ la moitié des affaires où j'ai conseillé des franchiseurs aux fins de projets d'expansion de leurs réseaux dans d'autres pays, nous avons été confrontés à des enregistrements de marques de commerce précédemment faits par des personnes bien ou mal intentionnées.
Cela soulève toujours des enjeux délicats, et souvent coûteux, à régler puisqu'il faut parfois acheter les marques de commerce ainsi enregistrées par de telles autres personnes.
Vos documents, logos, dessins, photos, logiciels, annonces, vidéos, etc.
Comme je le mentionne plus tôt, la plupart des franchiseurs connaissent l'importance des marques de commerce.
Plusieurs connaissent cependant beaucoup moins les droits d'auteur et, de ce fait, en sous-estiment l'importance et la portée.
Les droits d'auteur ont, en franchisage, une portée très large.
Il peuvent couvrir tous les textes (imprimés et électroniques), les logiciels, les dessins, les vidéos, les annonces publicitaires (imprimées, électroniques, radiophoniques et télévisuelles), les ritournelles (« jingles »), les dessins (y compris les logos), les menus, les combinaisons particulières d'information (notamment des répertoires) et plusieurs autres outils utilisés par des franchiseurs.
Contrairement à la protection des marques de commerce, la protection des droits d'auteur s'étend automatiquement à l'international.
Quoiqu'il soit possible d'enregistrer des droits d'auteur, un tel enregistrement n'est pas un prérequis à leur protection, laquelle découle seulement de leur création originale.
Il est cependant important de savoir que, dans la plupart des cas, le premier détenteur du droit d'auteur est la personne qui a rédigé ou conçu l'œuvre protégée. Ainsi, lorsqu'un franchiseur confie à un fournisseur de services (tel un designer ou une agence de publicité) la réalisation d'une œuvre pouvant être protégée par droit d'auteur, le premier propriétaire de ce droit peut très bien être cette personne mandatée par le franchiseur à moins qu'une entente ne prévoie que le droit d'auteur est cédé au franchiseur.
Voici quelques conseils simples et pratiques en matière de droit d'auteur :
• Avec l'assistance de votre avocat(e) en propriété intellectuelle, identifiez périodiquement tous les éléments de votre réseau et de son marketing qui peuvent être protégés en vertu d'un droit d'auteur;
• Assurez-vous que toute entente avec une personne pouvant être appelée à produire quelque document, logiciel, dessin, photo ou autre œuvre pouvant bénéficier d'un droit d'auteur comporte une clause stipulant que tout tel droit d'auteur est cédé au franchiseur. N'oubliez pas qu'il faut en principe obtenir le consentement des individus représentés dans ces œuvres et il est fortement recommandé d'obtenir ceci par écrit;
• Assurez-vous que toutes les œuvres pouvant être protégées par droit d'auteur comportent une mention (laquelle est d'ailleurs reconnue internationalement) indiquant clairement que cette œuvre est protégée par un droit d'auteur qui vous appartient.
Cette mention consiste dans le symbole © suivi du nom du titulaire du droit d'auteur et de l'année de la première publication de l'œuvre.
Vos secrets de commerce et renseignements confidentiels
L'une des limitations importantes à la protection par droit d'auteur consiste dans le fait que le droit d'auteur ne protège pas les idées contenues dans une œuvre, mais seulement leur expression visuelle ou auditive.
Par exemple, le droit d'auteur empêchera la reproduction ou la diffusion d'un manuel d'exploitation original, mais généralement non la mise en œuvre des directives, des processus ou des conseils qui y sont contenus.
De manière générale, les lois protégeant les droits de propriété intellectuelle ne protègent pas les idées et les concepts.
Sauf pour ce qui peut être protégé par un brevet d'invention (des mécanismes, des équipements, des outils, des formules chimiques, etc.), la seule façon de protéger la confidentialité d'idées, de processus, de modèles d'affaires, de modes de fonctionnements, de concepts, de recettes, etc. consiste à prendre les moyens appropriés pour en préserver la confidentialité.
Une fois cette confidentialité brisée, finie la protection.
Voici quelques conseils simples et pratiques en matière de protection de secrets de commerce et de renseignements confidentiels :
• Identifiez périodiquement tous les documents (sous quelque forme et sur quelque support que ce soit) de votre réseau, de son fonctionnement et de son marketing comportant quelque secret de commerce ou renseignement confidentiel;
• Mettez en place les outils physiques (voûtes, classeurs sous serrure, pièces à accès limité, etc.) et technologiques (accès sécurisés, mots de passe, outils empêchant l'impression, le chargement ou l'envoi, etc.) afin de maintenir en sécurité tous vos documents confidentiels, renseignements confidentiels, secrets de fabrication, secrets de commerce, recettes confidentielles, etc.;
• Prenez toutes les mesures nécessaires pour restreindre toute diffusion de ces documents, secrets et renseignements aux seules personnes qui en ont vraiment besoin pour leurs activités au sein du réseau.
• Mentionnez clairement sur tous ces documents, secrets et renseignements que ceux-ci sont confidentiels et que toute reproduction, copie ou diffusion est interdite sans votre autorisation expresse.
Évitez cependant de ratisser trop large en identifiant tous vos documents, y compris ceux ne comportant que des renseignements de routine ou des renseignements de connaissance publique, comme étant confidentiels, ce qui limitera la portée de cet avertissement (les personnes concernées n'étant alors pas en mesure de distinguer les documents qui sont vraiment confidentiels de ceux qui ne le sont pas).
• Obtenez de toute personne ayant accès à tout tel document, secret ou renseignement un engagement signé de confidentialité préparé par un professionnel expérimenté en la matière.
Dans le cas de vos franchisés, votre convention de franchise devrait contenir les clauses appropriées de confidentialité pour bien protéger vos renseignements et documents confidentiels.
• Mettez en place des outils de suivi permettant de reconnaître tout document confidentiel et d'en identifier la source.
Par exemple, pour les documents imprimés, il est possible d'en numéroter chaque exemplaire (idéalement sur toutes les pages) afin d'en suivre le cheminement (en notant chaque personne qui détient, ou a accès, à chaque exemplaire numéroté).
Certains franchiseurs plus rusés insèrent également quelques modifications, ajouts ou erreurs (notés et conservés) différents dans chaque exemplaire, ce qui leur permet de reconnaître l'exemplaire original utilisé aux fins de quelque copie, reproduction, diffusion ou envoi non autorisé.
Pour les documents conservés sur support électronique, il existe aussi toute une panoplie d'outils technologiques permettant d'identifier et de suivre la trace de toute personne qui y a, ou tente d'y avoir, accès.
Vos procédés, équipements et outils particuliers
Enfin, et bien que ceci soit beaucoup moins fréquent, il est toujours possible que certains éléments d'un réseau de franchises puissent constituer des inventions qui peuvent être protégées en vertu de la Loi sur les brevets (Canada).
Ce peut être notamment le cas pour des équipements, des outils ou des accessoires (par exemple des moules) particuliers.
Depuis les quelques dernières années, certaines entreprises (dont Amazon) ont aussi réussi à obtenir des brevets pour des mécanismes informatiques et technologiques.
Il s'agit donc là d'une possibilité qui, même si elle est d'application plus restreinte, il ne faut pas oublier ou sous-estimer.
Ces quelques conseils ne sont pas exhaustifs et une consultation avec un(e) avocat(e) spécialisé(e) en la matière pourra vous fournir plusieurs autres outils importants pour mieux protéger vos biens intangibles.
Fasken possède toute l’expertise et toutes les ressources nécessaires pour vous aider à bien protéger, et à maximiser la valeur, de vos actifs intangibles, et ce, autant au Canada que partout ailleurs au monde.