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La Cour d’appel du Québec précise les critères pour déterminer s’il y a eu incitation à la violation d’obligations contractuelles

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Bulletin Litiges et résolution de conflits

Le 13 mars 2013, la Cour d'appel du Québec a rendu un arrêt clarifiant l'état du droit sur les modalités de la responsabilité extracontractuelle des tiers ayant incité une personne à violer ses obligations contractuelles[1]. Notamment, elle répond à la question de savoir si la condamnation d'un tiers complice peut être obtenue en l'absence d'une poursuite simultanée contre le cocontractant fautif. Dans cet arrêt, les juges de la Cour d'appel établissent les balises qui encadrent le recours direct d'un cocontractant lésé contre des tiers.

Les faits

Zoom Média inc. (« Zoom ») œuvre dans le domaine de l'affichage publicitaire intérieur, et plus particulièrement dans l'affichage de panneaux publicitaires dans les toilettes et vestiaires des restos-bars. En 2006, son ancien vice-président des ventes fonde la compagnie Rouge Resto Bar inc. (« Rouge ») et se lance aussi dans l'affichage publicitaire destiné aux restos-bars. Rouge propose des bannières géantes placées à même les murs des établissements.

Zoom reproche essentiellement à Rouge de solliciter ses clients ou de conclure des contrats avec eux, violant de ce fait les diverses clauses d'exclusivité que contiennent les contrats l'unissant à ses clients. Elle invoque ainsi le principe bien établi qu'un tiers commet une faute s'il s'associe sciemment à la violation d'un contrat[2].

Zoom recherche la délivrance d'une ordonnance d'injonction permanente afin que Rouge cesse d'inciter ses clients à contrevenir à leurs obligations. Elle demande aussi que Rouge retire ses produits d'affichage des établissements où Zoom détient déjà une exclusivité.

La décision

Alors que la Cour supérieure avait accédé à la demande de Zoom, la Cour d'appel a d'abord accueilli la demande de Rouge pour suspendre l'exécution de cette ordonnance. Le juge Dufresne j.c.a., a réitéré l'existence du recours contre un tiers, soulignant toutefois que « le fardeau de preuve est sur le requérant de démontrer la portée de la clause en litige, sa validité, sa connaissance par le tiers et l'incitation de ce dernier à la partie contractante de la violer[3] ».

Puis, la Cour d'appel a renversé  la décision du premier juge et a rejeté l'action en injonction. Le principal motif pour ce rejet est que Zoom a fait défaut d'impliquer les exploitants eux-mêmes dans le recours, et ce, contrairement au principe audi alteram partem.

En effet, les procédures sont dirigées exclusivement contre Rouge et aucun exploitant des 39 restos-bars qui ont prétendument contrevenu à leurs obligations contractuelles n'était poursuivi comme codéfendeur ou impliqué comme mis en cause. Or, si l'injonction était exécutée conformément à la décision de première instance, les exploitants se verraient privés des revenus de ces affichages.

Le principe audi alteram partem veut pourtant que les exploitants puissent faire valoir leur point de vue quant à la prétendue violation de leurs obligations, et ce, particulièrement en présence de clauses d'exclusivité très variées dont les portées pourraient être sujettes à interprétation.

Ceci étant, la jurisprudence a néanmoins accepté à quelques reprises qu'une demande d'injonction ou une poursuite en dommages soit valablement instituée malgré l'absence du cocontractant fautif dans le cadre des procédures[4]. Les juges de la Cour d'appel analysent ces décisions une à une pour finalement toutes les distinguer en raison de leur contexte particulier[5]. En outre, dans les décisions invoquées par Zoom, il ne s'agissait pas véritablement de cas de négation de la règle audi alteram partem. De fait, dans Trudel c. Clairol Inc. of Canada[6], l'identité des cocontractants n'était pas connue, dans Théâtre des Variétés c. Union des artistes[7], le tiers a lui-même empêché l'exécution par le cocontractant de ses obligations et dans Corp. Centers Canada Ltd. c. Copiscope inc.[8], les conclusions recherchées dans les procédures n'interféraient d'aucune façon avec les droits et obligations des cocontractants.

Au surplus, la Cour d'appel souligne un élément supplémentaire permettant de distinguer les décisions avancées par Zoom : tous les cas invoqués avaient en commun une violation flagrante du contrat. Cette caractéristique de « violation flagrante » est la pierre angulaire de l'analyse à effectuer selon la Cour d'appel afin de déterminer si un recours direct contre un tiers fautif peut être valable puisqu'en pareilles circonstances, le tiers participe sciemment à la violation. Une violation flagrante des obligations contractuelles serait donc une cause acceptable pour faire exception au principe audi alteram partem, s'il en est une[9].

Dans le cadre de cette affaire, les juges concluent que la preuve ne permet pas de qualifier de « violation flagrante » les fautes des cocontractants. En effet, les obligations liées aux clauses d'exclusivité ne constituent pas la prestation centrale du contrat[10] et ces obligations accessoires apparaissent discutables à la lecture de tous les différents types de clauses[11]. En l'absence d'une portée claire, une obligation d'exclusivité ne peut conduire à une violation flagrante du contrat. Cette situation réaffirme plutôt l'importance de l'exigence procédurale de l'audi alteram partem[12].

En somme, la Cour d'appel confirme que le caractère « flagrant » de la violation du co-contractant et le fait pour le tiers d'avoir participé « sciemment » à la violation sont deux facettes d'une même réalité et que l'absence du premier entraine l'impossibilité pour une partie de revendiquer un droit ou des dommages à un tiers sans diriger son recours également contre le co-contractant fautif.


[1] Rouge Resto bar inc. c. Zoom Média inc., 2013 QCCA 443.

[2] Trudel c. Clairol Inc. of Canada, [1975] 2 R.C.S. 236Boucherie; Côté Inc. c. Le Fruitier d'Auteuil inc. et autre, C.A. Montréal 500-09-005422-977, j. Deschamps, p. 2; article 1397 C.c.Q.

[3] Rouge Resto Bar inc. c. Zoom Média inc., 2011 QCCA 1856, para. 20.

[4] Trudel c. Clairol Inc. of Canada, [1975] 2 R.C.S. 236; Théâtre des Variétés c. Union des artistes, J.E. 90-1176 (C.S.); T.R.M. Corp. Centers Canada Ltd. c. Copiscope inc., J.E. 98-1056 (C.S.).

[5] Rouge Resto bar inc. c. Zoom Média inc., 2013 QCCA 443, paras 30 à 52.

[6] [1975] 2 R.C.S. 236.

[7] J.E. 90-1176 (C.S.).

[8] J.E. 98-1056 (C.S.).

[9] Rouge Resto bar inc. c. Zoom Média inc., 2013 QCCA 443, para. 63.

[10] Rouge Resto bar inc. c. Zoom Média inc., 2013 QCCA 443, para. 64.

[11] Rouge Resto bar inc. c. Zoom Média inc., 2013 QCCA 443, paras. 65 à 81.

[12] Rouge Resto bar inc. c. Zoom Média inc., 2013 QCCA 443, para. 83.

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