Dans une décision rendue récemment en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC ») dans l’affaire Timminco Ltd. et al.[1], lejuge Morawetz de la Cour supérieure de justice de l’Ontario [Rôle commercial] a déclaré que les dispositions de la LACC relatives à la résiliation s’appliquent tout aussi bien dans le contexte d’un processus de vente que dans le contexte d’un plan de restructuration.
En janvier 2012, Timminco Limited et Bécancour Silicon Inc. (collectivement, « Timminco ») se sont vues accorder la protection en vertu de la LACC[2]. Lorsqu’elle a intenté la procédure, Timminco a cessé d’acquitter plusieurs de ses obligations existantes, afin de permettre à ses entités de continuer leurs activités et de procéder à la vente de leurs actifs. Ces obligations comprenaient un contrat (le « contrat ») conclu avec un dirigeant à la retraite (le « dirigeant »). Selon le contrat, Timminco devait,entre autres choses, verser un montant mensuel viager au dirigeant. En juin 2012, le dirigeant a présenté une requête pour obliger Timminco à respecter ses obligations aux termes du contrat. De son côté, Timminco a présenté une contre-requête en vue d’obtenir un jugement déclarant que les obligations aux termes du contrat étaient terminées ou, subsidiairement, que Timminco avait le droit de résilier le contrat conformément aux dispositions de la LACC.
Le juge Morawetz, présidant l’audience du rôle commercial de la Cour (Toronto), a estimé que les obligations découlant du contrat étaient, en fait, des prestations de cessation d’emploi et/ou de retraite et, par conséquent, des réclamations non garanties. Se fondant sur la jurisprudence (notamment des décisions de la Cour d’appel de l’Ontario), il a jugé que ces obligations existaient avant la date de l’ordonnance initiale sous la LACC et qu’elles étaient assujetties à la suspension des procédures en vertu de la LACC. Le juge Morawetz a refusé d’ordonner à Timminco de verser les montants exigés car une telle décision ferait du dirigeant « [TRADUCTION] un titulaire d’une créance ayant un rang prioritaire par rapport à celui des autres créanciers chirographaires ».
Toutefois, après avoir tranché la question tel que mentionné ci-dessus, le juge Morawetz a traité de l’autre point, à savoir si Timminco pouvait résilier le contrat.
L’article 32 de la LACC permet à un débiteur, au sens de la LACC, de résilier un contrat. Cet article permet également à une contrepartie de demander à un tribunal d’ordonner qu’un contrat ne soit pas résilié. Le paragraphe 32(4) de la LACC présente une énumération non exhaustive de facteurs que le tribunal doit prendre en considération avant de rendre une telle ordonnance :
a) l’acquiescement du contrôleur à la résiliation;
b) la question de savoir si la résiliation favorisera la conclusion d’une transaction ou d’un arrangement viable;
c) le risque que la résiliation puisse vraisemblablement causer de sérieuses difficultés financières à la contrepartie.
Le dirigeant a allégué que le tribunal ne devait pas autoriser la résiliation puisqu’elle (i) ne favoriserait pas la conclusion d’une transaction ou d’un arrangement (il n’y avait aucun plan de restructuration imminent), et (ii) lui causerait de sérieuses difficultés financières.
Selon le juge Morawetz, la portée de la LACC ne devait pas être interprétée si restrictivement de manière à ce que la loi ne s’applique que dans le contexte d’un processus menant à un plan de restructuration. La loi doit s’appliquer tout aussi bien dans le contexte d’un processus de vente. Il a indiqué que cette interprétation visait également les dispositions relatives à la résiliation et que « [TRADUCTION] l’exigence en vertu de l’alinéa 32(4)b) voulant qu’une résiliation favorise la conclusion d’une transaction ou d’un arrangement viable devait être interprétée en fonction de la portée élargie de la LACC ». Se fondant sur la jurisprudence existante, il a souligné qu’il n’est pas nécessaire que la résiliation soit une condition essentielle à la restructuration; elle ne doit être qu’avantageuse. Le juge Morawetz a également indiqué qu'un objectif primordial de la LACC est de faire en sorte que les créanciers de la même catégorie soient traités également, et qu’un tel traitement favoriserait la conclusion d’une transaction ou d’un arrangement viable. Par conséquent, le juge Morawetz aurait permis la résiliation.
Le juge Morawetz a par la suite examiné l’allégation du dirigeant selon laquelle il connaîtrait de sérieuses difficultés financières si la résiliation était accordée. Selon le juge, les critères permettant d’établir le risque de sérieuses difficultés financières sont subjectifs et nécessitent un examen des caractéristiques et des circonstances individuelles de la contrepartie en question. Le fait d’invoquer des critères objectifs (c’est-à-dire une évaluation de l’effet général de la résiliation par opposition à l’effet spécifique qu’elle aurait sur la contrepartie) ferait en sorte qu’il serait difficile, voire impossible, de résilier les contrats importants. Il a ajouté qu’un tel résultat serait contraire au aux principes de la LACC. Selon les faits, le juge Morawetz n’aurait pas conclu à l’existence de sérieuses difficultés financières.
Bien qu’ils ne soient pas déterminants pour ce qui est de la question en l’espèce, les commentaires du juge Morawetz constituent des obiter dicta importants et convaincants du tribunal à l’égard de l’interprétation et de l’application des dispositions de la LACC relatives à la résiliation (ajoutées à la loi en 2009). Les commentaires établissent ce qui suit :
(i) il n’est pas nécessaire qu’un plan de transaction oud’arrangement soit imminent (il suffit que la résiliation soit avantageuse pour les efforts de restructuration, peu importe qu’un plan ou un projet de vente soit prévu);
(ii) le tribunal considérera si le refus d’une résiliation aurait pour effet de favoriser la position de la contrepartie, ce qui serait contraire à un principe fondamental de la LACC;
(iii) la question de savoir si une contrepartie subirait de sérieuses difficultés financières si la résiliation était permise est un critère subjectif.
Selon le raisonnement dans l’affaire Timminco, un débiteur pourrait résilier des contrats tant dans le contexte d’un processus de vente que d’un plan de restructuration. Peut-être encore plus significatif, il découle du commentaire du juge qu’une contrepartie aura une tâche ardue lorsqu’elle tentera de s’opposer à une résiliation. Elle devra fournir des preuves convaincantes qu’elle connaîtra elle-même de sérieuses difficultés financières. De plus, le commentaire suggère que dans les cas où le refus d’une résiliation favoriserait un créancier par rapport aux autres, le tribunal sera hésitant à le faire car un tel résultat est contraire aux principes de la LACC. Considérés ensemble, les obiter dicta dans l’affaire Timminco viennent renforcer les dispositions de la LACC relatives à la résiliation en en faisant un « outil à l’intention du débiteur », conçu pour permettre au débiteur de réaliser une restructuration, quelle qu’en soit la forme, et non d’empêcher une contrepartie d’y faire obstacle.
[1] Timminco Limited and Becancour Silicon Inc., Re, 2012 ONSC 4471 (Ont. S.C.J. [Commercial List]).
[2] Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C., 1985, ch. C-36.