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La fin des travaux justifie les moyens légaux

Fasken
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Bulletin de construction

La notion de fin des travaux, sujet abordé ici, est primordiale pour tout promoteur immobilier, entrepreneur ou professionnel de la construction à plusieurs égards.

Dans un premier temps, c’est elle qui constitue le point de départ pour calculer la période de grâce afin de conserver l’hypothèque légale de la construction (art. 2727 du Code civil du Québec). En effet, si ces délais ne sont pas respectés, l’hypothèque légale peut être radiée.

C’est également le point de départ de la garantie contre la perte de l’ouvrage qui survient dans les cinq (5) ans à l’encontre des intervenants ayant participé à sa construction (art 2118 du Code civil du Québec), et la date de début du calcul de prescription (généralement de trois ans) du recours entre le client et son entrepreneur (art. 2116 et 2925 du Code civil du Québec).

Une décision récente de la Cour supérieure, 11489470 Canada inc. c. Constructions Maxime Langevin[1], rendue le 22 mars 2023, résume bien les principes qui doivent guider tout intervenant dans le milieu de la construction dans l’établissement de cette notion clé.

Critères d’analyse utilisés par les tribunaux

Une distinction s’impose afin de déterminer la fin des travaux entre, d’une part, des travaux prévus contractuellement, et, d’autre part, des travaux qui n’étaient pas prévus aux contrat, plans et devis [2]:

[51] En principe, lorsque l’étendue des travaux est contractuellement prévue, [la fin des travaux] survient lorsque le contrat d’entreprise est intégralement exécuté, ce qui comprend tous les travaux qui sont une suite logique de ceux qui y sont expressément mentionnés, aussi mineurs soient-ils. Pour les travaux qui ne sont pas expressément prévus au contrat, seuls ceux qui revêtent une certaine importance pour l’utilité de l’immeuble peuvent reporter la fin des travaux. Ainsi, la correction de déficiences ou de malfaçons ne retarde pas l’arrivée de la fin des travaux, pas plus que la non-conformité des travaux à la règlementation applicable en vigueur.

[52] Lorsque l’étendue des travaux n’est pas déterminée au contrat, la fin des travaux retenue pour la computation du délai applicable à l’hypothèque légale survient lorsqu’un amalgame d’indices démontre que l’immeuble est en état de servir à l’usage auquel on le destine, et ce, même s’il demeure certains travaux à exécuter.

Par conséquent, si des ajouts sont faits aux travaux initialement prévus, il faut alors se demander si ces ajouts sont accessoires aux travaux prévus au contrat, prévisibles lorsque le contrat fut signé, ou encore s’il s’agit d’ajouts indépendants des travaux initialement prévus[3]. Dans ce dernier cas, ces ajouts ne reportent pas la fin des travaux initiaux, étant considérés comme des travaux séparés, ayant leur propre finalité.

Enfin, il est intéressant de noter ce que les tribunaux examinent lorsque l’étendue des travaux n’est pas clairement définie et qu’il faut déterminer si les travaux sont terminés[4] :

[81] Étant donné que la fin des travaux est une question de fait, certains éléments factuels usuels permettent de présumer ou fournissent des indices que les travaux sont finis au sens de l’article 2110 C.c.Q.. L’occupation de l’édifice par le propriétaire, la réception provisoire, les propos et gestes de l’entrepreneur, la démobilisation du chantier, la fin des rapports journaliers, le paiement par l’entrepreneur des derniers comptes d’électricité et de gaz, le retrait des roulottes de chantier, la tenue d’une dernière réunion de chantier, sont autant d’indices qui permettent d’établir la date de la fin des travaux et le point de départ du délai de prescription.

De ce qui précède découle donc que la fin des travaux, telle que conçue au Code civil du Québec, ne tient pas d’un seul document, comme un certificat de fin des travaux ou de complétion substantielle, mais d’une analyse plus étendue, factuelle et technique.

Distinctions importantes

Comme il est énoncé dans la décision Langevin, les déficiences et malfaçons ne peuvent retarder la fin des travaux, puisque les correctifs sont considérés comme distincts des travaux qui doivent être terminés pour enclencher les délais prévus au Code civil.

Qu’en est-il de la mise en marche des équipements? Des tests pour établir la conformité du bâtiment? Ou encore des manuels à remettre en fin de chantier?

Bien qu’elle puisse être prévue au contrat, la remise de manuels, de documents de garantie ou autre documentation constitue une obligation contractuelle, sans être pour autant des travaux. Comme la Cour le souligne dans l’affaire Langevin, il importe de ne pas confondre «  la fin de [la] relation contractuelle […] et la fin des travaux pertinente pour la publication de l’Hypothèque, alors que ces deux moments ne coïncident pas nécessairement »[5].

Quant aux tests pour établir la conformité à certaines normes ou réglementation, ceux-ci ne sont pas des travaux au sens où l’entend le Code[6]. En effet, tout ce que peuvent révéler de tels tests est la présence d’une déficience, ou non, dans les travaux réalisés préalablement. Or, comme telle déficience ne saurait retarder la fin des travaux, il est logique que le test qui pourrait la dépister, sans rien ajouter de plus à l’ouvrage, ne saurait lui non plus retarder la fin des travaux.

Enfin, si la mise en marche est nécessaire à l’utilisation de l’ouvrage ou constitue une suite logique de sa construction ou fourniture, un délai dans la mise en marche emporterait normalement un délai de la fin des travaux.

Évidemment, il devient alors critique de distinguer la mise en marche (démarrer les appareils) des tests de bon fonctionnement (diagnostics de démarrage), ces derniers ne pouvant retarder la fin des travaux, tel qu’énoncé ci-haut.

Ici, le critère déterminant afin de distinguer les deux consiste à savoir si l’issue de la manipulation permet de faire fonctionner l’ouvrage ou si son objet est de détecter un mauvais fonctionnement de l’ouvrage.

Aide-mémoire pour la fin des travaux

Afin d’aider les intervenants de la construction à bien analyser la question de fins des travaux, les soussignés proposent l’aide-mémoire suivant, lequel ne remplace aucunement la nécessité d’une opinion juridique basée sur les faits propres à chaque situation, afin d’évaluer tous les critères déterminants la fin des travaux.

    1. S’agit-il de travaux, par opposition à des correctifs, tests ou obligations contractuelles autres que des travaux?

      Si oui, passer à la prochaine question. Dans la négative, ces actes ne devraient pas retarder la fin des travaux.

    2. Le contrat prévoyait-il une description claire des travaux, notamment aux plans et devis?

    3. Si oui, les travaux en question font-ils partie de l’énumération ou constituent-ils une suite logique et prévisible de ces travaux?

      Dans l’affirmative, il devrait s’agir de travaux au sens de la notion de fin des travaux, et ce, même si ceux-ci sont minimes et n’empêchent pas l’utilisation de l’ouvrage.

    4. En l’absence d’une désignation claire, ou si les travaux analysés n’étaient pas prévus au contrat, la non-complétion de ceux-ci empêche-t-elle l’ouvrage de servir à l’usage auquel il est destiné?

      Dans l’affirmative, il s’agit normalement de travaux au sens de la notion de fin des travaux. Dans la négative, il y a fort à parier qu’il s’agisse de travaux minimes et imprévus qui ne retarderaient pas la fin des travaux ou encore, d’ajouts qui constitueraient alors des travaux distincts et autonomes qui auront leur propre fin des travaux, distincte des travaux initialement prévus.

    Tel que précédemment mentionné, bien que ces indices puissent guider notre appréciation des actes analysés, rien ne remplace une opinion juridique de votre situation propre.

    À cet effet, n’hésitez pas à consulter les auteurs soussignés ou un membre de notre équipe construction chez Fasken.

    Les auteurs tiennent à remercier Tommy Giroux-Latouche et Frédéric Magnan (étudiants Fasken) pour leur contribution à ce bulletin.


    [1] 11489470 Canada inc. c. Constructions Maxime Langevin, 2023 QCCS 943; appel rejeté le 6 juillet 2023, 2023 QCCA 922

    [2] Id., par. 51-52.

    [3] D. Kauffman, The Construction Hypothec : Insight Into Quebec Lien and Construction Law, 2e éd., Wilson & Lafleur, 2015, par. 658-659.

    [4] Construction Socam ltée c. Corporation d'hébergement du Québec, 2016 QCCS 3404, par. 81

    [5] 11489470 Canada inc. c. Constructions Maxime Langevin, précité note 1, par. 69; Voir aussi V. Karim, Contrats d’entreprises, contrat de prestation de services et l’hypothèque légales, 4e édition,  par. 1306.

    [6]A. Benadiba et J. Deslauriers, Les Sûretés au Québec, 2e éd., par. 659 et 665; Voir également Construction Pierre Brochu inc. c. Compagnie d’assurances et d’hypothèques Genworth Financial Canada, 2017 QCCA 1275, par. 11.

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Auteurs

  • Louis Carrière, Associé, Québec, QC, +1 418 640 2060, lcarriere@fasken.com
  • Alexandre Belzile, Avocat, Québec, QC, +1 418 640 2001, abelzile@fasken.com

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