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Projet de loi 26 : Québec prend les grands moyens pour mettre la main sur l’argent de la corruption

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Bulletin Litiges et résolution de conflits

Le 3 décembre 2014, la ministre de la Justice Stéphanie Vallée a déposé à l'Assemblée nationale le projet de loi 26, Loi visant principalement la récupération de sommes obtenues à la suite de fraudes ou de manœuvres dolosives dans le cadre de contrats publics (ci-après le « Projet de loi »).

Par ce Projet de loi qui se veut d'ordre public, le Gouvernement du Québec souhaite récupérer les sommes payées en trop dans l'octroi de l'ensemble des contrats publics – et non seulement ceux du domaine de la construction – en raison de fraudes ou de manœuvres dolosives commises par certaines entreprises ou leurs dirigeants.

Le Projet de loi offre aux entreprises délinquantes une option leur permettant de dénoncer leurs agissements, sur une base volontaire, dans le cadre d'un programme de remboursement (ci-après « le programme de remboursement » ou « le programme ») et donc, sans qu'une accusation formelle ne soit déposée. Les entreprises qui exerceront cette option devront mettre cartes sur table relativement à leurs activités frauduleuses ou dolosives, puis, soumettre une proposition dans le cadre du programme de remboursement. Il est à noter que l'ensemble de ce qui aura été dit ou écrit dans le cadre du programme sera irrecevable en preuve devant un tribunal judiciaire. La procédure en place, qui sera chapeautée par un administrateur impartial et indépendant, visera à ce que les parties parviennent à un consensus relativement au montant que l'entreprise devra débourser à titre de montant « versé en trop » par l'organisme public à cette entreprise. L'administrateur ne pourra être contraint de divulguer ce qui lui aura été révélé ou encore ce dont il aura eu connaissance dans le cadre de cet exercice. Ce dernier est donc similaire à une médiation judiciaire telle que prévue par le Code de procédure civile, à l'exception près que le nom des parties, la somme convenue entre elles et la période visée devront être rendus publics.

Cette procédure permettra au Gouvernement d'éviter les délais inhérents au système judiciaire et des débours importants à titre de frais juridiques. Nous croyons que les entreprises délinquantes, en participant volontairement au programme de remboursement et en démontrant ainsi leur bonne volonté et leurs efforts de réhabilitation, pourront espérer solliciter de nouveau des contrats publics. En effet, la législation semble miser sur la réhabilitation des entreprises puisqu'une déclaration de culpabilité à l'encontre de l'une d'elles n'entraînera pas automatiquement un refus par l'Autorité des marchés financiers d'une demande d'autorisation.

De plus, une affaire déjà en cours qui s'inscrit dans l'esprit du programme de remboursement pourra être suspendue à la demande d'une partie, dans la mesure où celle-ci s'engage à participer au programme.

Règles particulières applicables aux recours judiciaires

Cependant, les entreprises qui préfèrent garder le silence sur leurs activités frauduleuses ou leurs manœuvres dolosives doivent être conscientes que le Projet de loi a également pour effet de faciliter les recours civils à leur encontre.

Effectivement, à partir du moment où l'organisme public fait la preuve qu'une entreprise a commis une fraude ou s'est livrée à des manœuvres dolosives, que ce soit au chapitre de l'adjudication, de l'attribution ou encore de la gestion d'un contrat public, celle-ci sera présumée avoir causé un préjudice à l'organisme public concerné, sans même que ce dernier ait à en démontrer la teneur. Le fardeau de preuve est donc renversé : il reviendra à l'entreprise de démontrer l'absence de préjudice. Une présomption additionnelle s'applique eu égard à la responsabilité des dirigeants de l'entreprise au moment de l'acte reproché. Ceux-ci pourront toutefois se dégager de cette responsabilité s'ils démontrent avoir agi avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente. Les administrateurs de l'entreprise sont également visés, mais dans leur cas, le fardeau de preuve reposera plutôt sur l'organisme public : ce dernier devra établir que ceux-ci avaient connaissance ou, à tout le moins, auraient dû avoir connaissance des actes qui leurs sont reprochés. Il est à noter qu'une fois que la responsabilité est concluante à l'égard de l'entreprise et/ou de ses dirigeants et/ou de ses administrateurs, la responsabilité est solidaire.

Quant au délai de prescription, on déroge à la générale du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») qui l'établit à trois ans dans le cadre d'actions tendant à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier. En effet, une action visant à réparer un préjudice causé à un organisme public par une fraude ou une manœuvre dolosive dans le cadre de l'adjudication, de l'attribution ou de la gestion d'un contrat public dans les vingt années qui précèdent l'entrée en vigueur de la loi, ne pourra être rejetée au motif de prescription si cette action est en cours depuis l'entrée en vigueur de la loi ou si elle est exercée dans les cinq ans suivant cette date.

En ce qui concerne le montant correspondant au préjudice que l'organisme public pourra réclamer devant le tribunal, le Projet de loi établit, en faveur de celui-ci, une présomption réfragable selon laquelle la valeur monétaire du préjudice correspond à 15 % du montant total payé dans le cadre de l'octroi du contrat. Par exemple, dans la situation où un contrat public d'une valeur d'un million de dollars avait été octroyé et payé à une entreprise et que l'organisme public évaluait son préjudice à 15 %, ce préjudice se calculerait comme suit : 1 million x 15 % = 150 000 $. En plus du préjudice de 15 %, lequel constitue une présomption de dommages, l'organisme public pourra réclamer toute somme excédentaire, dans la mesure où il en fait la preuve devant le tribunal.

De plus, il faut mentionner que le montant réclamé comme préjudice portera intérêts au taux de 6 % (selon l'article 28 de la Loi sur l'administration fiscale [ch. A-6.002], lequel se capitalise quotidiennement), et ce, à compter du paiement final effectué par l'organisme public pour le contrat en question.

Afin de garantir cette créance, le Projet de loi accorde également à l'organisme public un droit à l'hypothèque légale sur les biens de l'entreprise, des dirigeants et des administrateurs, le tout suivant les règles de l'article 2724 du C.c.Q. Cette hypothèque légale vise tous les dommages causés à l'organisme public, soit le préjudice présumé à hauteur de 15 % du montant déboursé par l'organisme public, de même que toute somme excédant ce pourcentage dont l'organisme public aura fait la démonstration. Cependant, pour procéder à l'inscription d'une hypothèque légale, une condition additionnelle est prévue : une autorisation doit être obtenue de la part d'un juge en son cabinet, laquelle ne sera accordée que si le recours de l'organisme public paraît fondé et s'il est à craindre que le recouvrement de la créance soit en péril. Il importe toutefois de noter que cette hypothèque prendra rang après les priorités prévues à l'article 2651 C.c.Q., ces créances étant effectivement préférées aux autres créances, même hypothécaires. Cette mesure ne garantit donc pas que des sommes seront disponibles en faveur de l'organisme public et/ou l'État québécois en cas d'une éventuelle condamnation.

Enfin, dans l'éventualité où un tribunal accueille le recours intenté à l'encontre de l'entreprise, il faudra également ajouter un montant forfaitaire égal à 20 % de la somme accordée en réparation du préjudice. Nous sommes portés à croire que ce 20 %, qui vise à couvrir les frais engagés dans l'application de la loi, s'appliquera autant sur le montant à titre de préjudice présumé (jusqu'à 15 %) que sur tout montant additionnel prouvé et obtenu par l'organisme public. Toutefois, le texte n'étant pas tout à fait clair relativement au montant visé par ce 20 %, cet article fera sans doute l'objet de questionnements en commission parlementaire.

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Auteurs

  • Annie Bernard, Associée, Montréal, QC, +1 514 397 5175, abernard@fasken.com
  • Eric Simard, Associé | Cochef, Litiges et résolution de conflits, Montréal, QC, +1 514 397 5147, esimard@fasken.com

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