Le 2 novembre dernier, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi n°110 intitulé Loi concernant le régime de négociation des conventions collectives et de règlement des différends dans le secteur municipal (ci-après la « Loi 110 »), laquelle a pour but de moderniser le cadre des relations de travail dans le secteur municipal en tentant d’équilibrer le droit à la négociation collective des salariés municipaux et la capacité de payer des citoyens. Cette loi est entrée en vigueur à la même date.
La Loi 110 accorde une grande importance à la négociation de bonne foi entre les municipalités et les syndicats représentants les salariés municipaux, mais vise surtout à encadrer cette négociation d’une nouvelle façon. Relativement à ce nouveau cadre imposé aux parties, la Loi 110 contient trois catégories distinctes de dispositions, soit :
a) des dispositions communes à tous les salariés municipaux;
b) des dispositions applicables uniquement aux policiers et aux pompiers;
c) des dispositions applicables à tous les salariés municipaux, excluant les policiers et les pompiers.
Ces dispositions modifient les délais et procédures qui étaient auparavant prévus au Code du travail.[1] Nous examinerons dans les sections qui suivent les délais et procédures qui encadreront dorénavant les négociations avec les salariés municipaux.
a) Dispositions communes à l’ensemble des salariés
Tout d’abord, la Loi 110 prévoit plusieurs principes qui doivent guider les parties dans la détermination des conditions de travail dans le secteur municipal, principes qui reflètent la nature des employeurs municipaux. En effet, en tant qu’institutions démocratiques, la Loi 110 reconnait que les municipalités doivent notamment rendre compte aux contribuables, recruter et maintenir du personnel qualifié avec des conditions de travail justes et raisonnables et favoriser l’équité entre ses membres.[2] Ces principes doivent guider en tout temps les parties et les différents intervenants dans le processus de négociation prévu à la Loi 110 dans la détermination des conditions de travail des salariés municipaux.
b) Dispositions applicables aux policiers et aux pompiers
En ce qui a trait à la procédure de négociation pour les policiers et les pompiers, les différentes étapes prévues pour la négociation des conditions de travail sont les suivantes :
- Début de la phase de négociation : 90e jour précédant celui de l’expiration de la convention collective courante, et ce, malgré l’article 53 du Code du travail.[3] En d’autres termes, aucun avis de négociation n’est désormais requis pour que la phase de négociation débute;
- Phase de négociation d’une durée de 240 jours (8 mois);[4]
- En l’absence d’une convention collective intervenue entre les parties dans les 240 premiers jours de la phase de négociations, l’employeur doit donner un avis au ministre. L’employeur peut toutefois différer l’envoi de cet avis si une entente de principe fait l’objet d’un examen par les salariés;[5]
- Sur réception de l’avis, un médiateur est nommé par le ministre. À noter : en l’absence d’avis et après 15 jours de l’expiration des délais mentionnés ci-dessus, le ministre peut nommer un médiateur de facto;[6]
- Le médiateur doit amener les parties à s’entendre dans les 60 jours suivant sa nomination (une prolongation maximale de 60 jours additionnels est possible);[7]
- À défaut d’entente, le médiateur remet un rapport sur les matières qui font l’objet d’un différend aux parties et au ministre avec ses commentaires;[8]
- Sur réception du rapport, le ministre forme un Conseil de règlement des différends de 3 membres, dont un avocat qui préside;[9]
- Le Conseil fait enquête, procède à l’instruction du différend et rend sa décision en tenant compte de la preuve recueillie au cours de l’enquête et des nouveaux critères prévus à l’article 17 de la Loi 110. Sa décision à la majorité doit être rendue dans les 6 mois de la constitution du Conseil.[10] Les nouveaux critères en question sont les suivants:
(1) la situation financière et fiscale de la municipalité;
(2) les conditions de travail applicables aux salariés concernés;
(3) les conditions de travail applicables aux autres salariés de la municipalité;
(4) la politique de rémunération et dernières majorations consenties par le gouvernement aux employés des secteurs publics et parapublics;
(5) les conditions de travail applicables dans des municipalités semblables;
(6) des exigences relatives à la saine gestion des finances publiques;
(7) la situation économique locale et;
(8) la situation et les perspectives salariales et économiques du Québec[11].
- La décision du Conseil, le cas échéant, a l’effet d’une convention collective et lie les parties pour une durée de cinq (5) ans à compter de l’expiration de la convention collective.[12]
Tel qu’il appert de ce qui précède, les principaux changements apportés par la Loi 110 en ce qui a trait aux policiers et aux pompiers résident dans la mise sur pied d’un processus de médiation suivi d’un Conseil de règlement des différends obligatoire qui remplace l’ arbitrage de différends applicable actuellement. S’ajoute à cela les huit (8) nouveaux critères énoncés précédemment dont le Conseil de règlement des différends devra tenir compte. Il est à prévoir que plusieurs de ces critères feront inévitablement l’objet de débats.
c) Dispositions applicables à tous les salariés municipaux, excluant les policiers et les pompiers
En ce qui a trait aux autres salariés municipaux, la Loi 110 introduit une procédure de règlement des différends plus élaborée que ce qui s’appliquait jusqu’à maintenant. Il reste toutefois à voir si ces changements auront un véritable impact compte tenu du caractère essentiellement consensuel des modification apportées.
En résumé, les différentes étapes applicables pour la négociation des conditions de travail des salariés municipaux, autres que les pompiers et les policiers, sont les suivantes :
- Début de la phase de négociation : aucun changement à ce sujet. La phase de négociation débute toujours à compter du moment où l’avis de négociation est reçu ou est réputé avoir été reçu par son destinataire suivant l’article 53 du Code du travail;[13]
- Fin de la phase de négociation : cent cinquante (150) jours suivant l’acquisition du droit de grève.[14] En d’autres termes, compte tenu de l’article 58 du Code du travail, la phase de négociation est de 240 jours comme pour les pompiers et les policiers;
- En l’absence d’une convention collective intervenue entre les parties le 150e jour suivant l’acquisition du droit de grève, l’employeur donne un avis au ministre. Les parties peuvent toutefois prolonger la période jusqu’au 180e jour;[15]
- Sur réception de l’avis ou en tout temps sur demande conjointe des parties, un médiateur est nommé par le ministre. Il est à noter qu’il ne s’agit pas là en soit d'un changement important puisque les employeurs et syndicats du secteur municipal pouvaient déjà avoir recours aux services de conciliation offerts par le ministère du travail. En l’absence d’avis et après 15 jours de l’expiration des délais mentionnés ci-dessus, le ministre peut nommer un médiateur de facto.[16]
- Le médiateur doit amener les parties à s’entendre dans les 60 jours suivant sa nomination (une prolongation maximale de 60 jours additionnels est possible);[17]
- À défaut d’entente, le médiateur remet un rapport sur les matières qui font l’objet d’un différend aux parties et au ministre avec ses commentaires;[18]
- Après le dépôt du rapport du médiateur, une partie peut demander au ministre, par écrit, la nomination d’un mandataire spécial afin de favoriser un règlement, lequel doit avoir une expérience dans le domaine municipal, économique ou des relations de travail. Un tel mandataire spécial ne sera nommé que si le ministre estime, après consultation du ministre responsable, que tous les moyens en vue de régler le différend ont été épuisés et qu’« à la lumière des circonstances exceptionnelles exposées, la subsistance du différend risque sérieusement de compromettre la prestation de services publics ». Si un tel mandataire spécial est nommé, celui-ci devra, à la fin de son mandat ou dès qu’il conclut qu’une entente est peu probable; transmettre un rapport de son activité aux parties et au ministre;[19]
- Les parties peuvent finalement demander conjointement que leur différend soit soumis à un arbitre unique. Si tel est le cas, l’arbitre, procède à l’instruction du différend et rend sa décision en tenant compte de la preuve recueillie au cours de l’enquête et des critères prévus à l’article 17 de la loi (mentionnés précédemment dans la section relative aux policiers et aux pompiers) et rend une décision dans les six (6) mois de sa nomination;[20]
- La décision de l’arbitre, le cas échéant, a l’effet d’une convention collective et lie les parties pour une durée de 5 ans à compter de l’expiration de la convention collective.[21]
Si l’introduction à la Loi 110 d’un processus d’arbitrage volontaire peut sembler nouvelle, tel n’est pas le cas. En effet, l’article 74 du Code du travail prévoit déjà la possibilité pour les parties à une convention collective, peu importe leur secteur d’activité, de demander conjointement la nomination d’un arbitre de différends. S’ajoute à cela toutefois les nouveaux critères de l’article 17. Il est difficile à ce stade de prévoir si l’application de ces nouveaux critères amènera les parties à recourir plus souvent à l’arbitrage de différends qui est plutôt exceptionnel à l’heure actuelle pour les salariés municipaux autres que les policiers et les pompiers.
Force est aussi de remarquer qu’au-delà des délais qui sont imposés aux parties dans le cadre du processus de négociation, les conséquences de ne pas les respecter ne sont pas claires. La Loi 110 est muette à cet égard. À l’heure actuelle, il est difficile de voir dans ces changements autre chose qu’un potentiel moyen « politique » pour mettre la pression requise pour en arriver à une entente raisonnable.
Règles transitoires
En terminant, il est important de noter que la Loi 110 prévoit des règles transitoires pour les conventions collectives expirées en date du 2 novembre 2016 (date d’entrée en vigueur de la Loi 110). Ces règles prévoient des dates distinctes pour le début de la phase des négociations et des délais différents pour la transmission de l’avis au ministre notamment pour les conventions collectives ayant expiré en 2014, en 2015 ou en 2016 (avant le 2 novembre 2016).
[1] Code du travail, LRQ c. C-27.
[2] Loi 110, article 1.
[3] Loi 110, article 4 al. 1.
[4] Loi 110, article 4 al. 1.
[5] Loi 110, article 4 al. 1 à 3.
[6] Loi 110, article 5.
[7] Loi 110, article 6.
[8] Loi 110, articles 7 et 8.
[9] Loi 110, articles 9 et 10.
[10] Loi 110, articles 12 à 29.
[11] Critères prévus à l’article 17 de la Loi 110.
[12] Loi 110, articles 30 à 36.
[13] Loi 110, article 37.
[14] Loi 110, article 38.
[15] Loi 110, article 38.
[16] Loi 110, article 39.
[17] Loi 110, article 6 et 39 al. 3.
[18] Loi 110, articles 7 et 8 et 39 al. 3.
[19] Loi 110, articles 40 et suivants.
[20] Loi 110, articles 47, 13 à 25 et 27 à 36.
[21] Loi 110, articles 47 et 30 à 36.