Le 25 novembre dernier, la Cour suprême du Canada a rendu un arrêt [1], dans lequel elle réitère l’importance du privilège relatif au litige en tant que principe distinct du secret pressionnel de l’avocat, tout en énonçant les circonstances dans lesquelles un tribunal peut faire exception à ce privilège. Cet arrêt est susceptible d’intéresser tous les justiciables et avocats souhaitant faire valoir le caractère privilégié de certains documents ou informations dans le contexte d’une instance civile ou d’une enquête administrative ou pénale.
Le privilège relatif au litige en quelques mots
Le privilège relatif au litige est une règle de common law d’origine anglaise. Il crée une immunité de divulgation pour les documents et communications dont l’objet principal est la préparation d’un litige. Les exemples classiques d’éléments couverts par ce privilège sont le dossier de l’avocat et les communications verbales ou écrites entre un avocat et des tiers, par exemple des témoins ou des experts. Le privilège relatif au litige a parfois été confondu avec le secret professionnel de l’avocat. Depuis l’arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39 rendu par la Cour suprême en 2006, il est établi que le secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige se distinguent.
Les faits à l’origine de l’affaire
En juillet 2008, un incendie endommage la résidence de l’assurée d’une compagnie d’assurance («l’Assureur»). Ce dernier mandate alors un expert en sinistre à son emploi pour enquêter sur le sinistre. Par la suite, la syndique adjointe de la Chambre de l’assurance de dommages reçoit une information reprochant certains manquements de l’expert en sinistre dans sa gestion du dossier. Dans le cadre de son enquête, la syndique formule une demande à l’Assureur conformément à l’article 337 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers visant à obtenir, « copie complète de [son] dossier de réclamation, physique et informatique, pour ce sinistre ».
En réponse, l’Assureur transmet plusieurs documents, mais explique en avoir retranché certains au motif que ceux-ci sont visés soit par le secret professionnel de l’avocat, soit par le privilège relatif au litige, compte tenu du fait qu’un litige l’oppose à son assurée.
En juin 2012, la syndique entreprend des procédures en jugement déclaratoire contre l’Assureur pour obtenir les documents recherchés. Ces procédures posent essentiellement la question de savoir si celui-ci a le droit d’opposer le privilège relatif au litige à la syndique, malgré les pouvoirs d’enquête dévolus à cette dernière incluant celui d’exiger la remise de « tout document ». La Cour supérieure conclut que le privilège relatif au litige ne peut être abrogé que par une disposition expresse. La Cour d’appel confirme ce jugement. Elle statue que même si le privilège relatif au litige se distingue du secret professionnel de l’avocat, il s’agit d’une règle d’importance toute aussi fondamentale qui ne peut être écartée que par des termes exprès.
Les principes énoncés par la Cour suprême
Dans son analyse, la Cour rappelle les fondements du privilège relatif au litige avant de reprendre les principes énoncés dans l’arrêt Blank au sujet des distinctions entre celui-ci et le secret professionnel de l’avocat :
- Le secret professionnel de l’avocat vise à préserver une relation alors que le privilège relatif au litige vise à assurer l’efficacité du processus contradictoire;
- Le secret professionnel est permanent, alors que le privilège relatif au litige est temporaire et s’éteint avec le litige;
- Le privilège relatif au litige s’applique à des parties non représentées, alors même qu’il n’y a aucun besoin de protéger l’accès à des services juridiques;
- Le privilège relatif au litige couvre des documents non confidentiels;
- Le privilège relatif au litige n’a pas pour cible les communications entre un avocat et son client en tant que telles.
En réponse à un argument plaidé par la syndique, la Cour rappelle que « le privilège relatif au litige est opposable à tous, y compris à des enquêteurs administratifs ou criminels, et non simplement à l’autre partie au litige ».
En conclusion, selon la Cour, le privilège relatif au litige ne peut être mis à l’écart que par une disposition claire, explicite et non-équivoque à cet effet. En l’espèce, puisque l’article 337 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers ne prévoit que la communication de « tout document » sans plus de précision, il n’a pas pour effet d’écarter ce privilège.
[1] 2016 CSC 52