Comme le soulignent les autres bulletins de notre série, le projet de loi C-69, annoncé le 8 février 2018, propose des changements radicaux aux cadres juridiques de l’énergie et de l’environnement à l’égard des promoteurs de projet au Canada. Dans le cadre de ces changements, la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie prévoit le remplacement de l’Office national de l’énergie (l’« ONÉ ») par la Régie canadienne de l’énergie (la « RCE »). L’objectif du gouvernement fédéral est la création d’un « organisme de réglementation de l’énergie moderne et de calibre mondial » [1]. Dans ce bulletin, nous présentons les principaux changements proposés par la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie.
Mandat comprenant l’autorisation de projets d’énergie renouvelable extracôtière
En plus de reprendre le mandat actuel de l’ONÉ, la RCE sera de plus chargée de l’autorisation des projets d’énergie renouvelable extracôtière et des lignes de transport d’électricité extracôtières. Un « projet d’énergie renouvelable extracôtière » est défini comme étant l’exploitation d’une ressource renouvelable à des fins de production d’énergie et l’entreposage et le transport d’une énergie produite à partir d’une ressource renouvelable (à l’exception du transport de l’électricité vers une province ou à l’étranger) entreprise dans la zone extracôtière. Actuellement, ces projets extracôtiers sont réglementés par une mosaïque d’organismes provinciaux, territoriaux et fédéraux.
Retrait du pouvoir du Cabinet fédéral d’annulation d’une décision négative
En vertu de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, le gouverneur en conseil n’aura plus le pouvoir d’annuler les décisions de la RCE de ne pas délivrer un certificat pour un projet de pipeline. Le gouverneur en conseil pourra toutefois encore exiger que la RCE réexamine ou annule sa recommandation de délivrer un certificat pour un projet de pipeline.
Participation accrue du public et des peuples autochtones
La Loi sur la Régie canadienne de l’énergie retire le test de l’ONÉ qui limite les participants aux procédures aux personnes qui sont directement touchées par le projet ou qui possèdent une expertise ou des renseignements pertinents. La Loi sur la Régie canadienne de l’énergie énonce plutôt ce qui suit : « Le public peut présenter, de la façon prévue par la Commission, des observations au sujet de la demande de certificat »[2]. D’autres dispositions de la nouvelle loi permettent à la RCE d’établir des processus de participation du public et des peuples autochtones et des processus de collaboration avec le gouvernement ou des organisations autochtones. Même s’il reste à voir comment ces pouvoirs seront utilisés, le gouvernement fédéral a l’intention d’accroître la participation du public et des peuples autochtones.[3]
Structure de gouvernance révisée
Le projet de loi C-69 propose un changement dans l’organisation interne de la RCE en séparant les fonctions administratives et décisionnelles. La fonction administrative sera dirigée par un président-directeur général et la fonction décisionnelle sera menée par une nouvelle commission. La commission sera constituée de commissaires dont le mandat ne peut excéder 10 ans, et au moins un des sept commissaires à temps plein doit être un Autochtone. La RCE possèdera un conseil d’administration assurant la supervision et la direction stratégique, et fournissant des conseils stratégiques. Au moins un des sept administrateurs doit être un Autochtone.
Autres changements dignes d’intérêt
- Évaluation d’impact conjointe. Les nouveaux projets énergétiques exigeant une évaluation d’impact devront être soumis à un processus intégré qui sera mené de façon conjointe par l’Agence canadienne d’évaluation d’impact (l’« ACÉI ») et la RCE. L’ACÉI aura la responsabilité de mener son évaluation d’impact et de coordonner les consultations avec les peuples autochtones en collaboration avec la RCE. La RCE aura la responsabilité de prendre les décisions d’intérêt public en vertu de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie.
- Codification des éléments ayant trait à l’intérêt public. La Loi sur la Régie canadienne de l’énergie codifie les éléments d’intérêt public devant être examinés par la RCE au moment de décider de la certification d’un projet. L’inclusion de l’« interaction du sexe et du genre avec d’autres facteurs identitaires » constitue notamment un élément dont l’ONÉ n’a pas, à notre connaissance, précédemment tenu compte.
- Codification de l’obligation de consultation. Diverses dispositions de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie traduisent de façon générale une tentative de codification de la conclusion de la Cour suprême du Canada énonçant que l’ONÉ a le mandat de mener des consultations au sens qu’en donne l’arrêt Haïda.[4] L’article 56 établit une obligation générale de prendre en compte les effets préjudiciables sur les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. La liste des éléments à considérer dont la RCE doit tenir compte comprend aussi explicitement les intérêts et les préoccupations des peuples autochtones ainsi que les effets sur les droits des peuples autochtones du Canada. La Loi sur la Régie canadienne de l’énergie est également claire à l’égard du fait que l’intérêt public doit être examiné à la lumière des connaissances traditionnelles des peuples autochtones.
- Rôle potentiel des corps dirigeants autochtones. La Loi sur la Régie canadienne de l’énergie énonce que le ministre peut adopter des règlements autorisant les corps dirigeants autochtones à exercer les attributions en vertu de la Loi.
- Échéanciers des décisions Les décisions sur les demandes qui ne font pas l’objet d’une évaluation d’impact en vertu de la nouvelle Loi sur l’évaluation d’impact seront assujetties à des échéanciers d’un maximum de 450 jours pour la certification d’un pipeline, de 300 jours pour une ligne de transport d’électricité internationale, de 300 jours pour un projet d’énergie renouvelable extracôtière ou une ligne de transport d’électricité extracôtière et de 180 jours pour les licences pour l’exploration pétrolière et gazière. Une limite de deux ans sera imposée aux projets importants assujettis au nouveau processus d’évaluation de l’impact.
Conclusion
Les modifications à l’égard du remplacement de l’ONE par la RCE n’ont pas encore été adoptées par le Parlement. Il est manifeste que la portée des changements que connaitront les promoteurs de projets et le public seront établis dans une large mesure par la façon dont le RCE choisira d’exercer ses pouvoirs.
[1]Gouvernement du Canada, Manuel sur la nouvelle régie canadienne de l’énergie.
[2] Projet de loi C-69, partie 2, Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, paragraphe 183 (3).
[3] Gouvernement du Canada, Manuel sur la nouvelle régie canadienne de l’énergie.
[4] Renvoi à notre bulletin : La Cour suprême du Canada conclut que l’Office national de l’énergie a le mandat de consulter : https://www.fasken.com/fr/knowledgehub/2017/07/aboriginallawbulletin-20170726