L'Espace RH est rédigé sous la direction de Louise Béchamp, de Karen M. Sargeant et de Brian P. Smeenk
Une série de décisions récentes portant sur un sous-traitant et deux de ses clients et leurs syndicats respectifs a permis aux intervenants du secteur de la santé de tirer d’importantes leçons sur l’application des clauses de sous-traitance prévues par les conventions collectives. Ces décisions démontrent que des dispositions presque identiques dans deux conventions collectives distinctes, peuvent être interprétées différemment, avec des résultats diamétralement opposés. Ces causes démontrent en outre que la sous-traitance de tâches effectuées par des employés membres d’une unité de négociation, lorsque les conventions collectives prévoient des restrictions, doit se faire avec prudence. Essentiellement, ces décisions nous rappellent que de bonnes relations de travail peuvent faire toute la différence dans le résultat obtenu.
Les parties
SteriPro Canada LP se spécialise dans la stérilisation d’instruments médicaux. L’entreprise a d’ailleurs construit des installations de retraitement à la fine pointe de la technologie près de Toronto afin de desservir les hôpitaux de la région.
Les techniciens en stérilisation de nombreux hôpitaux ontariens sont couverts par des conventions collectives. Dans la plupart des cas, ces employés sont représentés par le Syndicat canadien de la fonction publique (le « SCFP ») ou par le syndicat international du personnel de service appelé le Service Employees International Union (le « SEIU »).
Les conventions de ces syndicats en milieu hospitalier comportent de nombreuses clauses semblables. Ces conventions collectives permettent de sous-traiter le travail des employés syndiqués, mais uniquement si le sous-traitant accepte (1) d’embaucher les travailleurs déplacés, et (2) de se substituer à l’hôpital pour les besoins de la convention collective, et accepte de conclure une convention collective semblable. Ces conventions collectives prévoient également des clauses exhaustives en cas de mise à pied, qui comprennent notamment des exigences quant au préavis, des droits de déplacement ou de supplantation pour les travailleurs touchés, ainsi que de généreuses indemnités de fin d’emploi et de départ à la retraite.
Dans les cas en question, l’hôpital de Credit Valley et l’Hôpital régional de Humber River avaient tous deux conclu des conventions collectives qui visaient leurs techniciens en stérilisation. Les techniciens de Credit Valley étaient représentés par le SCFP alors que ceux de Humber River étaient représentés par le SEIU.
SteriPro s’est engagée, dans les deux cas, à respecter pleinement les obligations du sous-traitant aux termes des conventions collectives des hôpitaux, et les deux syndicats en ont été informés.
SteriPro a commencé à fournir ses services à Humber River le 30 septembre 2011, et à Credit Valley le 2 janvier 2012.
Des parcours divergents
À Humber River, certains des techniciens en stérilisation déplacés ont choisi volontairement de démissionner ou de partir à la retraite en acceptant des incitatifs monétaires. D’autres techniciens ont pu postuler des emplois disponibles au sein de Humber River et les techniciens restants se sont vu offrir le même emploi chez SteriPro. Les conditions ayant trait au service continu, à l’ancienneté et aux avantages sociaux sont demeurées inchangées. Le SEIU et SteriPro ont ensuite entrepris de négocier une convention collective.
À Credit Valley cependant, le SCFP a suivi un tout autre parcours : le syndicat a contesté l’impartition, en alléguant que l’hôpital ne respectait pas les exigences en matière de mises à pied prévues par la convention collective, notamment quant aux droits de supplantation et aux indemnités de cessation d’emploi.
Le SCFP a soumis son grief à l’arbitre Owen Shime, qui a entendu la cause en septembre 2011.
L’arbitrage entourant Credit Valley
En arbitrage devant l’arbitre Shime, l’hôpital a fait valoir que l’impartition du travail à SteriPro ne constituait pas une mise à pied puisque SteriPro réembauchait tous les employés touchés selon des conditions d’emploi identiques.
L’arbitre Shime a rejeté les arguments de l’hôpital. Il a déterminé que la clause de sous-traitance ne signifie pas que les employés qui effectuaient habituellement les tâches doivent automatiquement être déplacés chez le sous-traitant. M. Shine a donc conclu que :
- Les techniciens touchés pouvaient exercer tous les droits prévus par les dispositions de la convention collective relatives aux mises à pied, même si des postes étaient offerts chez SteriPro.
- SteriPro était tenue d’offrir un poste à toute personne ultimement déplacée de Credit Valley en raison du processus de supplantation, même s’ils n’étaient pas des techniciens en stérilisation.
Maintien de la décision de l’arbitre Shime
La décision de l’arbitre Shime a été contestée à de nombreux égards. D’abord, lorsque SteriPro a conclu une entente semblable avec Trillium Health Centre (qui peu après s’est fusionné avec Credit Valley), le SCFP et Trillium se sont présentés devant un autre arbitre, William Kaplan, essentiellement pour les mêmes questions. Dans sa décision du 16 février 2012, l’arbitre Kaplan a confirmé la décision de l’arbitre Shime (PDF - disponible en anglais seulement).
Ensuite, SteriPro a contesté la décision de l’arbitre Shime devant les tribunaux, alléguant qu’elle n’avait pas reçu un préavis opportun à l’égard des procédures, ce qui l’avait empêché d’y participer. Credit Valley et Trillium contestaient par ailleurs d’autres aspects de l’interprétation de la convention collective par M. Shime et M. Kaplan. La contestation judiciaire par SteriPro a été rejetée en octobre 2012, et la contestation judiciaire par les hôpitaux a été également rejetée en décembre 2012 (PDF - disponible en anglais seulement).
La CRTO maintient l’entente entre SteriPro et le SEIU concernant Humber River
Entretemps, le contrat de Humber River avec SteriPro faisait lui aussi l’objet d’une contestation, menée non pas par le SEIU, mais plutôt par le syndicat des travailleurs de l’Ontario appelé le Ontario Workers’ Union (l’« OWU »). Ce syndicat avait demandé à remplacer le SEIU à titre d’agent de négociation pour les employés de Humber River. L’OWU n’avait pas encore été accrédité à titre de nouvel agent de négociation lorsque, le 30 septembre 2011, SteriPro a commencé à fournir ses services à Humber River et à embaucher ses anciens techniciens. Mais plus tard, lorsque l’OWU s’est vu accorder les droits de négociation au nom des employés de Humber River, il a demandé de représenter les employés de SteriPro. En effet, l’OWU a contesté la légitimité de la reconnaissance volontaire par SteriPro des droits de négociation de la SEIU.
La Commission des relations de travail de l’Ontario (la « CRTO ») a rejeté la contestation par l’OWU dans deux décisions rendues le 20 août 2012 (PDF - disponible en anglais seulement) et le 13 novembre 2012 (PDF - disponible en anglais seulement).
Fait à noter, en approuvant les mesures prises par SteriPro et le SEIU, la CRTO a commenté la façon dont les dispositions en matière de sous-traitance de la convention collective doivent s’appliquer :
[Traduction] Le SEIU était en droit d’invoquer, dans les deux conventions collectives, les clauses régissant toute décision de Humber River de donner en sous-traitance certaines tâches des membres de l’unité de négociation, clauses qui offraient aux membres déplacés de l’unité de négociation une sécurité d’emploi considérable.
Le libellé de l’article 12.02 prévoit que le Syndicat (le SEIU) a le droit de représenter les employés dans le cadre de leurs relations de travail avec le sous-traitant (SteriPro). Cet article exige de Humber River qu’il s’assure notamment que SteriPro … assume le rôle de Humber River aux termes de la convention collective conclue avec le SEIU et accepte de conclure une entente avec le SEIU à ce sujet.
SteriPro et le SEIU ont pris toutes les mesures nécessaires en vertu de l’article 12.02 pour établir une relation de négociation suffisante pour résister à la contestation par l’OWU de leur entente de reconnaissance volontaire.
Leçons à tirer pour les employeurs de travailleurs syndiqués et leurs sous-traitants
Il y a lieu de souligner que les deux situations ont suivi un parcours très différent. À Humber River, dès qu’un certain nombre de techniciens se sont vus offrir des indemnités de départ à la retraite, des indemnités de cessation d’emploi ou des postes vacants, les employés restants ont été transférés chez SteriPro. Le SEIU n’a pas insisté pour que les techniciens puissent exercer des droits de supplantation et pour que SteriPro soit tenue d’engager les employés non qualifiés déplacés de l’hôpital à la fin du processus de supplantation.
En fait, on peut dire que d’une perspective juridique du moins, l’impartition des services par Humber River fut un processus sans heurt, n’eut été de l’attaque infructueuse de l’OWU. SteriPro, Humber River et le SEIU ont ainsi pu travailler ensemble pour assurer une transition fluide.
L’approche du SCFP à Credit Valley s’est révélée plus problématique. L’impartition a donné lieu au déclenchement de toute la gamme des procédures de mise à pied, même si SteriPro a offert les mêmes emplois aux mêmes modalités et conditions. Par ailleurs, l’approche du SCFP a eu comme résultat pervers qu’un nombre réduit de techniciens en stérilisation ont en fait conservé un emploi dans leur domaine. De plus, le SCFP n’a toujours pas conclu d’entente avec SteriPro. Malgré tout, SteriPro a été en mesure de commencer à fournir ses services à Credit Valley (et à Trillium).
Ces deux cas sont la preuve qu’une bonne planification et une collaboration harmonieuse entre toutes les parties permettent souvent d’éviter les résultats indésirables qui peuvent découler même des clauses les plus contraignantes.