Dans Spence v. BMO Trust Company, la Cour d'appel de l'Ontario a réexaminé la question de l'opportunité pour les tribunaux de circonscrire la liberté de tester pour des raisons d'ordre public. Emanuel Spence est décédé en 2013, laissant derrière lui deux filles, Verolin Spence et Donna Spence.
Jusqu'en 2002, le défunt et Verolin entretenaient des relations étroites; la situation a toutefois changé lorsque Verolin a annoncé au défunt qu'elle était enceinte et que le père de l'enfant était d'une autre nationalité.Par la suite, en 2010, le défunt a fait un testament et a déshérité Verolin, en faveur de Donna et de ses deux enfants. De fait, le défunt a exclu Verolin de manière non équivoque du partage de toute sa succession, la clause 5(h) de son testament se lisant comme suit :
[Traduction]
Je ne lègue spécifiquement rien à ma fille, [Verolin], qui n'a aucunement communiqué avec moi pendant plusieurs années et qui n'a fait montre d'aucun intérêt à mon égard, en ma qualité de père.
La question en litige dans l'affaire Spence consistait à établir si le testament était invalide, car contraire à l'ordre public, en raison de la décision du défunt de ne rien léguer à Verolin dans son testament à cause de sa relation et de l'enfant qu'elle avait eu avec un homme d'une autre nationalité. Au soutien de ses prétentions, Verolin s'est appuyée sur une preuve extrinsèque par déclaration sous serment non contestée, qui établissait qu'elle avait été déshéritée en raison de discrimination raciale de la part de son père. Cet argument était contraire à la formulation claire de la clause 5(h) ci-dessus, ne faisant pas état d'une telle motivation. BMO Trust Company (« BMO Trust »), le fiduciaire testamentaire nommé, a soutenu que le testament était valide et qu'il ne mentionnait pas explicitement une intention contraire à l'ordre public.
La décision de la juge saisie de la requête
La juge saisie de la requête a estimé que la disposition du testament en question n'était pas à première vue contraire à l'ordre public. Toutefois, sur la base de la preuve par déclaration sous serment, elle a également conclu que la raison du testateur de déshériter Verolin était [traduction] « fondée sur un principe raciste clairement exprimé » (par. 49). La juge saisie de la requête a conclu que la disposition heurtait [traduction] « non seulement la sensibilité humaine, mais aussi l'ordre public » (par. 49). Par conséquent, la juge a conclu que le testament du défunt était invalide et l'a annulé en entier.
La décision de la Cour d'appel
La Cour d'appel de l'Ontario a infirmé la décision de la juge saisie de la requête. À cet effet, le tribunal a axé son raisonnement sur les éléments qui suivent :
- la liberté de tester et le fait que la loi ontarienne n'impose pas d'obligation légale à un testateur de léguer quoi que ce soit dans son testament à un enfant adulte et autonome;
- le fait que cette cause ne constitue pas un dossier d'interprétation de testament, car les termes du testament du défunt sont non équivoques et non ambigus; et
- le fait que le testament du défunt n'imposait pas de conditions contraires à l'ordre public.
Étant donné les circonstances mentionnées ci-dessus, le tribunal a conclu que l'examen de la validité du testament du défunt en se fondant sur l'ordre public et une ingérence dans la liberté de tester du défunt n'étaient pas justifiés.
Le tribunal a noté que les tribunaux canadiens n'hésitaient pas à intervenir pour des raisons d'ordre public lorsque la mise en œuvre des volontés d'un testateur exige que les bénéficiaires, les exécuteurs ou les fiduciaires nommés par le testateur agissent de manière contraire à l'ordre public. Dans cette cause, toutefois, le legs résiduel n'exige pas que le fiduciaire testamentaire, BMO Trust, ou les bénéficiaires, Donna et le fils de Donna, agissent de manière discriminatoire ou illégale; les bénéficiaires résiduels ne sont également pas des « héritiers indignes » (p. ex., une organisation raciste). À cet effet, le testament du défunt n'était pas à première vue contraire à l'ordre public.
Le tribunal est allé plus loin afin d'établir, dans le cas où le testament du défunt aurait expressément déshérité Verolin pour des raisons de discrimination, que le legs aurait néanmoins été valide, car il reflétait l'intention du testateur de disposer de manière privée de ses biens. Comme l'énonce le tribunal (par. 75) :
En l'absence de disposition législative contraire, le principe de common law de la liberté de tester protège les droits d'un testateur de disposer de manière inconditionnelle de ses biens et de choisir ses bénéficiaires selon sa volonté, même pour des raisons de discrimination. Conclure autrement minerait la force de la liberté de tester et serait contraire à l'obligation de retenue judiciaire établie en rejetant des dons testamentaires privés pour des raisons d'ordre public.
Le tribunal a également conclu que la preuve par déclaration sous serment soumise par Verolin était inadmissible. Cette preuve a été considérée extrinsèque, car elle n'était pas incluse dans le testament en tant que tel, et qu'en règle générale, la preuve extrinsèque n'est pas admissible excepté dans les situations où : (i) le testament est équivoque; ou (ii) le testament est ambigu. Dans cette cause, les termes du testament du défunt étaient non équivoques et non ambigus, et les exceptions à la règle générale à l'encontre de l'admissibilité de preuve extrinsèque ne trouvaient donc pas application.
En conclusion, le tribunal a exigé [traduction] « une application musclée du principe de la liberté de tester » (par. 85), et a conclu que la juge saisie de la requête avait commis une erreur dans son « examen axé sur l'ordre public » (par. 86) de l'intention du testateur et en admettant une preuve extrinsèque (par. 113).