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Les injonctions interlocutoires en matière de contrefaçon de brevet : la Cour supérieure du Québec dit « oui »

Fasken
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La Cour supérieure du Québec émet une injonction interlocutoire en matière de contrefaçon de brevet

La Cour supérieure a émis, le 9 janvier dernier, une injonction interlocutoire recherchée par une entreprise québécoise pour enjoindre un compétiteur de cesser de produire et de commercialiser des produits contrefacteurs de l'une de ses inventions. La décision s'ajoute à la très courte liste de cas où une injonction interlocutoire a été accordée en matière de brevets au cours des dernières années.

Fasken représente Thermolec Ltée, l'entreprise québécoise qui a fait valoir avec succès ses droits de propriété intellectuelle dans cette affaire.

Contexte

Fondée en 1973, Thermolec Ltée (Thermolec) développe et produit des systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation, dont notamment des serpentins électriques. Le fondateur de Thermolec a inventé un système révolutionnaire agissant sur la capacité de chauffage de serpentins électriques et c'est le respect de ce brevet, détenu par Thermolec, qui faisait l'objet de la demande d'injonction interlocutoire.

Stelpro Design inc. et Gestion Stepro inc. (Stelpro) sont des concurrentes de Thermolec en ce qu'elles commercialisent elles aussi des serpentins électriques.

Thermolec apprend l'existence des serpentins électriques produits par Stelpro lorsque cette dernière se met à soumissionner sur les mêmes appels d'offres que celle-ci. Thermolec s'aperçoit que Stelpro soumissionne à un prix substantiellement plus bas, lui permettant ainsi de s'arroger la clientèle que Thermolec a développée au fil des ans.

Thermolec commande alors les serpentins électriques de Stelpro et constate qu'ils sont munis d'un système en tout point semblable au système développé par Thermolec et protégé par brevet. Thermolec s'adresse ainsi à la Cour supérieure pour faire cesser une telle concurrence déloyale et la violation de ses droits de propriété intellectuelle.

Par la décision Thermolec Ltée c. Stelpro Design inc.,[1] le juge Michel Déziel accorde l'injonction interlocutoire et ordonne à Stelpro de cesser de produire et de commercialiser tout produit contrefacteur du brevet de Thermolec.

Une injonction interlocutoire en cas de violation de droits de propriété intellectuelle

Contrairement aux juridictions de common law qui favorisent l'exécution par équivalent − et donc l'octroi de dommages-intérêts − le Québec, de tradition civiliste, confère au créancier le droit de demander que le débiteur soit forcé d'exécuter en nature l'obligation, dont notamment par le biais d'une ordonnance d'injonction interlocutoire.

C'est donc pour cela que, dans certaines circonstances − notamment lorsque l'entreprise œuvre majoritairement au Québec − un recours devant les tribunaux québécois peut s'avérer être plus avantageux pour mettre un terme de façon expéditive à la contrefaçon exercée, jusqu'à ce qu'un jugement final soit rendu.

La décision Thermolec témoigne donc de l'avantage que peut parfois représenter une action devant les tribunaux québécois plutôt que devant la Cour fédérale en cas de violation de droits de propriété intellectuelle, cette dernière favorisant les audiences au mérite plutôt que les demandes en cours d'instance.

Apparence de droit : présomption de validité du brevet et preuve prima facie de la contrefaçon

Pour démontrer que les serpentins électriques de ses concurrentes reprenaient en tout point son système breveté, Thermolec a fait appel à deux experts ingénieurs. Stelpro a également fait témoigner un expert pour supporter ses allégations à l'effet qu'il existait des distinctions suffisantes entre son système et celui breveté par Thermolec.

Le juge Déziel résume leurs propos pour exposer les prétentions des parties, mais conclut qu'il ne lui revient pas, au stade interlocutoire, de se prononcer sur le mérite de l'affaire.[2] Compte tenu de la présomption de validité du brevet et de la preuve prima facie de contrefaçon qui lui avait été soumise par Thermolec, la Cour supérieure n'a pas retenu les allégations de Stelpro. Elle conclut que Thermolec et ses experts ont fait la démonstration prima facie que l'invention de Thermolec est protégée par un brevet et que cette dernière a une apparence de droit sérieuse.

Le préjudice irréparable apparaît lors d'une violation de brevet

La Cour supérieure conclut, comme c'est le cas en matière de violation de droits d'auteur ou de marque de commerce, que dès qu'il y a violation du brevet, le préjudice apparaît.

Également, la Cour supérieure conclut qu'en plus de la violation de son brevet, Thermolec subit une perte d'achalandage, considérant qu'elle ne peut plus jouir du monopole conféré par son brevet. Le juge Déziel n'hésite donc pas à conclure que Thermolec subira un préjudice sérieux et irréparable si l'injonction n'est pas accordée.

On constate que cette décision de la Cour supérieure suit sensiblement le même raisonnement que celle rendue quelques mois plus tôt dans l'affaire Cedrom SNI inc. c. La Dose Pro inc.[3], dans laquelle la Cour supérieure avait émis une injonction interlocutoire ordonnant à deux sites de veille médiatique de cesser de reproduire le fruit du travail des employés de trois grands éditeurs de journaux québécois. Pour une analyse plus complète de cette dernière décision et de ses implications dans la reconnaissance et l'étendue des droits d'auteur au Québec, consultez notre bulletin « Un juge québécois se prononce sur la notion d'utilisation équitable dans le cadre de la reprise substantielle d'œuvres journalistiques »

La prépondérance des inconvénients favorise Thermolec

Malgré qu'il ne lui était pas nécessaire d'adresser cet élément du test, la Cour supérieure analyse l'importance du système breveté pour les affaires de Thermolec et la compare à l'importance du système contrefacteur pour les affaires de Stelpro. Comme les serpentins électriques munis du système breveté représente au moins 30 % du chiffre d'affaires de Thermolec tandis que les serpentins contrefacteurs représentent moins de 5 % de celui de Stelpro, la Cour supérieure n'hésite pas à conclure que ce critère joue en faveur de Thermolec.

Tous les éléments nécessaires à l'émission d'une injonction interlocutoire étant satisfaits, la Cour supérieure accorde l'injonction demandée et ordonne à Stelpro de cesser de produire et de commercialiser tout produit contrefacteur du brevet de Thermolec.

Leçons à tirer de la décision Thermolec

D'abord, la décision Thermolec s'inscrit comme l'un des rares précédents récents en droit des brevets où une injonction interlocutoire a été accordée.

En plus de confirmer l'application des présomptions de validité et le fait qu'une démonstration prima facie de la contrefaçon suffit au stade interlocutoire, cette décision suit la récente affaire Cedrom et reconnaît l'existence d'un préjudice dès la démonstration d'une violation à un brevet.

Ainsi, à la lumière de la décision Thermolec, il appert que, dans certaines circonstances, une action en Cour supérieure représente une alternative intéressante en matière de contrefaçon de brevet et de violation de droits d'auteur comparativement aux recours traditionnellement  introduits en Cour fédérale.



[1] 2018 QCCS 901 [Thermolec].

[2] Il cite à cet effet Brassard c. Société zoologique de Québec inc., JE 95-1652 (CA), Chic Optic inc. c. Safilo Canada inc., JE 2004-2233 (CS) (requête pour permission d'appeler rejetée), ainsi que la récente décision de la Cour supérieure accordant une injonction interlocutoire en matière de violation de droits d'auteur Cedrom SNI inc. c. La Dose Pro inc., 2017 QCCS 3383.

[3] 2017 QCCS 3383 [Cedrom].

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Auteurs

  • Chris Semerjian, Associé | Litiges et résolution de conflits, Montréal, QC, +1 514 394 4515, csemerjian@fasken.com
  • Joanie Lapalme, Associée | Propriété intellectuelle, Montréal, QC, +1 514 397 5294, jlapalme@fasken.com
  • Patricia Hénault, Avocate | Propriété intellectuelle, Montréal, QC, +1 514 397 7488, phenault@fasken.com

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