Le plus haut tribunal de l’Alberta a récemment adopté le raisonnement de la Cour suprême du Canada (« la Cour suprême ») dans l’affaire Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7 (« l’affaire Hryniak »), facilitant ainsi l’obtention de jugements sommaires pour des demandes non fondées. Dans l’affaire Windsor c. Canadian Pacific Railway Ltd., 2014 ABCA 108 (« l’affaire Windsor »), la Cour d’appel de l’Alberta (« la Cour d’appel ») a accueilli une requête en jugement sommaire précédemment rejetée par le juge responsable de la gestion de l’instance et, à cette fin, a allégé la procédure relative aux jugements sommaires en Alberta.
Contexte
Depuis le début des années 1900, la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (« CP ») exploite des installations de réparation de locomotives, connues sous le nom de « Ogden Shops ». À l’époque où ces installations ont été construites, elles étaient situées à l’extérieur des limites de la ville de Calgary, dans une zone hautement industrialisée. Une communauté résidentielle s’est développée subséquemment dans les environs de ces installations.
Du milieu des années 1950 au milieu des années 1980, on utilisait dans les Ogden Shops un solvant de dégraissage principalement composé de trichloréthylène (TCE). En 1999, CP a découvert que du TCE s’était infiltré dans les eaux souterraines qui s’écoulaient sous les Ogden Shops et avait migré dans celles sous certaines parties de la communauté résidentielle adjacente. Des tests effectués dans les eaux souterraines ont révélé qu’il existait différents niveaux de concentration de TCE sous les propriétés. Là où les niveaux de TCE excédaient les seuils établis par Santé Canada, CP a installé des systèmes de dépressurisation afin de réduire la concentration de TCE à des niveaux acceptables.
David et Agnès Windsor ont intenté une action contre CP relativement à la diminution de la valeur de leur propriété et aux pertes de revenus de location prétendument causées par la présence de TCE dans les eaux souterraines s’écoulant sous leur maison. Les demandeurs ont obtenu la certification pour que la cause soit entendue comme recours collectif au nom de tous les propriétaires dans la même situation.
La décision rendue par le juge responsable de la gestion de l’instance
CP a demandé que soient rejetées sommairement certaines parties du recours collectif, à savoir la réclamation en responsabilité stricte, la réclamation fondée sur la nuisance chez les personnes inscrites au recours collectif ayant des systèmes de dépressurisation sur leur propriété, et la demande fondée sur la nuisance chez les personnes inscrites au recours collectif n’ayant pas de système de dépressurisation sur leur propriété.
Le juge responsable de la gestion de l’instance n’a rejeté sommairement que la demande fondée sur la nuisance chez les personnes inscrites au recours collectif sans système de dépressurisation. Quant aux deux autres demandes, il a déterminé qu’il s’agissait de véritables questions nécessitant la tenue d’un procès. CP a alors interjeté appel de la décision.
Décision en appel
À la suite de la décision rendue par le juge responsable de la gestion de l’instance, mais avant que soit entendu l’appel, la Cour suprême a rendu son arrêt dans l’affaire Hryniak, statuant qu’un procès complet n’était pas toujours la meilleure façon de régler un litige. La Cour suprême a établi que la tenue d’un procès n’est pas requise si un jugement sommaire : 1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires; 2) lui permet d'appliquer les règles de droit aux faits; et 3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste.
S’appuyant sur ce critère moins restrictif, la Cour d’appel a affirmé, dans l’affaire Windsor, que les principes énoncés dans l’affaire Hryniak étaient également applicables en Alberta. Par suite de ce raisonnement, la Cour d’appel a sommairement rejeté la réclamation en responsabilité stricte et celle fondée sur la nuisance chez les membres inscrits au recours collectif sans système de dépressurisation, renversant ainsi la décision du juge responsable de la gestion de l’instance. Cependant, la demande relativement à la nuisance chez les membres inscrits au recours collectif ayant des systèmes de dépressurisation sur leur propriété ne satisfaisait toujours pas au critère pour un rejet sommaire, et nécessitait donc la tenue d’un procès.
Répercussions concrètes
Un tribunal en Alberta qui examine un jugement sommaire peut dorénavant considérer le bien-fondé d’une requête comme un tout plutôt que de déterminer simplement s’il s’agit d’une véritable question nécessitant la tenue d’un procès. Ainsi, un juge peut tirer les conclusions de fait nécessaires au dossier là où il est juste et équitable de le faire. Avant, tout fait litigieux pouvait entraîner la tenue d’un procès. Les faits contestés pouvaient même faire l’objet de plaidoiries efficaces.
Maintenant que les juges pourront déterminer s’il y a question véritable nécessitant la tenue d’un procès, des allégations de faits non fondées ne requerront plus la tenue de procès pour que le différend soit réglé de manière juste. En pratique, cette décision favorisera la résolution rapide et économique d’un large éventail de différends, notamment les différends portant sur les créances et les garanties, les litiges contractuels portant sur des allégations d’incitation fondée sur de fausses déclarations, et les questions liées au congédiement injustifié.