Nous avons déjà écrit sur l’application des clauses de non-concurrence et de la non-sollicitation mais ces causes visaient la protection de la clientèle de l’employeur antérieur. Qu’arrive-t-il lorsque l’ex-employé sollicite vos employés afin qu’ils quittent leur emploi et s’en suit des démissions successives. Avez-vous un recours?
Absolument, selon une décision récente de la Cour du Québec dans Maibec Inc. c Martineau (PDF), où on reprochait à un ancien employé, M. Martineau, d’avoir violé son obligation de loyauté et de non-sollicitation après qu’il ait incité un employé à quitter l’entreprise. L’ancien employeur a poursuivi M. Martineau, alors le directeur des technologies de l’information et des communications de l’entreprise, pour lui réclamer des dommages causés par le départ d’un autre employé.
Selon la Cour du Québec, les employeurs qui veulent protéger leur main-d’œuvre ont droit de faire signer à leurs cadres et autres employés des engagements de non-sollicitation d’employés. Ces clauses seront appliquées libéralement.
Les faits
M. Martineau avait été embauché chez l’employeur en 2008 et avait alors signé un engagement prévoyant notamment ce qui suit:
Pendant la durée de son emploi et pour une période de vingt-quatre (24) mois par la suite l’employé(e) ne pourra, directement ou indirectement, pour lui-même ou une autre personne (...) encourager, de quelque façon que ce soit, tout employé(e) à quitter son emploi au sein de la compagnie.
M. Martineau a démissionné de son poste en juillet 2011 pour aller travailler dans un emploi de nature similaire, mais dans une entreprise œuvrant dans un tout autre secteur d’activité.
Deux mois plus tard, un autre employé de l’entreprise démissionne. M. Boyer était programmeur-analyste et M. Martineau avait été son supérieur immédiat. Évidemment, il quitte pour aller rejoindre la nouvelle équipe de M. Martineau.
La preuve révèle que M. Martineau a fait des démarches afin de connaître l’intérêt de M. Boyer pour un emploi de programmeur-analyste chez son nouvel employeur; il lui a notamment demandé s’il connaissait un bon programmeur-analyse pour venir travailler dans sa nouvelle équipe. De plus, connaissant les champs d’intérêts de M. Boyer, M. Martineau lui a présenté des projets lui permettant de travailler précisément dans ceux-ci.
Décision
La Cour du Québec conclut que M. Martineau a violé la clause de non-sollicitation d’employés à laquelle il s’était engagé puisqu’il a été un joueur actif tout au long du processus d’embauche de M. Boyer.
La Cour explique que les clauses de non-sollicitation d’employés doivent recevoir une interprétation plus libérale qu’une clause de non-concurrence, reconnaissant que les employeurs ont des motifs légitimes de se prémunir contre le débauchage de ses employés. De plus, selon la Cour, la durée de 24 mois prévue dans la clause de non-sollicitation est acceptable.
La Cour se penche aussi sur l’exigence d’une limite territoriale raisonnable pour une clause de non-sollicitation d’employés. Citant l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans Payette c. Guay inc. ayant fait l’objet de l’un de nos bulletins l’an dernier, le juge conclut que la délimitation d’un territoire n’est pas requise dans une clause de non-sollicitation d’employés. Selon la Cour, dans une économie moderne, puisque les employés peuvent dispenser des services à un employeur quel que soit le lieu, il n’est pas logique de maintenir une limite territoriale.
Finalement, la Cour se penche sur l’expression « encourager, de quelque façon que ce soit tout employé(e) à quitter son emploi ». La Cour conclut que le fardeau de l’employeur se limitait à démontrer que M. Martineau « avait posé un geste quelconque » visant à amener M. Boyer à démissionner pour aller travailler avec lui.
Par conséquent, la Cour conclut que M. Martineau a violé l’engagement de non-sollicitation qui le liait à son ex-employeur, le condamnant ainsi à payer des dommages à ce dernier. Toutefois, on ne connait pas le montant de ces dommages, la Cour ayant laissé aux parties la possibilité de s’entendre sur ceux-ci.
Points à retenir pour les employeurs
Qu’est-ce que ceci veut dire?
Alors que les tribunaux sont de moins en moins enclins à appliquer les clauses de non-concurrence et de non-sollicitation qui visent la clientèle de l’employeur, il semble qu’ils pourront prendre une approche moins restrictive en ce qui concerne la sollicitation d’employés, du moins au Québec. Il reste à voir si les tribunaux des autres provinces prendront une approche similaire. Dans l’intervalle, nous recommandons aux employeurs de faire signer des clauses de non-sollicitation d’employés lorsque nécessaire. Ces clauses peuvent apporter une plus grande protection aux employeurs que les autres types de clauses restrictives.