Comme prévu, le 30 novembre 2018, les trois gouvernements des pays membres de l'ALENA ont signé l'Accord États-Unis-Mexique-Canada (ACEUM). L'ACEUM remplace l'ALENA, l'accord historique qu'avaient conclu ces trois pays dans les années 1990.
Le Canada a officiellement nommé l'accord « ACEUM », plaçant le Canada en premier dans l'ordre des pays[1]. Les autres parties ont fait pareil. L'Accord est appelé l'United States Mexico Canada Agreement (USMCA) aux États-Unis[2] et l'El Tratado entre México, Estados Unidos y Canadá (T-MEC) au Mexique[3].
La portée de l'accord ne s'est pas écartée, en substance, du texte qui a été publié à l'avance au moment de la cérémonie de signature. L'accord couvre les points sur lesquels les trois pays sont arrivés à une entente « de principe »[4] plus tôt cet automne[5].
La ratification et la mise en œuvre de l'accord à l'échelle nationale sont les deux dernières étapes à franchir pour que le traité devienne applicable dans chaque État qui y est partie. Le Mexique, un pays de droit civil, n'est pas concerné par cette dernière étape, car ses instruments de droit international sont directement applicables dès leur ratification. En revanche, le Canada et les États-Unis devront pour leur part adopter une loi nationale pour que l'accord ait force de loi.
Veuillez noter que cet article a été rédigé par des avocats qui sont habilités à pratiquer le droit au Canada. Les parties de l'article qui concernent les États-Unis et le Mexique se fondent sur notre compréhension de la situation juridique de ces deux pays.
Canada
Ratification
Une fois l'accord déposé à la Chambre des communes par le ministre des Affaires étrangères, la procédure interne du Canada à l'égard de la ratification de l'ACEUM ne devrait pas nécessiter plus de 21 jours de séances[6].
Un mémoire explicatif destiné à la Chambre des communes sera également déposé par le ministre. Le mémoire décrira le contenu de l'accord, notamment les obligations découlant du traité, les intérêts nationaux, les effets et les incidences économiques, sociales, culturelles, environnementales et juridiques probables, les implications fédérales, provinciales et territoriales, la mise en œuvre et les coûts liés à la conformité[7].
Bien que des débats puissent s'ensuivre, le Cabinet est l'ultime autorité compétente en ce qui concerne le processus de ratification du Canada. Le représentant autorisé du gouvernement du Canada serait en position de ratifier l'accord par décret du gouverneur en conseil (c.-à-d., le Cabinet) une fois le délai prescrit écoulé. Le Parlement n'est pas obligé d'adopter de loi pour que l'accord signé soit ratifié par le Canada. Le décret en conseil autorise le gouvernement à déposer l'instrument de ratification de l'ACEUM par le Canada (c.-à-d., l'expression du consentement du Canada à être lié par l'Accord). Habituellement, c'est le ministre des Affaires étrangères qui ratifie un traité international pour le Canada.
Mise en œuvre
Lorsque le Canada aura ratifié l'ACEUM, l'accord devra suivre le propre processus législatif du Canada pour y avoir force de loi.
Les étapes du processus législatif devant le Parlement comprennent l'introduction d'un projet de loi mettant en œuvre le traité et apportant les modifications corrélatives aux lois touchées par celui-ci le cas échéant (première lecture), des débats, des exposés devant des comités parlementaires et un vote.
Si la Chambre vote finalement en faveur du projet de loi après que le projet de loi a été lu et débattu une troisième fois, le projet de loi sera soumis au Sénat pour examen et adoption.
S'il est adopté par le Sénat, le projet de loi recevra la sanction royale et entrera en vigueur conformément au processus d'adoption des lois du Canada.
Les États-Unis
Bien que le président des États-Unis ait le pouvoir constitutionnel de négocier les traités [traduction] « avec les conseils et le consentement du Sénat, sous réserve de l'assentiment des deux tiers des sénateurs »[8], cela ne s'applique pas aux accords commerciaux[9].
En ce qui concerne la mise en œuvre d'un accord commercial aux États-Unis, le processus est plutôt établi par la loi Bipartisan Congressional Trade Priorities and Accountability Act of 2015[10]. Cette loi permet au président de demander une prorogation au 30 juin 2021 de l'autorisation de promotion du commerce, [11]ce que le président Trump a fait en mai 2018.[12]
Après qu'un accord a été signé, le président a 60 jours pour présenter au Congrès une liste de changements devant être apportés à la loi américaine.[13] Pendant ce temps, le U.S. International Trade Commission (USITC, la commission du commerce international américaine) a 105 jours après la signature pour présenter son rapport sur les conséquences économiques de l'accord commercial au président et au Congrès[14]. Au moins 30 jours avant que la législation de mise en œuvre soit considérée comme définitive, le président doit présenter un projet de loi au Congrès, ainsi qu'une déclaration d'action administrative (« statement of administration action »).[15]
À ce stade, il est probable qu'un projet de loi comportant des modifications provisoires soit soumis à la Commission des voies et moyens de la Chambre et au Comité sénatorial des finances pour permettre une contribution non contraignante de ces comités[16]. Lorsque le projet de loi aura été finalisé, il sera introduit à la Chambre des représentants et il devra alors être adopté par les deux chambres du Congrès à la majorité simple[17]. Le président pourra alors mettre en œuvre l'accord par proclamation et déterminer la date d'entrée en vigueur de l'accord.
Bien que le processus de mise en œuvre de l'accord commercial soit décrit dans la législation sur l'autorisation de la promotion du commerce, la Chambre des représentants et le Sénat conservent le droit constitutionnel d'appliquer les règles de procédures normales de leurs assemblées respectives[18]. Légalement, cela signifie que le Congrès peut choisir de ne pas se prévaloir de la procédure d'autorisation de promotion du commerce, et par conséquent d'ouvrir la possibilité de débat et de modification (et conséquemment, de faire de l'obstruction), ce qui pourrait faire échouer ou retarder la mise en œuvre de l'accord.
L'ALENA demeurera en vigueur tant que le nouvel accord commercial n'aura pas force de loi. Récemment, le président Trump a toutefois évoqué la possibilité que les États-Unis se retirent de l'ALENA. L'ALENA comprend une disposition établissant que les parties à l'accord peuvent se retirer moyennant un préavis de six mois[19]. Ce retrait viendrait faire pression sur le Congrès pour qu'il mette en œuvre de l'ACEUM, afin d'éviter un vide juridique entre les États-Unis et ses deux partenaires commerciaux les plus proches. Le Congrès pourrait ainsi procéder à la mise en œuvre de l'ACEUM plus rapidement que nécessaire en accélérant le processus établi dans la législation sur l'autorisation de promotion du commerce. Si les États-Unis devaient se retirer de l'ALENA avant la mise en œuvre complète aux États-Unis, l'ALENA demeurerait en vigueur entre le Canada et le Mexique, mais pas entre le Canada, le Mexique et les États-Unis.
Mexique
Comme il a été indiqué précédemment, la mise en œuvre d'un traité est moins préoccupante au Mexique qu'au Canada et aux États-Unis. En vertu de la constitution mexicaine, la ratification des traités relève de l'autorité du Sénat mexicain[20]. Sous réserve de l'approbation du Sénat par un vote majoritaire, et s'il est conforme aux lois du Mexique, le traité aura force de loi.[21] Le président du Mexique pourra alors décréter que la loi est en vigueur. Lorsque cela aura été fait, l'accord sera considéré comme mis en œuvre et applicable au Mexique.
Conclusion
Bien que les négociations du nouvel accord aient été conclues, des obstacles à la mise en œuvre demeurent, plus particulièrement aux États-Unis. Étant donné les délais prescrits aux États-Unis, la mise en œuvre complète ne devrait pas avoir lieu avant 2020, bien qu'elle puisse se produire plus tôt, en fonction de la rapidité avec laquelle les parties iront de l'avant quant à la mise en œuvre.
Alexandra Logvin est une avocate principale du bureau d'Ottawa de Fasken exerçant surtout ses activités dans les domaines du litige commercial, de l'arbitrage, du commerce international et du droit relatif aux investissements. Elle siège au conseil d'administration de la section d'Ottawa de l'Organization of Women in International Trade (OWIT), de la section d'Ottawa de l'Association d'affaires Canada Russie Eurasie (CERBA) et du Conseil canadien de droit international (CCDI).
Matthew Welch est un avocat du bureau d'Ottawa de Fasken actif au sein du groupe Droit politique. Il conseille des clients sur leur relation avec les acteurs du gouvernement, notamment en matière de lobbyisme et de conformité aux lois sur les élections, et à l'égard de questions relatives aux marchés publics.
[1] Affaires mondiales Canada, Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), 30-11-2018.
[2] Agreement between the United States of America, the United Mexican States, and Canada, signé le 30 novembre 2018, Office of the United States Trade Representative (disponible en Anglais seulement).
[3] Gouvernement du Mexique, Textos del Tratado México - Estados Unidos – Canadá (T-MEC) (disponible en espanol seulement).
[4] Justin Trudeau, premier ministre, Nouvelles, « Le premier ministre du Canada salue la conclusion du nouvel Accord États-Unis-Mexique-Canada » (1er octobre 2018).
[5] Voir un compte rendu de l'accord : Clifford Sosnow et Peter Kirby, « L'ACEUM : premier coup d'œil sur les principaux enjeux controversés » Bulletin Commerce international et droit douanier (4 octobre 2018).
[6] Affaires mondiales Canada, Politique sur le dépôt des traités devant le parlement.
[7] Affaires mondiales Canada, Politique sur le dépôt des traités devant le parlement, annexe B « Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international; Procédure de dépôt des traités devant la Chambre des communes ».
[8] U.S. Const. art. II, s. 2, cl. 2.
[9] La cour d'appel du onzième circuit des États-Unis l'a établi à l'égard d'une contestation de l'ALENA original sur ce fondement : Made in USA Foundation v. United States 242 F. 3d 1300 (11th Cir. 2001).
[10] Bipartisan Congressional Trade Priorities and Accountability Act of 2015, 19 U.S.C. 27 §§ 4201-4210.
[11] Ibid, § 4202, subs. (a) et subs. (c).
[12] Le Congrès américain a approuvé la prorogation en juin 2018; voir : « USTR Lighthizer Welcomes Extension of Trade Promotion Authority » (juin 2018),(disponible en anglais seulement).
[13] Bipartisan Congressional Trade Priorities and Accountability Act of 2015, 19 U.S.C. 27 § 4205 cl. (a)(1).
[14] Ibid, § 4204 cl. (c)(2).
[15] Ibid, § 4205 cl. (a)(1).
[16] Voir, Congressional Research Service, « Trade Promotion Authority: Frequently Asked Questions (PDF - disponible en anglais seulement) » (4 septembre 2018), pages 25 et 26.
[17] Cela exige la production de rapports par la Commission des voies et moyens de la Chambre et le Comité sénatorial des finances, voir : Congressional Research Service, « Trade Promotion Authority: Frequently Asked Questions », ibid.
[18] Bipartisan Congressional Trade Priorities and Accountability Act of 2015, 19 U.S.C. 27 § 4205 subs. (c).
[19] ALENA, article 2205.
[20] Constitution du Mexique, article 76(1).
[21] Ibid, article 133.