En mars 2018, le président Donald Trump a imposé des tarifs sur les importations de certains produits d'acier et d'aluminium en provenance du Canada, aux taux respectifs de 25 % et de 10 %. Cette décision fait suite à l’enquête menée par le secrétaire au Commerce américain Wilbur Ross sur l’impact des importations d’acier et d’aluminium sur la sécurité nationale des États-Unis. Les tarifs imposés au Canada et au Mexique sont entrés en vigueur le 1er juin 2018. Ces tarifs doivent être pris très au sérieux, particulièrement par ceux qui sont touchés directement. Au surplus, l’imposition en vertu de l’article 232 du Trade Expansion Act of 1962, de tarifs sur les automobiles et les pièces automobiles fabriquées au Canada pour protéger la sécurité nationale est tout aussi préoccupante pour l’industrie automobile, en plus de constituer un risque de préjudice permanent, surtout sur le plan structurel, pour l’économie de l’Ontario. Le présent bulletin aborde les éventuels préjudices que causeraient les tarifs imposés en vertu de l’article 232 pour les entreprises automobiles et les fournisseurs de ce secteur, ainsi que les mesures potentielles pouvant être prises advenant que de tels tarifs soient imposés.
Enquête relative à l’article 232 : Les règles de base pour prétendre que l’importation d’automobiles et de pièces d’automobile constitue une menace à la sécurité nationale
En vertu de l’article 232 de la Trade Expansion Act of 1962 (19 U.S.C. §1862) portant sur les pouvoirs en matière de sécurité nationale, le président des États-Unis a le pouvoir d’imposer des tarifs sur des biens importés sans obtenir l’approbation du Congrès. En vertu du même article, le secrétaire du Commerce peut mener une enquête quant aux impacts directs de l’importation de tout produit sur la sécurité nationale des États-Unis. Au plus tard 270 jours suivant le début de l’enquête, le secrétaire du Commerce doit soumettre au président des États-Unis un rapport contenant ses recommandations sur la question de savoir si l’importation d’un article pose un risque à la sécurité nationale. Le président peut approuver, ou non, ces recommandations puis prendre les mesures qui s’imposent pour contrer ce risque, notamment pour [TRADUCTION] « ajuster l’importation de ces articles et de leurs dérivés ».
À la demande du président Donald Trump, le secrétaire du Commerce Wilbur Ross a entamé une enquête le 23 mai 2018 pour déterminer si l’importation d’automobiles et de pièces automobiles constituait une menace à la sécurité nationale des États-Unis. Dans une déclaration officielle, Wilbur Ross affirmait que les importations d’automobiles érodaient l’industrie automobile américaine depuis des décennies et que son enquête déterminera si [TRADUCTION] « ces importations affaiblissent notre économie interne et pourraient constituer un risque pour la sécurité nationale ». Bien que le gouvernement ait jusqu’en février 2019 pour conclure son enquête, Wilbur Ross s’attend à ce que celle-ci soit terminée en juillet ou en août 2018, ce qui permettrait d’imposer les tarifs avant les élections de mi-mandat, prévues en novembre 2018.
Le secrétaire Wilbur Ross a affirmé que la sécurité nationale est préoccupante, car la baisse de production nationale d’automobiles et de pièces automobiles [TRADUCTION] « menace d’affaiblir l’économie interne des États-Unis, notamment en réduisant potentiellement la recherche, le développement et le nombre d’emplois pour les travailleurs qualifiés dans les systèmes de véhicules intelligents, les véhicules autonomes, les piles à combustible, les moteurs électriques et leur entreposage, les procédés de fabrication perfectionnés et autres technologies de pointe ». Il est donc légitime de se demander si cela constitue une tactique visant à exercer de la pression sur le Canada et le Mexique afin que ces deux pays prennent des décisions difficiles sur le plan politique et fassent des concessions relativement à l’ALENA, notamment quant aux règles d'origine dans le secteur automobile. En effet, de hauts fonctionnaires de l’administration américaine, y compris le président Donald Trump lui-même, ont déclaré clairement que les tarifs liés à la sécurité nationale imposés sur l’acier et l’aluminium canadien ont pour but de forcer le Canada à faire des concessions dans le cadre des négociations relatives à l’ALENA.
Les effets potentiels importants au Canada suite l’imposition de tarifs sur les importations dans le secteur automobile
Le secteur automobile de l’Amérique du Nord est hautement intégré, grâce notamment à une chaîne d’approvisionnement complexe développée au cours de nombreuses décennies. Si les tarifs imposés au Canada et au Mexique étaient de 25 %, soit le pourcentage que le président Donald Trump a proposé, les fabricants automobiles seraient probablement obligés de modifier radicalement leurs opérations, ce qui risquerait de perturber la chaîne d’approvisionnement sous sa forme actuelle. Selon les modèles économiques, de tels tarifs entraîneraient d’importantes pertes d’emplois dans les trois pays signataires de l’ALENA. Selon un rapport de Trade Partnership Worldwide, un tarif de 25 % hausserait d’environ de 6 400 $ US le prix d’une automobile importée dont la valeur actuelle est de 30 000 $ US, et exercerait une pression sur les entreprises canadiennes et mexicaines pour qu’elles déménagent leurs usines de fabrication d’automobiles aux États-Unis. Un rapport de la Banque TD portant sur la conjoncture économique prédit que les tarifs sur les automobiles visant à protéger la sécurité nationale engendreraient une courte récession au Canada et nuirait de façon permanente au rendement économique du Canada. L’exportation d’automobiles représente le quart de l’activité économique de l’Ontario, province où est concentré le secteur automobile. En Ontario, les tarifs réduiraient la croissance de 2 % et entraîneraient potentiellement la perte d’un emploi sur cinq dans ce secteur manufacturier précis. Il existe des programmes de soutien du gouvernement pour atténuer certains effets néfastes, néanmoins, ces derniers ne protégeraient pas complètement l’industrie canadienne contre les effets de l’imposition de tels tarifs.
La réponse du Canada aux tarifs visant la protection de la sécurité nationale : tarifs de rétorsion et contestation déposée auprès de l’OMC
Le Canada a imposé des tarifs de rétorsion pouvant atteindre les 16,6 G$ CA, soit la valeur des exportations américaines au 1er juillet 2018, en réponse aux tarifs américains imposés, ce qui constitue une mesure de rétorsion « dollar pour dollar ». On peut se demander si le Canada pourrait imposer des tarifs de rétorsion équivalents sur les importations américaines d’automobiles et de pièces automobiles. En plus des répercussions importantes qu’un tarif de 25 % aurait sur l’économie canadienne, la présence de chaînes d’approvisionnement hautement intégrées entre le Canada et les États-Unis fait en sorte que, plus les tarifs de rétorsion qu’impose le Canada sont élevés, plus cette mesure est susceptible de nuire à l’industrie automobile et à l’économie canadienne.
Contestations auprès de l’Organisation mondiale du commerce (L’« OMC ») Le Canada, ainsi que l’Union européenne, le Mexique et d’autres pays, ont déposé auprès de l’OMC une contestation relative aux tarifs sur l’acier et l’aluminium imposés en vertu de l’article 232, dans laquelle ils soumettent que ces tarifs enfreignent les règles relatives aux mesures de sauvegarde de l’OMC et d’autres obligations prescrites par cette dernière. Il faudra plusieurs années à l’OMC pour en arriver à une décision relativement aux tarifs imposés sur l’acier et l’aluminium. Bien que les contestations déposées auprès de l’OMC constituent une réponse légitime, toute contestation relative aux tarifs imposés en vertu de l’article 232 déposée auprès de l’OMC concernant le secteur automobile ne sera résolue qu’après un délai semblable.
Bien qu’ils fassent partie des réponses légitimes sur le plan juridique, les tarifs de rétorsion et les contestations déposées auprès de l’OMC risquent d’avoir un effet favorable limité à court terme pour l’industrie automobile et l’économie du Canada déjà éprouvées.
Des réponses à un environnement complexe potentiellement menaçant
Les prochains mois seront inquiétants pour l’industrie automobile en raison de la possibilité d’imposition de tarifs sur les automobiles et les pièces automobiles en vertu de l’article 232 et de l’arrêt des négociations relatives à l’ALENA, situation qui génère incertitude et imprévisibilité, deux facteurs qui ralentissent considérablement la planification à long terme. Dans un tel contexte, les entreprises et fournisseurs du secteur automobile canadien envisagent un plan B, voire un plan C, comprenant un effort concerté pour repérer d’autres sources d’apport, ainsi que d’autres fournisseurs et marchés. Bien qu’elles soulèvent certaines inquiétudes, les deux meilleures options d’exploration d’autres marchés dans le contexte de l’imposition de tarifs en vertu de l’article 232 sont la mise en œuvre récente de l’Accord économique et commercial global (AECG) conclu avec l’Union européenne et l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) entériné par le Canada, le Japon et les autres pays signataires, qui constitue l’étape juridique que doit franchir chacun des signataires du PTPGP avant l’entrée en vigueur de cet accord. Même si l’AECG et le PTPGP ne pourront offrir un soulagement immédiat à un secteur si profondément intégré au marché nord-américain, une analyse sérieuse des occasions qu’offrent ces accords importants s’impose.
En Amérique du Nord, l’industrie automobile est certainement au fait des raisons qu’a évoquées le secrétaire du Commerce Wilbur Ross pour justifier la tenue d’une enquête sur la sécurité nationale dans le secteur automobile, soit maintenir les emplois manufacturiers aux États-Unis et éviter la perte de la part du marché qu’occupent les investissements pour la recherche et le développement dans le secteur automobile. Voilà des questions que les parties signataires de l’ALENA négocient pour tenter d’en arriver à une entente sur le contenu des règles d’origine applicables aux produits automobiles. Pour les signataires de l’ALENA, le fait d’imposer des tarifs de rétorsion sur les produits automobiles rend plus difficile l’atteinte d’une entente à cet égard, bien que cette imposition soit compréhensible et justifiée comme réponse aux tarifs imposés en vertu de l’article 232. Compte tenu du fait qu’en cas d’échec des négociations relatives à l’ALENA, un tarif serait imposé sur les produits automobiles causant des dommages permanents à l’industrie automobile canadienne (et américaine), la pression est forte pour le gouvernement canadien pour faire débloquer les négociations relatives à l’ALENA et ainsi parvenir à un accord.