Les Projets de loi C-45[1] et C-46[2] ont été sanctionnés le 12 juin 2018 et entreront en vigueur le 17 octobre 2018, suite à l'annonce du premier ministre le 20 juin 2018. Ces projets de loi s'inscrivent dans l'orientation du gouvernement de restreindre l'accès des jeunes au cannabis, de décourager les activités criminelles par l'imposition d'importantes sanctions pénales aux personnes contrevenant aux nouvelles dispositions et de réduire l'engorgement du système de justice. Le Projet de loi n°157[3], présenté par le gouvernement québécois, a pour objectif d'établir le cadre juridique qui devra également être respecté par les particuliers et les personnes morales de la province du Québec. Ce projet de loi entrera en vigueur au même moment que les projets C-45 et C-46.
Revue des changements législatifs principaux
Changements législatifs apportés par le gouvernement fédéral (Projets de loi C-45 et C-46)
Le Projet de loi C-45 édicte la Loi sur le cannabis, laquelle vise à permettre un accès légal au cannabis tout en contrôlant et règlementant sa production, sa distribution et sa vente. Dès le 17 octobre 2018, toute personne majeure[4] pourra notamment posséder et partager jusqu'à 30 grammes de cannabis séché et cultiver jusqu'à quatre (4) plants par résidence à des fins de consommation personnelle[5].
Quant au Projet de loi C-46, celui-ci se penche plutôt sur les infractions au Code criminel relatives à la conduite avec facultés affaiblies. Plus spécifiquement, il crée de nouvelles infractions pénales pour la conduite avec une concentration de tétrahydrocannabinol (« THC ») dans le sang égale ou supérieure à 5ng/ml de sang[6].
Changements législatifs apportés par le gouvernement québécois (Projet de loi n°157)
Le Projet de loi n°157 édicte la Loi encadrant le cannabis et modifie diverses dispositions en matière de sécurité routière. Le Code de la sécurité routière introduira un principe de tolérance zéro en matière de drogues et interdira à toute personne de conduire un véhicule routier ou d'en avoir la garde ou le contrôle s'il y a présence de cannabis dans son organisme[7]. La contravention à cette règle entraînera la suspension immédiate du permis de conduire du contrevenant pour quatre-vingt-dix (90) jours en cas de test positif[8].
Le tableau subséquent résume les nouvelles dispositions criminelles et pénales prévues par le Code criminel, la Loi sur le cannabis et la Loi encadrant le cannabis qui devront être respectées par les Québécois.
Activité visée |
Code criminelet Loi sur le cannabis (dispositions criminelles) |
Loi encadrant le cannabis (dispositions pénales) |
Possession de cannabis |
Est coupable d'une infraction criminelle tout individu âgé de 18 ans ou plus possédant dans un lieu public, plus de 30 g de cannabis séché[9] |
Est coupable d'une infraction tout individu âgé de 18 ans possédant dans un lieu ou plusieurs lieux, autre qu'un lieu public, plus de 150 g de cannabis séché[10] |
Est coupable d'une infraction criminelle tout individu âgé de 12 à 17 ans possédant dans un lieu public, plus de 5 g de cannabis séché[11] |
Est coupable d'une infraction tout individu âgé de moins de 18 ans possédant du cannabis (interdiction de possession)[12] |
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Est coupable d'une infraction criminelle tout individu possédant du cannabis lorsqu'il sait qu'il s'agit de cannabis illicite[13] |
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Est coupable d'une infraction criminelle tout individu ayant en sa possession plus de 4 plantes de cannabis qui sont ni en train de bourgeonner ni en train de fleurir[14] |
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Distribution |
Est coupable d'une infraction criminelle tout individu distribuant plus de 30 g de cannabis séché[15] |
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Est coupable d'une infraction criminelle tout individu distribuant du cannabis sachant qu'il s'agit de cannabis illicite[16] |
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Vente |
Est coupable d'une infraction criminelle tout individu vendant du cannabis à tout individu ou à une organisation[17] |
La Société québécoise du cannabis et un producteur de cannabis satisfaisant au règlement du gouvernement sont les seuls à pouvoir vendre du cannabis (interdiction de vente par un individu)[18] |
Production |
Est coupable d'une infraction criminelle tout individu cultivant, multipliant ou récoltant plus de 4 plantes de cannabis au même moment dans sa maison d'habitation[19] |
Est coupable d'une infraction tout individu faisant la culture de cannabis à des fins personnelles (interdiction de production)[20] |
Est coupable d'une infraction criminelle tout individu obtenant ou offrant d'obtenir du cannabis par la fabrication, la synthèse ou l'altération de ses propriétés physiques ou chimiques[21] |
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Conduite automobile |
Est coupable d'une infraction criminelle tout individu conduisant un véhicule ayant une concentration de THC correspondant à 5ng/ml de sang, deux heures suivant le moment où il a cessé de conduire le véhicule[22] |
Est coupable d'une infraction toute personne conduisant un véhicule s'il y a quelque présence de cannabis dans son organisme (tolérance zéro)[23]. Le permis de conduire sera suspendu sur-le-champ pendant 90 jours en cas de contravention[24] |
Changements apportés à la Loi sur la santé et sécurité du travail
Le 14 février 2018, le gouvernement québécois a amendé son projet de loi afin d'y ajouter de nouvelles dispositions à la Loi sur la santé et la sécurité du travail (« L.S.S.T. »). C'est ainsi que le nouvel article 49.1 L.S.S.T. prévoit qu'un travailleur ne doit pas exécuter son travail lorsque son état représente un risque pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique, ou encore celle des autres personnes qui se trouvent sur les lieux de travail ou à proximité de ces lieux, notamment en raison de ses facultés affaiblies par le cannabis. Cet article crée une obligation corrélative à l'article 2088 du Code civil du Québec qui énonce que le salarié doit exécuter son travail avec prudence et diligence.
Quant au nouvel article 51.2 L.S.S.T., celui-ci crée une obligation pour l'employeur de veiller à ce que son travailleur n'exécute pas son travail lorsque son état représente un risque pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique, ou encore celle des autres personnes, notamment en raison de ses facultés affaiblies par le cannabis.
Les tests de dépistage
Bien que l'employeur ait une obligation de veiller à ce que ses salariés ne travaillent pas sous l'effet d'une drogue qui pourrait avoir pour conséquence de mettre en risque leur sécurité, cette obligation ne lui donne pas le droit de procéder à des tests de dépistage aléatoires. Le dépistage de drogues et d'alcool chez les employés constitue, à première vue, une atteinte à leur droit à la vie privée prévu à la Charte des droits et libertés de la personne. La Cour suprême du Canada a d'ailleurs énoncé, dans l'affaire Irving[25], que l'imposition de tests aléatoires à des employés ne peut être justifiée que si l'employeur démontre que ses salariés occupent un poste à risque dans un milieu de travail dangereux et qu'il existe un problème à l'égard de la consommation dans son entreprise. Autrement, les cas où l'employeur peut faire un test de dépistage ont été résumés par la Cour suprême comme suit :
- L'employeur peut faire un test de dépistage lorsqu'il a un motif raisonnable de croire que son employé a des facultés affaiblies dans l'exercice de ses fonctions;
- L'employeur peut faire un test de dépistage lorsque le salarié a été impliqué dans un accident ou un incident de travail grave;
- L'employeur peut faire un test de dépistage lorsqu'un salarié retourne au travail après avoir suivi un traitement pour combattre l'alcoolisme ou la toxicomanie.
Il est également important de souligner qu'actuellement, les tests de dépistage de cannabis sont encore très incertains puisque ceux-ci ne dévoilent que la présence ou non de THC dans l'organisme de l'individu[26]. Par conséquent, ces tests ne peuvent pas indiquer à l'employeur si la substance présente dans l'organisme du travailleur affecte ou a affecté ses capacités.
L'importance de mettre en place une politique interne
Comme l'utilisation du cannabis suscite plusieurs enjeux concernant la sécurité et la productivité des employés, il est important que les employeurs encadrent la consommation et la possession de cannabis au sein de leur entreprise. À ce jour, les tribunaux ont régulièrement confirmé, par exemple, le congédiement de salariés qui étaient en possession de drogues sur les lieux du travail. Or, la possession de cannabis ne constituera plus une infraction criminelle à compter d'octobre 2018. Tout employeur aura donc intérêt à élaborer une politique claire, prévoyant que la possession et le partage de cannabis sont interdits sur les lieux du travail s'il souhaite imposer une mesure disciplinaire au travailleur.
Il est donc important que l'employeur se questionne, avant l'entrée en vigueur des projets de loi susmentionnés, sur l'adoption d'une politique encadrant le cannabis. En vertu de son droit de gérance, l'employeur peut adopter une politique pour interdire spécifiquement la consommation et/ou la possession de cannabis sur les lieux du travail ainsi que la présence au travail avec les facultés affaiblies par le cannabis, que sa consommation soit légale ou non. L'employeur pourra notamment choisir d'adopter une politique dite de tolérance zéro à ce sujet.
Peu importe la politique adoptée par l'employeur, celui-ci devra l'appliquer de manière rigoureuse, claire, constante et non équivoque. Il devra également s'assurer de la distribuer à tous les employés et de former ses gestionnaires afin qu'ils soient en mesure de bien l'appliquer et de comprendre ses objectifs.
Il est important de souligner qu'une telle politique peut soulever des difficultés dans son application en matière de facultés affaiblies par le cannabis. En effet, lorsqu'un individu consomme du cannabis, la présence de THC peut être détectée dans son organisme plusieurs jours après la consommation. Dans ces circonstances, un test de dépistage pourrait relever la présence de THC dans l'organisme d'un salarié, et ce, même si
sa consommation a eu lieu la veille et que ses capacités ne sont aucunement affaiblies au moment où le test est effectué. Dans de telles circonstances, les observations faites par le personnel de supervision de l'employeur quant au comportement du salarié seront d'une grande importance. Il s'agit là d'une raison de plus pour l'employeur de s'assurer que le personnel de supervision est formé pour intervenir dans ce genre de situation.
[1] Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi règlementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d'autres lois.
[2] Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d'autres lois.
[3] Loi constituant la Société québécoise du cannabis, édictant la Loi encadrant le cannabis et modifiant diverses dispositions en matière de sécurité routière.
[4] Le Projet de loi C-45 prévoit que la compétence en matière d'âge légal de consommation, de vente, de possession et de distribution est dévolue aux provinces.
[5] Art. 8(1) a), art. 9(1) a) (i), art. 10(1) et art. 12(4) b) Loi sur le cannabis.
[6] Règlement sur la concentration de drogue dans le sang. Pour plus d'informations sur les autres règlements adoptés par le gouvernement, voir le bulletin de Fasken « Dévoilement des projets de règlements appuyant l'entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis ».
[7] Art. 202.2.1.3. Code de la sécurité routière.
[8] Art. 202.4.1. Code de la sécurité routière.
[9] Art. 8(1)a) Loi sur le cannabis.
[10] Art. 7 Loi encadrant le cannabis.
[11] Art. 8(1)c) Loi sur le cannabis.
[12] Art. 4 Loi encadrant le cannabis.
[13] Art. 8(1)b) Loi sur le cannabis.
[14] Art. 8(1)e) Loi sur le cannabis.
[15] Art. 9(1)a)(i) Loi sur le cannabis.
[16] Art. 9(1)a)(iv) Loi sur le cannabis.
[17] Art. 10 Loi sur le cannabis.
[18] Art. 25 Loi encadrant le cannabis.
[19] Art. 12(4)b) Loi sur le cannabis..
[20] Art. 10 Loi encadrant le cannabis. Un débat constitutionnel sur l'interdiction du Québec de permettre la production de cannabis à domicile pourrait avoir lieu.
[21] Art. 12(1)a) Loi sur le cannabis.
[22] Art. 253(3) a) Code criminel.
[23] Art. 76.1.12 Code de la sécurité routière.
[24] Art. 202.4.1 Code de la sécurité routière.
[25] Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 30 c. Irving Pulp & Paper, Ltd., 2013 SCC 34.
[26] Centre canadien d'hygiène et de sécurité au travail, 2018 [En ligne].