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L’économie à la demande au Canada : faire place à l’avenir du travail

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Bulletin Travail, emploi et droits de la personne | L'Espace RH

Le taux de chômage au Canada est à son plus bas depuis près de 40 ans.[1] Qu'à cela ne tienne, une majorité de Canadiens sondés vivent des « récessions psychologiques »; malgré cet indicateur économique favorable, ils ont le sentiment que le pays se trouve dans une légère, voire même une grave récession.[2] Cette anxiété économique est peut-être le symptôme de l'incertitude qui entoure la modernisation de l'économie canadienne et l'évolution du travail. Pour y remédier, nous n'avons peut-être d'autre choix que celui d'accepter que l'économie à la demande constitue en partie l'avenir du marché du travail. 

Qu'est-ce que l'économie à la demande ?

Selon le site Investopedia, l'économie à la demande est une économie dans laquelle « les emplois temporaires et flexibles sont monnaie courante, et dans laquelle les entreprises tendent à délaisser l'embauche d'employés à temps plein au profit de l'embauche d'entrepreneurs indépendants et de pigistes ».[3] Il s'agit là d'un contraste avec le modèle traditionnel des emplois à temps plein, dans lequel les travailleurs « ne changent que très rarement de poste et cherchent à s'engager dans une carrière qui durera toute leur vie professionnelle ».[4]

Dans les collectivités aux prises avec des difficultés économiques et les régions secouées par la mondialisation et l'évolution des besoins des consommateurs, la technologie peut être source d'occasions d'emploi spontanées qui n'auraient autrement pas été accessibles. L'économie à la demande peut également permettre de fournir des services plus efficaces aux consommateurs. La croissance de cette économie repose, en partie, sur notre dépendance à l'Internet. Grâce aux médias sociaux, les fournisseurs de services peuvent maintenant entrer en contact avec le consommateur en temps réel, par l'intermédiaire d'applications de « travail sur demande ». L'application Handy en est un exemple; elle permet à ses utilisateurs de faire appel à des personnes qui offrent des services de nettoyage, d'installation et d'autres services résidentiels sur demande.

L'économie à la demande ne se limite pas non plus aux nouvelles applications. Les employeurs canadiens y ont déjà recours pour du travail qui ne crée pas d'emplois permanents. 

Une étude sur la main-d'œuvre réalisée en 2017 estimait qu'entre 20 % et 30 % de la main-d'œuvre au Canada était déjà composée de « travailleurs non traditionnels », à savoir de consultants, de pigistes ou de travailleurs occasionnels, contractuels, à temps partiel et/ou virtuels.[5]

Les avantages socioéconomiques de l'économie à la demande

Les travailleurs dans une économie à la demande sont généralement des entrepreneurs indépendants ou dépendants. Pour ces travailleurs, l'une des principales caractéristiques de leur travail, et aussi l'un des principaux avantages qu'il leur procure sur le plan individuel, est le contrôle accru qu'ils peuvent exercer sur la gestion de leurs propres affaires. Selon les résultats d'une étude, environ la moitié des personnes qui choisissent de travailler dans l'économie à la demande le font pour avoir une plus grande autonomie et un plus grand contrôle, tandis qu'une même proportion de personnes le font pour obtenir un revenu d'appoint et que plus de quarante pour cent y voient une manière d'atteindre un juste équilibre entre carrière et famille.[6]

Les avantages de l'économie à la demande pour la concurrence sont aussi désormais connus. Le Bureau de la concurrence Canada, dont le mandat est notamment de promouvoir les avantages de la concurrence, a publié en 2015 un livre blanc dans lequel il en venait à la conclusion que l'économie à la demande avait une incidence favorable sur l'industrie du taxi traditionnelle et que cette économie était déjà bien enracinée :

« […] les consommateurs peuvent espérer profiter des avantages de cette concurrence accrue, notamment de prix plus bas et de services plus pratiques, plus disponibles et de meilleure qualité, grâce aux progrès de la technologie. Grâce à un juste équilibre entre la concurrence et la réglementation, les clients assisteront à une course contre la montre qui leur apportera des options de transport sécuritaires et concurrentielles pendant bien des années. »[7]

Des craintes ont été soulevées à propos du fait que des travailleurs de secteurs traditionnels puissent être remplacés par d'autres travailleurs de l'économie à la demande. Or, des études préliminaires dans l'industrie du taxi ont démontré qu'il pourrait y avoir davantage de complémentarité (autrement dit, du travail effectué à la fois selon le modèle traditionnel et selon le modèle d'économie à la demande) que de remplacements.[8] La concurrence pourrait en effet donner lieu à des pertes de parts de marché, mais le marché peut également continuer de croître et profiter à tous. Les entrepreneurs, par exemple, peuvent profiter de tout un éventail de services professionnels pour leur entreprise sans s'encombrer d'obligations d'emploi onéreuses.

Et les avantages ne se résument pas à ceux découlant d'une concurrence accrue; les plateformes d'économie à la demande pourraient également être plus équitables. Les services de covoiturage, par exemple, sont devenus une option privilégiée par les femmes, qui apprécient la plus grande transparence qu'ils permettent et qui fait en sorte qu'elles se sentent plus en sécurité que lorsqu'elles ont recours aux services d'entreprises traditionnelles.[9] Des preuves anecdotiques ont également fait état d'une amélioration de l'accès pour les minorités visibles et les collectivités qui ont un accès limité aux services.[10]

L'économie à la demande peut également permettre à certaines personnes de sortir de l'économie clandestine, en leur offrant des occasions d'emploi légitimes, flexibles et comportant peu d'entraves à l'accès. Les membres vulnérables de la société, les personnes handicapées, notamment, ou celles dont l'accès à l'emploi est entravé par des obstacles culturels, linguistiques ou sociaux, peuvent s'éviter les fardeaux qui sont habituellement associés au processus d'embauche et d'emploi en ayant recours aux plateformes de l'économie à la demande. Après tout, elles n'ont besoin que de deux choses : une connexion à Internet et l'envie de travailler.[11]

Faire place à l'avenir du travail

Le travailleur qui évolue dans une économie à la demande est libre de gérer sa production, ses livrables et ses bénéfices. Il n'est pas forcé de travailler; toutefois, s'il choisit de travailler, il peut le faire de l'endroit où il veut, au moment où il veut et pour qui il veut, sans être tenu à l'exclusivité.

Cette réalité contraste nettement avec celle à laquelle on s'attend dans une relation d'emploi traditionnelle. Nous nous retrouvons donc avec de nombreuses occasions économiques dont les travailleurs de l'économie à la demande pourraient profiter pour gagner leur vie, mais qui sont mal perçues parce qu'elles ne respectent pas les modèles d'emploi traditionnels. La question épineuse est de savoir pourquoi ces relations commerciales sont catégorisées comme des relations de travail.

Comme les entreprises canadiennes cherchent à optimiser leurs activités et à réduire leurs coûts, il semble désormais évident que celles-ci, tout comme les entrepreneurs et les chômeurs, pourraient n'avoir d'autre choix que d'accepter et d'accueillir l'économie à la demande, et ce malgré l'incertitude qui entoure la question de sa réglementation. Nous devrions favoriser davantage les occasions économiques profitables en s'employant à mieux protéger les travailleurs de l'économie à la demande, plutôt que de tenter de détruire des modèles qui sont susceptibles de donner à la main-d'œuvre une plus grande autonomie.


 

[1] À la fin de 2018, le taux était descendu à 5,6 % : « Enquête sur la population active, décembre 2018 », Statistique Canada (4 janvier 2019), en ligne.

[2] « Economic Outlook 2019: Canadians In Psychological Recession », Pollara Strategic Insights (13 janvier 2019), en ligne.

[3] « Gig Economy », Investopedia (24 mai 2018), en ligne.

[4] Ibid.

[5] « Workforce 2025: The Future of the World of Work », Randstad Canada (18 avril 2017), en ligne.

[6] « L'économie à la demande : atteindre le bien-être financier en toute confiance », BMO Gestion de patrimoine (30 juillet 2018), en ligne; voir également Elaine Pofeldt, « WhyOlder Workers Are Embracing the Gig Economy », Forbes (30 août 2017), en ligne.

[7] Bureau de la concurrence, « Modernisation de la réglementation régissant l'industrie canadienne du taxi », Gouvernement du Canada (26 novembre 2015), en ligne.

[8] Sunil Johal, Sara Ditta et Noah Zon, « Examen de la réglementation et des services de taxi et de limousine – Nouveaux enjeux de l'industrie du taxi et des limousines », Mowat Centre (22 octobre 2015) aux pages 7 et 8, en ligne.

[9] Voir « City of Ottawa - Taxi and Limousine Regulations and Services Review: Customer Experience », Core Strategies (14 octobre 2015), à la page 8; Ashley Csanady, « If the Uber debate is really about safety, why are women's voices being sidelined? », National Post (26 avril 2016), en ligne.

[10] Gene Demby, « Apps Make Googly Eyes At Riders Tired Of Being Snubbed By Cabbies », National Public Radio (21 octobre 2014), en ligne.

[11] Voir Steve Hawk, « What an economist learned by driving for Uber », Quartz (5 mars 2018), en ligne.

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Auteur

  • Shane D. Todd, Associé | Co-chef, Travail, emploi et droits de la personne, Toronto, ON, +1 416 868 3424, stodd@fasken.com

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