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De nouvelles modifications réglementaires fédérales pourraient avoir une incidence importante sur les processus d’approvisionnement concurrentiels

Fasken
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Bien qu’il s’agisse d’un ensemble de règles discret et sans prétention, le Règlement sur les marchés de l’État (RMÉ) est désormais sous les feux des projecteurs en raison d’un récent changement.

Nous expliquons ci-dessous l’objectif du RMÉ, la manière dans laquelle il diffère d’une exception au titre de la sécurité nationale (ESN) et nous examinons les incidences potentielles des modifications.

Qu’est-ce que le RMÉ?

Le RMÉ est un ensemble restreint de règles édictées dans les années 1980 en vertu de la Loi sur l’administration financière qui s’applique à la grande majorité des processus d’approvisionnement du gouvernement fédéral. La plupart des règlements portent sur les opérations internes et les processus de passation de marchés du gouvernement (par exemple, les « règles de gestion interne »). L’une de ces règles prévoit l’obligation pour le gouvernement du Canada de lancer un processus d’approvisionnement concurrentiel pour les marchés de fournitures supérieurs à 25 000 $ et pour les marchés de services supérieurs à 40 000 $, sous réserve de certaines exceptions

Depuis son adoption, le RMÉ exige qu’un processus d’approvisionnement concurrentiel soit lancé, qu’un accord commercial s’applique ou non à un marché; toute exception à cette exigence doit être validée par une justification de fournisseur unique. Le RMÉ fonctionnait indépendamment des accords commerciaux, reflétant ainsi la politique gouvernementale selon laquelle la concurrence offrait le plus haut degré d’ouverture et de transparence et garantissait la meilleure possibilité d’optimiser les ressources.

Quelles sont les nouvelles exceptions?

L’article 3 (la disposition qui prévoit les exceptions à l’application du RMÉ) contient deux nouvelles exceptions :

3(1) Le présent règlement s’applique aux marchés de fournitures, de services ou de travaux publics conclus par une autorité contractante et prévoyant des paiements à effectuer par Sa Majesté, sauf les suivants :

[…]

h) les marchés conclus avec une entité administrative;

i) les marchés à l’égard desquels une exception au titre de la sécurité nationale est dûment invoquée conformément au paragraphe 10(3) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, ainsi que les marchés indispensables à la sécurité nationale à l’égard desquels aucun des accords visés au paragraphe 10(2) de ce règlement ne s’applique, si les exigences prévues au paragraphe 10(3) de ce règlement sont respectées. [Nos soulignements]

PREMIÈRE NOUVELLE EXCEPTION : LA NOUVELLE EXCEPTION AU TITRE DE LA SÉCURITÉ NATIONALE (ESN)

L’ESN constitue un changement important qui pourrait avoir des conséquences majeures. La modification élargit vraisemblablement l’application de la lettre concernant l’ESN émise par Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) en vertu du Règlement du Tribunal canadien du commerce extérieur relatif aux enquêtes sur les marchés publics (qui ne s’appliquait jusqu’à présent qu’aux accords commerciaux) pour les approvisionnements qui sont « indispensables à la sécurité nationale ».  Il semblerait que des exigences comme la question de savoir s’il est dans l’intérêt public de ne pas utiliser de processus d’approvisionnement concurrentiel n’ont pas besoin d’être établies aux fins du RMÉ si l’ESN est invoquée.  Ni le RMÉ, ni l’Avis relatif à la Politique sur les marchés 2025-1 (APM-2025-1) du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (SCT) ne précisent comment un marché potentiel est jugé « indispensable à la sécurité nationale ». Ils n’expliquent pas non plus les raisons pour lesquelles, sur ce sujet précisément, aucune autre considération n’est désormais pertinente, l’approvisionnement n’a plus à faire l’objet d’un appel d’offres et l’application d’autres exigences du RMÉ n’est plus nécessaire.

Dans le résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR), le gouvernement explique que ce changement viendra réduire la charge et la duplication du travail des autorités contractantes responsables de l’approvisionnement puisque (apparemment) les mêmes motifs et le même processus pour invoquer l’application de l’ESN s’appliqueraient à une exception aux termes du RMÉ.

Cependant, le processus pour invoquer l’ESN dans le cadre des accords commerciaux et le processus d’exemption d’un marché public de la concurrence ouverte dans le cadre du RMÉ ont été établis à des fins différentes et suivent des processus différents.  La sécurité nationale et les marchés à fournisseur unique ne sont pas synonymes.  Le pouvoir d’invoquer l’ESN n’exige pas nécessairement la mise en œuvre d’un processus non concurrentiel pour protéger les intérêts du pays sur le plan de la sécurité nationale. Dans de nombreux cas, un marché peut être légitimement attribué à un fournisseur unique sans qu’il soit nécessaire d’invoquer une ESN ou, à l’avenir, la nouvelle exception prévue par le RMÉ.

Qu’est-ce qu’une ESN?

L’exception relative à la sécurité nationale (ESN), qui se trouve dans tous les accords commerciaux du Canada, permet au sous-ministre adjoint (SMA) de SPAC d’invoquer l’ESN s’il est convaincu qu’il existe un intérêt légitime en matière de sécurité nationalequi justifierait la soustraction d'un approvisionnement de certaines ou de l’ensemble des obligations prévues par les accords commerciaux.

L’ESN vise les intérêts du pays sur le plan de la sécurité nationale.  Bien qu’il y ait des cas où la nature de l’intérêt national en matière de sécurité à protéger a requis l’attribution d’un marché à fournisseur unique, le fait d’invoquer l’ESN ne signifie pas en soi qu’un marché à fournisseur unique est le seul moyen de répondre aux besoins du Canada.  Les accords commerciaux n’interdisent pas l’attribution d’un marché à fournisseur unique, y compris pour des fournitures ou des services indispensables à la sécurité nationale.  Comme le savent tous les entrepreneurs du secteur de la défense, les approvisionnements concurrentiels dans le cadre d’une ESN sont assez courants, même pour les approvisionnements très complexes qui sont indispensables à la sécurité nationale (par exemple, les navires de guerre, les avions de combat, les véhicules terrestres, les systèmes de radar et les sous-marins). 

Qu’est-ce qu’une justification du recours à un fournisseur unique?

La justification du recours à un fournisseur unique est un processus d’élaboration des politiques du Conseil du Trésor (CT) qui exige que l’autorité contractante fournisse une justification écrite pour l’utilisation d’un processus d’approvisionnement non concurrentiel (par exemple, une attribution de marché à un fournisseur unique). La justification doit expliquer comment l’approvisionnement répond à l’une des exceptions prévues par le RMÉ et comment il fait pour intégrer les considérations essentielles pour les institutions publiques, telles que la garantie du plus haut degré d’ouverture et de transparence et la garantie de la meilleure possibilité d’optimiser les ressources (toutes ces conditions étant remplies dans le cadre d’un processus d’approvisionnement concurrentiel).  Même lorsqu’une ESN était invoquée, les autorités contractantes étaient tenues d’établir que des considérations de sécurité nationale écartaient le processus concurrentiel pour des raisons d’intérêt public.

Si un processus concurrentiel est réalisable et jugé dans l’intérêt public (ce qui peut nécessiter de prendre en compte des critères d’intérêt public opposés, tels que la sécurité nationale et la meilleure possibilité d’optimiser les ressources), en l’absence de toute autre exception applicable, un processus concurrentiel serait généralement retenu. 

Avant l’arrivée de ces modifications, une ESN et un processus d’approvisionnement concurrentiel pouvaient coexister, une situation qui était tout de même fréquente.

Qu’est-ce que cela signifie?

Cette modification semble aller trop loin, en permettant au Canada de mettre de côté certain des critères d’intérêt public essentiels comme la transparence et la responsabilité du gouvernement, qui étaient auparavant examinés dans le cadre d’un processus de justification du recours à un fournisseur unique nécessitant une prise en compte d’intérêts opposés. Elle est particulièrement troublante compte tenu des enquêtes sur le scandale ArriveCan et des rapports du vérificateur général et du Bureau de l’ombud de l’approvisionnement, qui soulignent tous l’importance de processus ouverts, équitables, transparents et concurrentiels pour garantir la responsabilité du gouvernement dans ses décisions d’achat.

Alors que le SCT indique que les ministères doivent continuer à maintenir les engagements politiques du gouvernement en matière de concurrence et à documenter la justification des processus non concurrentiels, l’exception prévue à l’alinéa 3(1)i) du RMÉ n’exige pas expressément le respect d’une politique, y compris l’analyse de l’intérêt public fondée sur des preuves, précédemment appliquée aux processus d’approvisionnement visés par l’ESN.

Le SPAC n’a plus à fournir de justification ou de documentation lorsqu’il invoque l’ESN et l’exception au titre du RMÉ autre que la lettre d’invocation. De plus, le processus de lettre d’invocation est entièrement contrôlé par le SPAC. La surveillance du SCT est fortement limitée, voir supprimée.  Il semble que les motifs à l’appui de l’ESN puissent désormais suffire en tant que justification prépondérante pour l’attribution d’un marché à un fournisseur unique.

Mais attention, certaines parties du RMÉ s’appliquent toujours aux approvisionnements exclus à l’alinéa 3.1i).

Il convient de noter que les déclarations et certifications réputées de l’article 18 s’appliquent toujours à tout processus d’appel d’offres et à tout marché attribué, incluant notamment :

  • le respect de la Loi sur le lobbying du Canada;
  • le droit de vérification du Canada;
  • la déclaration selon laquelle l’adjudicataire n’a pas agi ou ne s’est pas engagé dans une activité qui constituerait un délit de fraude ou de corruption;
  • le consentement présumé à la divulgation de tout marché d’une valeur supérieure à 10 000 $.

DEUXIÈME NOUVELLE EXCEPTION : LES ACHATS DE GOUVERNEMENT À GOUVERNEMENT

Les modifications au RMÉ excluent également les contrats entre le gouvernement fédéral et une entité gouvernementale (par exemple, de gouvernement à gouvernement ou « GÀG »), mais comme pour la modification relative à l’ESN, elles cherchent à maintenir l’applicabilité de l’article 18.

L’« exception GÀG » donne effet à une position de principe de longue date du CT selon laquelle les acquisitions de GÀG ne sont pas soumises aux exigences des processus concurrentiels du RMÉ. Qualifiés d’« ententes contractuelles » dans les politiques du CT (une expression qui n’est pas utilisée dans le RMÉ), les contrats de GÀG étaient traditionnellement considérés comme juridiquement non contraignants et donc n'étaient pas assujettis au RMÉ. La politique sur la planification et la gestion des investissements du CT (la politique du CT) et la directive sur la gestion de l’approvisionnement conservent l’emploi de l’expression « entente contractuelle », mais elle n’est plus définie comme n’étant pas juridiquement contraignante (contrairement à l’expression « accord contractuel » de l’ancienne politique sur les marchés).

Dans le cas où un contrat de GÀG est un contrat juridiquement contraignant, les modifications au RMÉ indiquent clairement que de tels contrats sont expressément exclus (indépendamment du décalage terminologique persistant entre le RMÉ et la politique du CT qui se réfère à la fois à des ententes contractuelles et à des contrats).

  

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Pour toute question complémentaire, veuillez communiquer avec les auteures.

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Auteures

  • Marcia Mills, Associée | Cochef, Sécurité nationale, Ottawa, ON | Toronto, ON, +1 613 696 6881, mmills@fasken.com
  • Riley Mintz, Stagiaire en droit, Ottawa, ON, +1 613 696 3150, rmintz@fasken.com

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