Passer au contenu principal
Bulletin

Casinos, cartes et le jeu Counter-strike : Un aperçu des paris sur des objets virtuels (skin gambling) au Canada et à l’étranger

Fasken
Temps de lecture 13 minutes
S'inscrire
Partager

Aperçu

Bulletin Technologies, medias et télécommunications

Au cours des dernières années, l'industrie du jeu de hasard a été témoin de la croissance de sites de paris sur des objets virtuels. Les critiques n'ont pas tardé à émettre des mises en garde, soulevant le besoin d'une réglementation serrée et de mesures de protection pour protéger les enfants contre ce type de plateformes. Ce bulletin explore la pratique du pari sur des objets virtuels, notamment les mesures de nature réglementaire qui y sont associées au Québec et dans le reste du monde.

Qu'est-ce que le pari sur des objets virtuels (skin gambling) ?

Dans l'industrie du jeu vidéo, le pari sur des objets virtuels fait référence à l'utilisation d'objets virtuels, appelés « skins », pour parier sur les résultats de parties de sports professionnels en ligne, de jeux de type cagnotte « jackpot », de même que de formes de pari plus simples comme la roulette, le blackjack ou le pile ou face. En 2016, ce marché était estimé à 7,4 milliards de dollars américains.

Le terme « skin » (peau) provient du rôle pratique que jouent ces objets virtuels, qui consiste à modifier l'apparence du joueur au cours du jeu, que ce soit par ses armes, son matériel ou son costume. Les joueurs peuvent alterner entre l'apparence de base de leurs « objets » et les « skins » qu'ils peuvent y ajouter et qu'ils ont gagnés en jouant, ou qu'ils se sont procurés par des échanges avec d'autres joueurs ou par des achats en ligne. Ces « skins » n'ont aucun effet sur l'utilité de l'arme ou du matériel; ils constituent purement un ajout esthétique. Il existe plusieurs types de « skins », d'une grande diversité. Selon le jeu auquel on joue, certains peuvent être rares et de ce fait avoir plus de valeur pour le joueur qui les utilise ou les échange.

Ils sont créés par les développeurs des jeux et les joueurs peuvent se les procurer i) par l'atteinte de résultats dans le jeu ou ii) en les achetant en ligne sur un site géré par le développeur ou l'éditeur du jeu.

Problèmes associés au pari sur des objets virtuels

En raison de la variété et de la rareté relative de certains d'entre eux, les « skins » sont devenus un choix de rechange attrayant pour l'argent ou les monnaies virtuelles au sein de la communauté du pari en ligne. La pratique est par exemple populaire dans le jeu Counter-Strike: Global Offensive de Valve Corporation (« Valve »), un jeu vidéo multijoueur de tir subjectif, mais on la rencontre également dans d'autres jeux, comme Dota 2 et League of Legends. Des plateformes illicites de pari en ligne ont fait leur apparition, utilisant le marché Steam de Valve pour faciliter l'achat, la vente et l'échange de « skins » entre joueurs de jeux de ce type pour de l'argent non virtuel. L'utilisation du marché Steam pour permettre le commerce de « skins » comme forme de monnaie d'échange dans le cadre de paris contrevient aux propres conditions de service du marché Steam[1].

Des réactions au phénomène du pari sur des objets virtuels ont émergé de divers secteurs, d'un point de vue commercial et gouvernemental. L'une des questions qui ont suscité le plus d'attention semble être celle de l'effet du pari sur des objets virtuels sur les jeunes. En raison de l'intérêt pour les jeux vidéo parmi les jeunes, la crainte est que les enfants et les adolescents soient exposés à la pratique du pari. Cela suscite par la même occasion la crainte d'un risque plus élevé de dépendance et de toxicomanie chez les jeunes. Bien qu'il soit difficile de mesurer la prévalence du pari sur des objets virtuels parmi les jeunes dans le monde, une étude britannique a conclu que 11 % des jeunes de 11 à 16 ans en Grande-Bretagne avaient fait des paris en utilisant des objets de jeu vidéo[2].

La réaction et la critique internationale à l'égard du pari sur des objets virtuels

Les fonctionnaires de la Washington State Gambling Commission (la commission du jeu de hasard de l'État de Washington), le principal organisme de réglementation dans l'État d'origine de Valve, a ordonné à Valve de « cesser tout transfert de '' skins '' d'armes de jeu à des fins de pari. »[3] Valve a fait preuve de coopération et a informé la Commission qu'elle avait pris des mesures contre divers sites de paris sur des objets virtuels en annulant leurs comptes Steam[4]. Il n'y a pas eu d'autres mesures officielles de type législatif ou réglementaire de la part des législateurs aux États-Unis pour offrir un encadrement pour le pari sur des objets virtuels.

Le sénateur australien Nick Xenophon a été l'un des premiers législateurs à sonner l'alarme au sujet du pari sur des objets virtuels, en critiquant l'absence d'une position législative ferme dans son pays. Bien que la loi australienne Interactive Gambling Act 2001 (loi de 2001 sur le pari interactif) interdise la plupart des formes de pari en ligne, y compris l'utilisation d'objets de jeu vidéo comme mise de pari, nombreux sont ceux qui soutiennent que cette législation est en retard sur son temps quand il s'agit de faire face à ces problèmes[5]. Ceux qui défendent ce point de vue maintiennent que la loi Interactive Gambling Act 2001 a été adoptée avant les progrès technologiques qui ont donné naissance au pari virtuel et n'est donc pas adaptée pour une réglementation appropriée de ce phénomène émergent. 

Le Danemark est le pays à s'être penché le plus récemment sur la pratique du pari sur des objets virtuels. Le 6 février 2018, Spillemyndigheden, l'agence de réglementation du Danemark, a gagné en cour et forcé les FSI danois à bloquer l'accès à 24 sites web de paris non autorisés, y compris six sites de paris sur des objets virtuels sur des sports en ligne. Bien que ces sites aient été bannis pour avoir omis d'obtenir la permission du Spillemyndigheden de fonctionner comme plateformes de pari, le tribunal a noté que de nombreux responsables de la réglementation avaient exprimé une inquiétude au sujet de la popularité du pari sur des objets virtuels chez les mineurs adeptes du jeu vidéo[6].

Le pari sur des objets virtuels au Canada

Même si le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux n'ont pas, pour le moment, traité directement des paris sur des objets virtuels, une nouvelle loi du Québec constitue une menace indirecte pour cette pratique. Le 18 mai 2016, le projet de loi 74[7] du Québec a reçu la sanction royale de l'Assemblée nationale du Québec. Le projet de loi 74 était destiné à modifier la Loi sur la protection du consommateur[8] du Québec en forçant les FSI à bloquer aux Québécois l'accès aux sites de jeux de hasard sur Internet qui font concurrence à Loto-Québec, l'exploitant de loteries de la province. On peut soutenir qu'une telle modification de la Loi sur la protection du consommateur ciblerait les jeux vidéo qui comportent une composante de jeu de hasard, qu'elle soit intégrée au sein même du jeu ou qu'elle soit suscitée par une tierce partie. Le projet de loi 74 exigerait des FSI qu'ils rendent ces sites inaccessibles au Québec. Le Québec allait ainsi devenir le deuxième endroit après le Danemark [9] à exiger des FSI qu'ils restreignent l'accès aux plateformes de pari en ligne.

Suite à l'adoption du projet de loi 74, l'Association canadienne des télécommunications sans fil (l'« ACTS ») a, au nom des FSI canadiens, déposé devant la Cour supérieure du Québec une requête alléguant que le projet de loi 74 promouvait la censure en ligne et contrevenait à la Charte canadienne des droits et libertés[10]. Le 18 juillet 2018, la Cour supérieure du Québec a rendu sa décision dans l'affaire Association canadienne des télécommunications c. Procureure générale du Québec[11]. Le tribunal a examiné les questions du point de vue de la répartition constitutionnelle des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Les restrictions sur le contenu que les FSI ont le droit de diffuser relèvent sans équivoque du droit exclusif du gouvernement fédéral à légiférer en matière de télécommunications et de droit criminel[12]. Le tribunal n'a pas accepté l'affirmation des gouvernements provinciaux que de telles restrictions devraient être mises en place pour assurer la protection du consommateur et améliorer la santé publique, domaines qui sont tous deux de juridiction provinciale. De ce fait, le tribunal s'est rangé du côté de l'ACTS et a déclaré anticonstitutionnelles les dispositions significatives du projet de loi 74.

Le gouvernement du Québec a jusqu'au 23 août 2018 pour faire appel de la décision de la Cour supérieure. Fasken va continuer à surveiller cette affaire de près, dans l'espoir que sa conclusion servira de fondement à la compréhension de la position du Canada à l'égard des paris sur des objets virtuels. Pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec Andrew C. Alleyne ou Jonathan Raizenne.


 

[1] L'article 2(g) de l'accord de souscription Steam énonce : « [l'utilisateur] n'est pas autorisé à utiliser le contenu et les services à des fins autres que l'accès autorisé à Steam et aux souscriptions de [l'utilisateur],pour faire une utilisation personnelle, non commerciale des souscriptions de [l'utilisateur] […] l'utilisateur n'a pas le droit […] d'exploiter le contenu et les services, en tout ou en partie, à des fins commerciales quelles qu'elles soient.»  Accord de souscription Steam, en ligne.

[2] Gambling Commission, "Young People and Gambling 2017: A Research Study Among 11-16 Year Olds in Great Britain", December 2017, at p 4. (commission du jeu : « Les jeunes et le jeu de hasard en 2017 : une étude de recherche parmi les 11 à 16 ans en Grande-Bretagne », décembre 2017, page 4).

[3] Jacob Wolf, Washington State Gambling Commission orders Valve to Stop Skins Gambling, en ligne.

[4] Andy Chalk, Valve denies wrongdoing in skin gambling rumblings "no factual or legal support for these accusations", en ligne.

[5] Catherine Armitage, "Nick Xenophon calls for curbs on teen gambling in eSports video games" The Sydney Morning Herald (July 30, 2016), en ligne.

[6] Steven Stradbrooke, Denmark ISPs ordered to block online gambling domains, en ligne.

[7] Loi portant sur la mise en œuvre de certaines dispositions du Discours du budget du 26 mars 2015 SQ 2016, c 7.

[8] CQLR c P-40.1.

[9] George Miller, Danish ISPs ordered to block online gambling domains, en ligne.

[10] Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui est l'annexe B de la Loi sur le Canada de 1982 du Royaume-Uni, 1982, c 11.

[11] 2018 QCCA 3159.

[12] Ibid. au par. 165.

Contactez les auteurs

Pour plus d'informations ou pour discuter d'un sujet, veuillez nous contacter.

Contactez les auteurs

Auteurs

  • Andrew C. Alleyne, Associé, Toronto, ON, +1 416 868 3338, aalleyne@fasken.com
  • Jonathan Raizenne, Avocat, Montréal, QC, +1 514 397 4394, jraizenne@fasken.com

    Abonnement

    Recevez des mises à jour de notre équipe

    S'inscrire