Partie 2 : L'intelligence artificielle peut-elle être considérée comme un « auteur » selon la législation sur le droit d'auteur? [1]
La mise au point de l'intelligence artificielle (« IA ») semble en voie d'apporter des changements radicaux à une multitude d'aspects de notre vie quotidienne. Au fur et à mesure que les technologies reposant sur l'IA gagnent en capacité, il est probable qu'elles jouent un rôle de plus en plus important dans la création de propriété intellectuelle (« PI »). Avons-nous atteint un stade dans l'évolution de l'IA où les « machines » pourraient créer elles-mêmes de la matière originale ou brevetable? Il semble bien que oui. En avril 2016, le projet The Next Rembrandt a dévoilé une peinture créée par un algorithme d'IA, qui imite le sujet et le style du célèbre artiste, d'une manière presque indiscernable. Comment les régimes actuels de propriété intellectuelle (PI) reconnaîtront-ils les fruits de ces processus créatifs et inventifs? Ceux-ci devraient-ils bénéficier de la même protection que les œuvres d'auteurs humains? L'utilisation de l'IA comme outil de création ne pose aucun problème et l'importance de son rôle dans le processus créatif augmente au fur et à mesure que la technologie de l'IA progresse. Il est, cependant, intéressant de se demander à quel moment un ordinateur passe de « simple outil » à « inventeur » ou à « auteur ».
Même si on accordait une protection juridique, au sens du régime de PI, aux termes de la propriété intellectuelle aux œuvres générées par ordinateur, on ne sait pas vraiment comment la question de la détention des droits de propriété intellectuelle existants serait est loin d'être résolue, étant donné puisque les ordinateurs n'ont pas, pour l'instant, la capacité juridique de posséder des biens. Compte tenu du fait qu'un autre type d'entité non humaine, notamment la société par actions, possède déjà une personnalité juridique, et, par conséquent, l'octroi de droits similaires aux ordinateurs n'est pas sans précédent.
Dans la première partie, nous nous sommes penchés sur la question de savoir si la technologie fondée sur l'IA pourrait véritablement être considérée comme un inventeur en vertu des lois américaines et canadiennes sur les brevets. Dans la présente partie, nous analyserons la question de savoir si la technologie fondée sur l'IA pourrait être considérée comme étant « l'auteur » d'une œuvre protégée par le droit d'auteur en vertu des lois canadiennes et américaines.
La technologie fondée sur l'IA peut-elle être un auteur?
La loi américaine sur le droit d'auteur dispose que le droit d'auteur sur une œuvre protégée est dévolu à « l'auteur », sans toutefois définir ce terme. A priori, et contrairement à la loi américaine sur les brevets, il ne semble pas y avoir d'exigence selon laquelle l'auteur doit être une personne. Cependant, le Compendium of U.S. Copyright Office Practices, soit le recueil des pratiques du Bureau du droit d'auteur des États-Unis (« le Compendium ») prévoit que le Bureau du droit d'auteur [Traduction] : 1) « enregistrera une œuvre de l'esprit originale, à condition que celle-ci ait été créée par un être humain » (art. 306); 2) « n'enregistrera pas les œuvres produites par la nature, les animaux ou les plantes » (art. 313.2); et 3) « n'enregistrera pas les œuvres générées par une machine ou un simple processus mécanique qui s'exécute au hasard ou de manière automatique, sans apport créatif ni intervention de la part d'un auteur humain » (art. 313.2). Le Compendium étoffe ces règles à l'aide de renvois aux principes jurisprudentiels, qui font écho à l'acte intellectuel de conception requis pour breveter une invention :
La loi sur le droit d'auteur ne protège que « [Traduction] les fruits du travail intellectuel » qui « [Traduction] émanent des pouvoirs créateurs de l'esprit ».
Étant donné que la loi sur le droit d'auteur se limite aux « [Traduction] conceptions intellectuelles originales de l'auteur », le Bureau refusera d'enregistrer une revendication s'il est d'avis que ce n'est pas un être humain qui a créé l'œuvre.
Une mise à jour du Compendium a été publiée en 2014; on y a ajouté une nouvelle exigence, selon laquelle la paternité de l'œuvre doit être détenue par une personne humaine, en réaction à la polémique du « monkey selfie » : un photographe, David Slater, avait déclaré détenir les droits d'auteur sur des égoportraits réalisés par un singe avec son appareil photo. L'organisation People for the Ethical Treatment of Animals (« PETA ») a, par la suite, intenté une action en contrefaçon de droit d'auteur contre Slater, au nom du singe. La poursuite a été rejetée par le tribunal de district des États-Unis au motif que le singe n'était pas un « auteur » en vertu de la loi américaine sur le droit d'auteur. La Cour d'appel a confirmé la décision du tribunal de district.
Considérées dans leur ensemble, les restrictions applicables aux auteurs non humains imposées par le Compendium ainsi que la décision dans l'affaire du « monkey selfie » font en sorte qu'il est improbable que les œuvres d'auteurs non humains puissent être protégées par le droit d'auteur aux États-Unis. Toutefois, comme dans le cas des brevets, il existe peu de moyens pour empêcher un être humain de revendiquer la paternité d'une œuvre créée par un non humain, en particulier lorsqu'une telle œuvre ne possède pas les caractéristiques d'une conception non humaine.
Bien que la loi américaine sur le droit d'auteur ne vise pas les auteurs non humains, il semblerait qu'une œuvre de l'esprit générée par ordinateur puisse être admissible à la protection par droit d'auteur à titre d'œuvre réalisée sur commande. À cet égard, la loi américaine dispose que [Traduction] « l'employeur ou l'autre personne pour qui l'œuvre a été réalisée est considéré comme l'auteur ». Une telle entente ne semblerait toutefois être possible que dans la mesure où l'exception à la protection conférée par le droit d'auteur pour les œuvres générées par les machines, prévue au Compendium, puisse être écartée par une « intervention ou l'apport créatif » d'un être humain.
Les restrictions imposées à l'identité des auteurs en vertu de la loi canadienne sur le droit d'auteur sont également restrictives pour les non humains, mais elles n'y sont pas énoncées aussi explicitement. La Loi sur le droit d'auteur dispose que « le droit d'auteur existe au Canada [...] sur toute œuvre originale [...] si [...] l'auteur était, à la date de sa création, citoyen, sujet, ou résident habituel d'un [pays partie à la Convention de Berne ou à la Convention universelle sur le droit d'auteur ou membre de l'Organisation mondiale du commerce] ». Comme les ordinateurs ne sont pas des citoyens, des sujets ou des personnes, il est peu probable que des œuvres attribuables à des entités non humaines puissent être protégées par le droit d'auteur au Canada, sous réserve de toute attribution future de ce statut aux ordinateurs.
Même si une œuvre générée par ordinateur obtenait une protection par brevet, qui en serait le propriétaire? La Loi sur le droit d'auteur confère la propriété du droit d'auteur à l'auteur comme tel. Comme susmentionné, la question de savoir si les ordinateurs ont la capacité juridique de posséder des biens n'est toujours pas résolue. Par ailleurs, à l'instar des États-Unis, la législation canadienne sur le droit d'auteur confère à l'employeur la propriété des œuvres réalisées dans le cadre d'un emploi. Il est toutefois important de noter que la notion d'emploi est plus étroite au Canada car elle ne s'applique que dans un contexte strict d'emploi. Étant donné que les ordinateurs ne possèdent actuellement pas la capacité juridique de conclure des contrats, on ignore si un ordinateur pourrait être considéré comme un employé. Par conséquent, la propriété du droit d'auteur sur les œuvres générées par ordinateur demeure incertaine en vertu de la loi canadienne.
Fait intéressant, ni les lois américaines, ni les lois canadiennes en matière de droit d'auteur ne définissent les « auteurs » comme des personnes physiques ou même des personnes, contrairement aux inventeurs. Bien au contraire, elles restreignent la protection des œuvres de l'esprit aux humains, acceptant implicitement qu'une œuvre de l'esprit puisse être celle d'un auteur non humain.
Étant donné l'évolution constante du paysage de la technologie sur laquelle reposedomaine de l'IA et des nouveaux enjeux juridiques s'y rapportant, les personnes qui travaillent avectous ceux faisant appel aux technologies dl'IA seraient bien avisées de rechercher les meilleurs moyens de tirer parti des avancées technologiques pourd'en tirer profit, et ce, dans le but d'améliorer l'efficacité et l'efficience de leursdu processus créatifs, tout en sillonnant suivant les principes du droitjuridiques relatifs aux inventions par des non-humains, afin de conserver leurs droits en matière de propriété intellectuelle.
[1]Une version plus longue de ce bulletin et de celui du mois dernier sera publiée dans le numéro d'août 2018 de « For The Defense » de DRI.