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Un nouveau facteur à prendre en considération dans l’évaluation de ce qui constitue une période de préavis raisonnable ?

Fasken
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Bulletin Travail, emploi et droits de la personne

En l'absence de clauses contractuelles exécutoires limitant les prestations auxquelles un employé est admissible lors de la cessation de son emploi, celui-ci a droit à une période de préavis raisonnable en vertu de la common law. Il est généralement reconnu que le plafond d'un tel préavis est de 24 mois. Si les tribunaux ont déjà accordé une période de préavis de plus de 24 mois, de telles décisions étaient en général motivées par des circonstances uniques ou exceptionnelles. La Cour supérieure de justice de l'Ontario, dans l'affaire Dawe c. Equitable Life Insurance Company, 2018 ONSC 3130, semble avoir élargi l'interprétation du concept de circonstances [traduction] « exceptionnelles ».

Les faits

Le demandeur (D), occupait un poste de vice-président principal et comptait 37 années de service lorsqu'il a fait l'objet d'un congédiement sans motif valable. Il était alors âgé de 62 ans et avait reçu une indemnisation comprenant salaire, prime et avantages sociaux. Au moment de la cessation de son emploi, l'employé touchait un salaire de 249 000 $ et il avait reçu une prime d'environ 379 000 $ l'année précédente. 

Pendant la durée de l'emploi de D, l'employeur avait apporté unilatéralement plusieurs changements aux régimes de primes. Ces modifications portaient notamment sur la formule de calcul des paiements ainsi que sur les critères d'admissibilité. Plus particulièrement, les régimes de primes avaient été modifiés par l'inclusion de clauses limitant le droit d'un employé à une prime au-delà de son dernier jour d'emploi actif : « Il ne sera pas tenu compte des primes gagnées et des primes effectivement versées pour déterminer l'admissibilité éventuelle à un préavis de congédiement, à une indemnité de départ, à un préavis en vertu de la common law ou à une indemnité tenant lieu de préavis ». Les employés avaient été informés des modifications apportées aux régimes par le biais d'une note de service.

Dans sa requête en jugement sommaire, D contestait à la fois la période de préavis et les clauses de déchéance. Il alléguait avoir droit à une période de préavis de 30 mois et au versement des primes gagnées pendant cette période.

Décision

Si la Cour a confirmé que seules des circonstances « exceptionnelles » pouvaient justifier l'octroi d'une période de préavis de plus de 24 mois, elle a également reconnu que [traduction] « le changement sociétal de mentalité à l'égard de la retraite » était un facteur dont il fallait tenir compte pour déterminer s'il existait de telles circonstances « exceptionnelles ». Pour en arriver à cette conclusion, la Cour a pris en considération les éléments suivants :

  • Les modifications apportées aux régimes de retraite touchant des travailleurs dans toute la province, l'abolition de la retraite obligatoire et le fait que bon nombre d'employés continuent de travailler après 65 ans ;
  • La volonté de D de continuer de travailler au moins jusqu'à l'âge de 65 ans ;
  • Les facteurs énumérés dans l'arrêt Bardal (âge, nature de l'emploi, ancienneté et possibilité d'obtenir un poste similaire) et l'argument selon lequel D aurait dû être [traduction] « autorisé à prendre sa retraite à ses propres conditions ».

De l'avis de la Cour, la prise en compte de ces facteurs mènent à conclure à l'existence de circonstances « exceptionnelles » justifiant l'octroi d'une période de préavis de 36 mois. Toutefois, D n'ayant demandé que 30 mois, la Cour s'en est tenue à la demande de celui-ci.  

En ce qui concerne le droit de D à une prime durant la période de préavis, la Cour a statué que les clauses de déchéance insérées dans les régimes de primes étaient inexécutables. D était ainsi en droit de recevoir le versement de ses primes pendant toute la période de préavis de 30 mois. Pour arriver à cette conclusion, la Cour a pris en considération les éléments suivants :

  • Les clauses de déchéance n'avaient pas été expressément portées à l'attention de D;
  • Même si D n'avait pas contesté les modifications apportées unilatéralement aux régimes de primes, il ne pouvait pas avoir accepté les clauses de déchéance ou y avoir acquiescé puisque l'employeur n'avait pas demandé à ses employés d'approuver de tels changements;
  • Bien qu'il existait plusieurs clauses de déchéance portant sur les critères d'admissibilité au versement des primes au moment de la cessation d'emploi, aucune des dispositions ne faisait explicitement allusion au traitement des primes au moment de la cessation d'emploi et à l'effet de telles primes sur la période de préavis aux termes de la loi ou de la common law.  

Cette affaire a été entendue par la Cour d'appel le 4 février 2019. La décision de la Cour d'appel est maintenant en délibéré; cette dernière étant attendue dans les six prochains mois.

Ce que les employeurs doivent retenir

Si, traditionnellement, une période de préavis raisonnable supérieure à 24 mois est octroyée lorsque des circonstances « exceptionnelles » le justifiaient, la Cour, en introduisant dans son analyse un nouveau facteur (le [traduction] « changement sociétal de mentalité à l'égard de la retraite »), pourrait avoir ainsi élargi la gamme des éléments à prendre en considération pour statuer quant au caractère raisonnable d'un préavis. Notons toutefois que la décision relativement à l'appel est pendante.

Nous rendrons compte de l'issue de cet appel. Cette décision pourrait amener les employeurs qui mettent fin à l'emploi d'employés âgés à prendre en considération certains éléments additionnels, et notamment à prendre les mesures suivantes :

  • Rédiger des clauses de cessation d'emploi et de déchéance claires et dépourvues de toute ambiguïté, qui limitent de façon effective les prestations auxquelles a droit un employé à la cessation de son emploi ;
  • Envisager la possibilité d'exiger une renonciation au droit à des prestations excédant le minimum prévu par la loi ;
  • Veiller à ce que les modifications apportées unilatéralement aux modalités d'emploi soient communiquées de façon claire aux employés.

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Auteure

  • Avneet Jaswal, Avocate-conseil, Toronto, ON, +1 416 865 4396, ajaswal@fasken.com