Chaim Neuberger est décédé en 2012 et deux filles lui ont survécu, Edie Neuberger et Myra York, ainsi que leurs enfants adultes. En 2004, le défunt a rédigé un testament principal et un testament secondaire (les « testaments de 2004 »). Plus tard, il a rédigé un nouveau testament principal et un nouveau testament secondaire (les « testaments de 2010 »). Les deux séries de testaments faisaient état d'une succession de plusieurs millions de dollars laissée à ses deux filles et à leurs enfants et ils nommaient Edie et Myra fiduciaires testamentaires; toutefois, les deux séries de testaments se différenciaient en ce que les testaments de 2010 léguaient à Myra environ 13 M$ de plus qu'à Edie que ceux de 2004.
En 2013, Edie a intenté une poursuite contestant la validité des testaments de 2010. Dans sa poursuite, Edie a soulevé des questions quant à : (i) l'incapacité présumée de son père au moment où les testaments de 2010 ont été rédigés; et (ii) des circonstances douteuses. Au début de 2014, le fils d'Edie, Adam Jesin-Neuberger, a également contesté la validité des testaments de 2010. Edie et Adam ont demandé que les testaments de 2010 fassent l'objet d'une homologation solennelle (en vertu des règles 75.01 et 75.06 des Règles de procédure civile) qui exige que la personne qui veut se prévaloir du testament prouve que le testament a été validement exécuté, que le testateur avait la capacité de tester et que le testateur connaissait et approuvait le contenu du testament.
Par la suite, les intimés ont déposé une requête en vue d'obtenir le rejet de la contestation des testaments Edie et d'Adam au motif que les contestations étaient par proscrites par la doctrine en equity de la préclusion par assertion de fait et de la préclusion par convention. La préclusion par assertion de fait exige qu'une assertion positive ait été faite par une partie à l'autre partie avec l'intention que l'autre partie y donne suite; si c'est le cas, l'auteur de l'assertion est forclos d'en contester la véracité. La préclusion par convention a lieu lorsque des parties à une transaction agissent en se fondant sur un ensemble de faits convenus ou supposés : si les parties ont toutes deux agi sur la base de ces faits, chaque partie est alors forclose de réfuter les faits relativement à la transaction.
La décision du juge saisi de la requête
La juge saisie de la requête a conclu que la préclusion par assertion de fait et la préclusion par convention étaient applicables. À cet égard, Edie était forclose de déposer sa contestation de testament. Pour arriver à cette conclusion, la juge saisie de la requête a considéré les éléments qui suivent:
- entre le décès de son père et sa contestation du testament, Edie a pris des mesures à titre de fiduciaire testamentaire en vertu des testaments de 2010; et
- Edie a tardé à présenter sa contestation des testaments de 2010 et n'a pu expliquer ce retard.
La juge saisie de la requête a également conclu qu'Adam était un « homme de paille » qui s'était manifesté pour appuyer les prétentions de sa mère sans avoir de connaissance directe de la succession, des testaments de 2010 ou des questions soulevées dans la contestation de sa mère. Comme tel, la juge saisie de la requête a conclu que la contestation d'Adam des testaments était également proscrite et que [traduction] « [Adam] ne pouvait pas faire indirectement pour Edie ce qu'il ne pouvait pas faire indépendamment de lui-même » (par. 120).
Dans son analyse, la juge saisie de la requête a également noté que la règle 75.01 est de nature discrétionnaire et donc que ni Edie ni Adam n'avaient de droit inhérent à l'homologation solennelle des testaments de 2010. La juge a ainsi conclu : [traduction] « aucun bénéficiaire ou aucune personne ayant un intérêt pécuniaire dans la succession n'a de droit acquis de pouvoir contester un testament, action qui est par ailleurs contestée » (par. 112).
La décision de la Cour d'appel
En appel, Adam a soutenu qu'à titre de personne intéressée en vertu des règles 75.01 et 75.06, il avait le droit d'introduire une instance en homologation solennelle des testaments de 2010 avant qu'ils ne soient vérifiés. La Cour d'appel lui a donné tort et a conclu qu'une personne intéressée pouvait demander et non exiger l'homologation solennelle d'un testament en vertu des règles 75.01 et 75.06. Le tribunal a également estimé qu'une partie ou l'auteur de la requête en vertu de la règle 75.06 avait un niveau de preuve minimal à satisfaire avant que le tribunal ne considère la demande de preuve d'un acte testamentaire.
Par conséquent, le tribunal a conclu que les appelants n'avaient pas de droit consacré à l'homologation solennelle des testaments de 2010. Le tribunal a également laissé la décision d'ordonner que les testaments de 2010 soient prouvés et, le cas échéant, de quelle façon, au tribunal qui se penchera sur la demande et la requête pour obtenir des directives concernant la contestation des testaments par Adam et Edie.
Le tribunal a ensuite conclu que les doctrines en equity de la préclusion par assertion de fait et de la préclusion par convention n'empêchaient pas la contestation de la validité d'un testament. Pour arriver à cette conclusion, le tribunal a conclu que : (i) la juge saisie de la requête avait fait erreur en trouvant une base jurisprudentielle à l'application de la doctrine de la préclusion aux questions portant sur la validité d'un testament; et (ii) le recours à la préclusion sur de telles questions est contraire aux considérations d'ordre public qui régissent l'homologation (par. 103).
Sur le premier point, la juge Gillese a conclu que les arrêts de la Cour suprême du Canada dans les affaires Canadian Superior Oil c. Hambly, [1970] RCS 932, et Ryan c. Moore, 2005 CSC 38, ne sont pas pertinents quant à l'application de la préclusion par assertion de fait ou la préclusion par convention aux affaires d'homologation. En outre, la juge Gillese a conclu [traduction] « que la jurisprudence n'appuyait pas l'élargissement des doctrines de la préclusion par convention ou de la préclusion par assertion de fait aux questions impliquant la validité d'un testament » (par. 115).
La juge Gillese a écrit au sujet de l'ordre public (par. 118):
[Traduction]
(...) Un testament, cependant, constitue plus qu'un document privé (...) un différend sur la validité d'un testament touche des intérêts qui dépassent les intérêts des parties au litige et s'étend au testateur et au public. Lorsqu'un testament est homologué, il concerne l'ensemble de la société (...) le tribunal a la responsabilité de s'assurer que les testaments qui respectent les exigences de validité sont homologués. Cette obligation est due aux testateurs, que leur décès empêche de protéger leurs propres intérêts, aux personnes qui ont un intérêt légitime dans la succession et au public en général. S'il était possible d'empêcher une partie de faire établir la validité du testament en vertu de la doctrine de la préclusion, la capacité du tribunal de s'acquitter de cette responsabilité serait menacée.
De plus, le tribunal a accepté l'argument d'Edie voulant qu'accepter la décision d'un tribunal inférieur qu'elle avait indûment retardé l'introduction de sa demande nuise à la liquidation des successions. Comme l'a déclaré le tribunal, [traduction] « le raisonnement de la juge saisie de la requête placerait les fiduciaires testamentaires ayant des doutes quant à la validité d'un testament dans une position insoutenable » (par. 121), car ils auraient à déposer une contestation prématurément ou à ne prendre aucune mesure à titre de fiduciaires testamentaires pendant l'examen de la capacité du testateur.
Finalement, en ce qui concerne les conclusions sur les faits du tribunal inférieu relatives à Adam, le tribunal a conclu que la juge saisie de la requête avait commis une erreur en le qualifiant d'« homme de paille » puisque la preuve soumise par Adam indiquait qu'il avait pris la décision de contester les testaments de manière autonome, et qu'il n'y avait aucune preuve contraire. Le tribunal a également conclu qu'Adam avait néanmoins le droit de poursuivre sa contestation du testament à titre de personne intéressée en vertu de la règle 75.06 même si le tribunal concluait qu'il était un « homme de paille ».