Le 30 octobre 2018, le gouvernement fédéral a proposé d'importantes modifications à la Loi sur les brevets dans le cadre du projet de loi intitulé Loi no 2 portant exécution du budget de 2018. Ces changements visent à donner suite à la stratégie nationale en matière de PI annoncée plus tôt cette année ayant pour objectif de mieux protéger la propriété intellectuelle et de promouvoir l'innovation au Canada.
Ce bulletin examine les quatre changements les plus significatifs proposés au droit canadien des brevets : 1) la création d'une règle de l'opposabilité des déclarations au dossier de la demande de brevet, qui obligera les titulaires de brevet à s'en tenir aux positions prises au cours du traitement de leur demande de brevet; 2) la création d'un régime réglementaire en ce qui concerne les mises en demeure allégeant la contrefaçon de brevet; 3) l'élargissement de la défense d'utilisation expérimentale; et 4) l'élargissement des droits d'utilisation antérieure d'une technologie brevetée avant la date de dépôt du brevet.[1]
L'opposabilité du dossier de la demande de brevet arrive au Canada
Aux termes des changements proposés, les réponses à un rapport d'examen ou autres écrits déposés au Bureau des brevets pendant la procédure de dépôt d'un brevet deviendront admissibles en preuve à l'égard de l'interprétation des revendications du brevet. Ces déclarations pourront notamment être utilisées pour réfuter toute position prise par le titulaire de brevet au cours d'un litige. Ces nouvelles dispositions législatives écartent une décision de la Cour suprême et une jurisprudence bien établie qui nous interdisaient de se fonder sur l'historique de traitement de la demande de brevet pour interpréter le brevet qui en résultait. Les nouvelles règles proposées aligneront la pratique du Canada sur celle des États-Unis, où il est accepté depuis fort longtemps que les déclarations au dossier de la poursuite du brevet sont opposables au breveté lorsque vient le temps de débattre de l'interprétation des revendications à l'occasion d'un litige.
Bien que les modifications proposées ne soient pas encore entrées en vigueur, les demandeurs de brevet qui préparent ou poursuivent des demandes devraient dès à présent être au fait de ces modifications puisque tout argument présenté au bureau des brevets pour obtenir l'émission du brevet pourrait dorénavant être admissible dans une procédure future lorsque les modifications seront entrées en vigueur.
Un nouveau régime réglementaire concernant les mises en demeure
Il n'existe actuellement aucune disposition particulière régissant les mises en demeure envoyées par les titulaires de brevet alléguant la contrefaçon de leur brevet. En pratique, le nombre croissant de mises en demeure envoyées par des propriétaires de brevets n'exerçant aucune activité commerciale (les fameux « Patent Trolls ») ont entraîné la création d'un cadre réglementaire au Canada qui régira les lettres de mise en demeure en matière de brevets.
Aux termes des modifications proposées, toutes les mises en demeure reçues par des entités canadiennes devront être assujetties aux exigences formelles prescrites par le règlement, que le brevet soit canadien ou autre. Ces exigences s'appliqueront également à toute personne qui envoie une mise en demeure à un destinataire canadien, même provenant de l'étranger. Tout titulaire de brevet voulant faire valoir ses droits au Canada devrait donc bien étudier ces nouvelles dispositions lorsqu'elles auront été entérinées par le règlement.
Le nouveau régime prévoit un droit d'action en cas de non-conformité de la mise en demeure au règlement. Les destinataires des envois non-conformes pourront obtenir réparation devant la Cour fédérale, y compris des dommages-intérêts et punitifs, une injonction, un jugement déclaratoire et les frais de justice. Les administrateurs et les dirigeants d'entreprise qui autorisent ou participent à l'envoi de lettres non-conformes pourraient être tenus responsables s'ils omettent de remédier aux défauts dans un délai raisonnable après avoir été prévenus du défaut, mais pourront se dégager de leur responsabilité en démontrant qu'ils ont fait preuve de diligence raisonnable pour s'assurer du respect des exigences prescrites.
La forme et les exigences relatives aux lettres de mise en demeure, ainsi que les facteurs que le tribunal pourra examiner pour conclure à la responsabilité ou la question de savoir si une diligence raisonnable a été exercée, seront établis par le règlement. Aucune information n'est disponible à ce stade quant au contenu du règlement proposé ou quant à l'échéancier de publication d'un projet de règlement.
L'absence de contrefaçon en cas d'expérimentation
À l'heure actuelle, la Loi sur les brevets prévoit exonération de contrefaçon lorsqu'il y a utilisation à des fins réglementaires ou utilisation non commerciale à titre expérimental de l'objet breveté. L'exception dite d'utilisation à des fins réglementaires permet à une personne de fabriquer, d'utiliser ou de vendre une invention brevetée aux fins d'élaborer et de présenter les observations exigées pour obtenir une approbation réglementaire en vertu d'une loi canadienne ou étrangère, tandis que l'exception d'utilisation à titre expérimental permet des actes privés d'expérimentation qui sont limités à une petite échelle ou à des fins non commerciales.
Aux termes des changements proposés, l'utilisation à titre expérimental sera élargie dans une nouvelle disposition qui protégera « l'acte commis dans un but d'expérimentation à l'égard de l'objet d'un brevet ». Cette formulation est plus large et va au-delà des actes visant des approbations réglementaires ou qui sont limités à des fins non commerciales. Les tribunaux auront le pouvoir d'établir si un acte équivaut à une expérimentation, mais les facteurs et les circonstances qui l'entourent, dont le tribunal peut ou ne peut pas tenir compte dans ses conclusions, devront être fixés par le règlement.
Encore une fois, aucune information n'est disponible présentement en ce qui concerne le contenu du règlement proposé ou l'échéancier de la publication d'un projet de règlement.
L'élargissement de l'exception fondée sur une utilisation antérieure
Actuellement, la Loi sur les brevets permet aux personnes qui ont acheté, fabriqué ou acquis un produit couvert par un brevet avant sa date de revendication, d'utiliser et de vendre le produit à des tiers sans engager leur responsabilité. Il s'agit d'une exception limitée qui s'applique principalement aux objets physiques et seulement dans le cas où ils ont été produits ou acquis avant la date de revendication.
Aux termes des changements proposés, cette exception sera élargie de plusieurs façons. Parmi les changements, les utilisateurs antérieurs pourront se prévaloir de l'exception d'utilisation antérieure à la date de publication du brevet, par opposition à la législation actuelle où l'exception d'utilisation antérieure s'étend uniquement à l'utilisation commencée avant la date de revendication. L'exception s'appliquera aussi à une gamme élargie d'activités, y compris les services, plutôt que d'être limitée aux produits physiques, et s'appliquera aux reventes et aux utilisations subséquentes après un transfert initial par l'utilisateur antérieur. De plus, le régime proposé permettra que des droits fondés sur une utilisation antérieure, dans le cas où elle se ferait dans le cadre des activités d'une entreprise, soient transférables avec l'entreprise elle-même.
Toutefois, le régime a aussi été restreint à certains égards. Les droits fondés sur une utilisation antérieure sont maintenant conditionnels à une utilisation faite de bonne foi et au fait que l'utilisateur ne se soit pas fié à des renseignements obtenus en connaissance de cause du titulaire de brevet, que ce soit directement ou indirectement.
Les utilisateurs qui tentent de tirer profit de ces exceptions seraient bien avisés de conserver soigneusement les dossiers de leur utilisation de technologie et des activités de transfert d'entreprise, en cas de contestation subséquente.
Ces changements proposés à la Loi sur les brevets sont mis de l'avant précipitamment de façon concomitante aux changements apportés à d'autres lois sur la propriété intellectuelle canadienne (consulter les bulletins en matière de PI de Fasken relatifs aux changements proposés à la Loi sur les marques de commerce, la Loi sur le droit d'auteur et la législation sur l'insolvabilité). Parce qu'ils font partie d'un projet de loi omnibus, ils devraient être rapidement adoptés. Par contre, les difficultés surgissent dans les détails - la plupart des changements exigent l'adoption de règlements qui établiront les règles précises qui dicteront les mécanismes régissant ces modifications. Le processus de rédaction des règlements, les consultations avec les parties prenantes et l'adoption définitive des règlements devraient prendre un minimum de 12 à 24 mois suivant l'adoption du projet de loi sur le budget. Toutefois, les titulaires et les utilisateurs de brevet peuvent s'attendre à d'autres consultations de la part du gouvernement à l'égard des règlements proposés et devraient par conséquent prendre connaissance des changements proposés et être prêts à présenter des commentaires sur tout projet de règlement.
[1] Ce bulletin n'a pas pour objectif de décrire tous les changements proposés à la Loi sur les brevets. Toutes les modifications proposées à la Loi sur les brevets se trouvent dans la Loi no2 d'exécution du budget de 2018 et peuvent être consultées ici.