Divers instruments juridiques régissent l’emballage et l’étiquetage de produits, tant au niveau fédéral que provincial. Ces lois et règlements répondent à différents impératifs, notamment en ce qui a trait à la protection du consommateur et à la protection de la langue française. À cet égard, comment s’entrelacent les règles relatives aux marques de commerce, ces dernières étant élaborées au niveau fédéral en ayant en tête tant les consommateurs anglophones que francophones ou bilingues, avec les instruments juridiques mis en place afin de préserver la langue française au Québec? Et qu’en est-il de l’application des règles québécoises aux emballages des divers produits offerts au public canadien, qui eux doivent répondre aux exigences fédérales en matière d’emballage et d’étiquetage des produits?
Le régime fédéral en matière d’emballage et d’étiquetage
Au niveau fédéral, la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation et son règlement régissent le cadre général vis-à-vis des inscriptions sur les produits destinés au marché canadien, et dans quelles langues celles-ci doivent apparaître. L’application des règles précises dépend du type de produit offert. Notamment, les règles diffèrent quelque peu pour ce qui est des cosmétiques comparativement aux aliments. Il nous faut donc, avant tout, déterminer quel règlement s’applique, pour ensuite passer au peigne fin les scénarios rendant impérative l’inscription dans les deux langues officielles pour certains éléments.
Le Règlement sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation précise que certaines inscriptions sur un produit doivent être affichées dans les deux langues. Il s’agit de :
- l’identité du produit, qui doit désigner le produit par son nom commun ou générique ou par sa fonction ; et
- de sa quantité nette.
- Le nom et l’adresse du principal établissement du fabricant peut y apparaître dans l’une ou l’autre des deux langues.
Pour être conforme à ce règlement, les inscriptions doivent être faites dans une police ayant au moins 1,6 millimètre de hauteur et de façon à être facilement lisible pour le consommateur dans les conditions normales ou habituelles de vente[1].
En ce qui a trait aux produits cosmétiques, le Règlement sur les cosmétiques précise, au surplus, que les éléments suivants doivent se retrouver tant en français qu’en anglais :
- la liste des ingrédients sauf si on utilise des appellations INCI (International Nomenclature Cosmetic Ingredient) ;
- tout renseignement technique concernant le type de produit, par exemple les avis liés au danger de combustion, etc. ; et
- le nom et l’adresse du principal établissement du fabricant, qui, contrairement au Règlement sur l’emballage, doit apparaître dans les deux langues.
Du côté des aliments, il s’agit de la Loi sur les aliments et drogues, accompagnée de son règlement, qui s’appliquent, en plus des dispositions générales en matière d’emballage. Le règlement précise que toutes les indications obligatoires y prévues doivent être dans les deux langues[2], notamment :
- le nom du produit ;
- la liste d’ingrédients et d’allergènes ;
- le fait que l’aliment ait été enrichi ;
- la quantité nette ;
- le tableau de la valeur nutritive ; et
- le mode de conservation.
Plusieurs autres dispositions exigent des mentions spécifiques pour certains types d’aliments, par exemple pour les produits alcoolisés, le miel ou les produits laitiers. La règlementation en matière d’aliments étant complexe et chaque type de produit ayant des exigences particulières, il est recommandé de vous informer auprès d’un conseiller juridique expert en la matière quant aux inscriptions à y apposer et à traduire.
Le régime provincial en matière de protection de la langue française
Au Québec, la Charte de la langue française (la « Charte ») précise que tout écrit apposé sur un produit, contenant, emballage ou objet accompagnant le produit doit être rédigé en français. Le texte en français peut être accompagné d’une traduction dans une autre langue, mais celle-ci ne doit pas prévaloir sur le français. Les deux langues peuvent néanmoins apparaître de façon égale. En outre, tous les documents dont est assorti le produit, tels que les modes d’emploi et les certificats de garantie, doivent être fournis en français minimalement, bien qu’ils puissent être accompagnés d’une version dans une autre langue[3]. Il existe toutefois certaines exceptions à l’inscription francophone obligatoire sur un produit, la principale étant qu’une marque de commerce « reconnue » au sens de la Loi sur les marques de commerce (la « Loi ») peut y apparaître de façon exclusive dans une langue autre que le français pourvu qu’aucune version française de la marque ne soit enregistrée au Canada[4].
En matière d’affichage, la règle générale introduite par la Charte indique qu’une affiche ou une publicité peut être faite à la fois en français et dans une autre langue, à condition que le français demeure nettement prédominant[5]. Lorsque l’affiche ou la publicité comporte une marque de commerce « reconnue » au sens de la Loi dans une langue autre que le français, celle-ci peut y apparaître de façon exclusive[6]. L’affichage qui comporte une marque de commerce visible depuis l’extérieur doit toutefois comporter une présence suffisante de français par l’entremise, entre autres, d’un élément descriptif des produits ou des services visés[7].
Le projet de loi 96, récemment déposé à l’Assemblée nationale du Québec, propose certaines modifications à la Charte, notamment en ce qui a trait à l’affichage public et à la publicité commerciale. Notre bulletin complémentaire portant spécifiquement sur le projet de loi 96 en traite en plus de détails.
Convergence entre les exigences en matière d’emballage et les marques de commerce
Tant le régime fédéral propre aux marques de commerce que celui relatif à l’emballage, de même que le régime québécois portant sur la langue française, ont des objectifs légaux différents. Le régime des marques a pour but de protéger tant l’achalandage du commerçant que le consommateur, afin que ce dernier puisse distinguer la source du produit ou le service désiré de celle de concurrents, permettant une indication fiable de l’origine des marchandises et services qu’il consomme. Le régime fédéral en matière d’emballage a également pour but de protéger le consommateur, qu’il soit anglophone, francophone ou bilingue. Ainsi, ce régime s’inscrit également dans une optique de protection des deux langues officielles du pays. Le régime québécois, quant à lui, a comme but premier de préserver la langue française.
Ainsi, tel qu’exposé précédemment, une marque « reconnue » au sens de la Loi dans une autre langue que le français peut être apposée sur l’emballage d’un produit sans aucune traduction française, à condition que la version française de la marque n’ait pas été enregistrée au Canada[8]. Si une telle traduction a été déposée, c’est alors cette dernière qui devra obligatoirement figurer sur l’emballage du produit (la version non-française pourra y apparaître sans toutefois prévaloir sur la version française).
Notons à cet égard, que l’expression « reconnue au sens de la Loi » a été interprétée comme désignant tant les marques enregistrées que non enregistrées, ces dernières pouvant être en cours d’instance d’enregistrement ou bénéficier de droits d’usage de common law[9]. Toutefois, l’enregistrement de la marque demeure souhaitable afin d’éviter toute ambiguïté possible quant au statut de la marque. Si une plainte est déposée à l’Office québécois de la langue française et que vous comptez faire reposer votre argumentaire sur une marque non enregistrée, vous aurez alors le fardeau de démontrer l’usage de celle-ci en tant que marque de commerce.
En outre, il arrive parfois que l’identité du produit, tel qu’exigé par la Loi sur l’emballage, et la marque ne fassent qu’un. Bien qu’une telle situation soit en théorie rare, puisqu’une marque ne doit pas décrire la nature du produit qui y est associé de façon claire, celle-ci peut toutefois être suggestive. Ainsi, il se pourrait qu’une marque – suggestive – fasse double emploi avec l’identité du produit. Se pose alors la question de savoir si une telle inscription, qui servirait à la fois d’identité du produit et de marque de commerce, puisse bénéficier de l’exception prévue par la Charte pour les marques de commerce. La réponse à cette question est non. En effet, bien que la marque elle-même puisse être en anglais uniquement, ce n’est pas le cas pour l’identité du produit au sens de la Loi sur l’emballage. Cette identité doit obligatoirement être inscrite dans les deux langues officielles, puisqu’elle permet au consommateur de reconnaître la nature du produit en question ou sa fonction. Il est donc impératif de respecter les exigences fédérales à ce sujet et d’indiquer l’identité du produit dans les deux langues officielles, même si l’identité du produit contient en tout ou en partie une marque de commerce.
Enfin, il convient de mentionner qu’il est possible de faire enregistrer plusieurs types d’inscriptions à titre de marque de commerce, que ce soit un logo, un slogan ou encore une étiquette de produit elle-même, le tout dépendant de plusieurs critères prévus à la Loi. Toutefois, si vous envisagez enregistrer votre marque en y incluant le design de l’étiquette du produit, il importe de porter attention à ne pas y insérer les exigences relatives à l’emballage, tel que la quantité nette par exemple, ce qui pourrait déformer la marque. Ces exigences doivent apparaître sur le produit, mais ne devraient pas faire partie intégrante de la marque elle-même.
Si vous ou votre entreprise envisagez la création d’un nouvel emballage pour vos produits, il est important de prendre les précautions nécessaires afin de vous assurer que celui-ci respecte les exigences énoncées à la Loi sur l’emballage ainsi que celles à la Charte afin de vous éviter les amendes pouvant aller jusqu’à 10 000 $ sous la législation fédérale et 20 000 $ sous la législation québécoise. En cas de doute, n’hésitez pas à avoir recours aux services d’un juriste pratiquant le droit des marques de commerce au Canada pour connaître les options s’offrant à vous ou votre entreprise.
Merci à Florence Rodrigue pour sa contribution à ce bulletin.
[1] Règlement sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation, art. 14.
[2] Règlement sur les aliments et drogues, article B.01.012 (2).
[3] Charte de la langue française, art. 51.
[4] Règlement sur la langue du commerce et des affaires, art. 7(4).
[5] Charte de la langue française, art. 58.
[6] Règlement sur la langue du commerce et des affaires, art. 25(4.
[7] Règlement sur la langue du commerce et des affaires, art. 25.1.
[8] Règlement sur la langue du commerce et des affaires, art. 7(4).
[9] Quebec (PG) c 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie’s), 2015 QCCA 354.