Cette décision confirme la nature de la priorité accordée aux réclamations des bénéficiaires de régimes de retraite et de pension en cas d’insolvabilité. Elle est d’intérêt notamment pour les prêteurs, les créanciers garantis et les praticiens en matière d’insolvabilité et de régimes de retraite.
Veuillez prendre note que malgré la nature fédérale du régime d’insolvabilité au Canada, l’application au Québec des principes de cette décision de Colombie-Britannique pourrait différer sensiblement, les considérations relatives aux droits de propriété et aux sûretés étant régis dans cette province par le droit civil, et non la common law.
BULLETIN
La décision récente ITB Marine Group Ltd. c. Northern Transportation Company Limited, 2017 BCSC 2007 [ITB] confirme la nature de la priorité accordée aux réclamations des bénéficiaires de régimes de retraite dans un contexte d’insolvabilité. La décision est pertinente pour les professionnels devant déterminer la priorité du rang des différents créanciers dans un contexte d’insolvabilité, dont les créanciers garantis et des bénéficiaires de fiducies réputées d’origine législative, en particulier dans le contexte de la législation sur les pensions. Cette décision s’inscrit dans la foulée de tentatives similaires visant à concilier d’une part les objectifs de protection des lois sur les régimes de pension ou de retraite, et d’autre part la nécessité d’assurer une stabilité commerciale pour les prêteurs, dont le financement est avantageux à long terme pour l’entreprise et ses parties prenantes, incluant les employés.
Le jugement ITB confirme que : (i) les fiducies réputées établies en vertu d’un texte législatif grèvent les biens du débiteur insolvable, mais sont sujettes aux droits existants des créanciers garantis, à moins que la loi qui crée la fiducie réputée n’accorde expressément aux bénéficiaires de la fiducie la priorité sur les sûretés existantes; (ii) dans le cadre d'une procédure d'insolvabilité, ce sont les dispositions de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité L.R.C. 1985, ch. B-3 (la LFI) et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, ch. C-36 (la LACC), et non les dispositions de la loi applicable aux régimes de retraite ou de pension (provinciale ou fédérale), qui déterminent l’ordre de priorité des réclamations des bénéficiaires de ces régimes.
Contexte
En octobre 2013, ITB Marine Group Ltd. (« ITB Marine ») a vendu une flotte de 19 navires et l'équipement connexe (collectivement les « Navires ») à Northern Transportation Company Limited (« NTCL »). Les navires ont été vendus à NTCL aux termes d'un contrat de vente conditionnelle (le « Contrat de vente conditionnelle ») qui stipulait qu’ITB Marine conservait la propriété des navires tant que NTCL n’aurait pas rempli toutes ses obligations de paiement. ITB Marine a dûment enregistré ses sûretés relatives aux biens personnels de manière à parfaire celles-ci en garantie du prix d'achat des navires.
Auparavant, en juillet 2012, NTCL avait conclu avec son syndicat une entente en vertu de laquelle NTCL convenait d'effectuer des paiements étalés sur dix ans afin de combler le déficit qu’accusait le régime de pension à prestations déterminées de NTCL.
En avril 2016, avant d’avoir finalisé les derniers paiements prévus par le Contrat de vente conditionnelle, NTCL a demandé et obtenu la protection sous la LACC. La majorité des actifs de NTCL, à l'exception des Navires, ont été vendus dans le cadre de ces procédures et, subséquemment, NTCL fut mise en faillite. NTCL a par la suite obtenu une ordonnance de nomination d'un séquestre sur les navires. Le séquestre a vendu les navires et le produit de la vente (le « Produit ») a été conservé tant que le différend qui opposait ITB et Morneau Shepell inc., l'administrateur du régime de retraite de NTCL (l’ « Administrateur »), ne serait pas réglé.
Position des parties
Pour faire valoir son droit au Produit, l'Administrateur a invoqué l’application de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, ch. 32 (2e suppl.) (la « LNPP »), une loi fédérale qui prévoit qu’en cas de liquidation, de cession de biens ou de faillite de l’employeur, une fiducie est réputée créée sur l'actif de l'employeur pour les sommes dues à la caisse de retraite, y compris les sommes dues en vertu d'une convention de liquidation, et que cet actif ne fait pas partie des actifs du patrimoine de l'employeur. Par conséquent, l'Administrateur affirmait que le produit était détenu en fiducie pour le compte de l'Administrateur et ne faisait pas partie des biens grevés par la sûreté d'ITB.
En opposition, ITB faisait valoir que : a) une fiducie réputée ne pouvait grever des biens qui n'étaient pas la propriété du débiteur, incluant des actifs vendus en vertu d'une convention qui réservait le titre de propriété au vendeur jusqu’au parfait paiement; b) la fiducie réputée, créée en vertu de la LNPP, était inopposable à la sûreté qui existait déjà au moment où la fiducie réputée avait pris naissance (c.-à-d. à la date de la faillite); c) il y avait une incohérence entre les dispositions de la LNPP relatives aux fiducies réputées et les articles 81.5 et 81.6 de la LFI, incohérence qui devait être résolue en faveur de l’ordre de priorité prévu par la LFI.
La décision
Le tribunal a souscrit entièrement aux arguments de ITB. Sur le premier point, le juge Bowden a fait remarquer que l'acheteur avait, en vertu du Contrat de vente conditionnelle, un droit sur les marchandises achetées, même avant la cession du titre de propriété, Par contre, cet intérêt se limitait au droit contractuel d'effectuer des paiements supplémentaires en vertu du Contrat de vente conditionnelle et, ultimement, d'obtenir un transfert de propriété. En l’espèce, ce droit n'avait aucune valeur pratique pour l'Administrateur puisque NTCL n'avait aucune valeur nette dans les Navires.
Sur le deuxième point, la Cour a fait observer que si le législateur souhaitait accorder la priorité absolue au bénéficiaire d'une fiducie réputée, ce qui aurait pour effet d'éteindre les droits des créanciers garantis existants, la loi devait énoncer très clairement cette intention. La Cour a estimé qu’on ne trouvait pas dans la LNPP de libellé clair attribuant une priorité absolue à la fiducie réputée.
Enfin, quant au troisième point, le tribunal s'est penché sur plusieurs décisions récentes, dont le jugement Bloom Lake, g.p.l. (Arrangement relatif à), 2015 QCCS 3064 et l’arrêt Sun Indalex Ltd (Re), 2013 CSC 6, qui traitaient du conflit qui existe entre la législation encadrant les régimes de retraite et celle sur l'insolvabilité concernant l’ordre de priorité des créanciers. La Cour précise que dans d'autres cas, le conflit avait été réglé selon la doctrine de la prépondérance fédérale, mais qu'il n'était pas possible de le faire en l’espèce, puisque la LFI et la LNPP sont des lois fédérales. La Cour a plutôt conclu que c’étaient les dispositions de la LFI relatives à la priorité des obligations des régimes de retraite qui s’appliquaient, considérant que ces dispositions étaient plus récentes que les dispositions relatives aux fiducies réputées de la LNPP.
À la lumière du raisonnement , ITB Marine avait droit au Produit en priorité sur l’Administrateur.