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Cosmetic Warrior : Dans quelles circonstances une marque de commerce est-elle employée dans la « pratique normale du commerce » et qui tranche cette question ?

Fasken
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Bulletin Propriété intellectuelle

Une décision rendue récemment par la Cour d'appel fédérale (la « CAF ») permet de clarifier deux questions d'intérêt pour les spécialistes du marketing et les gestionnaires de marques de commerce. La première question est liée à la définition d'« emploi » d'une marque de commerce dans la « pratique normale du commerce », tandis que la seconde concerne la norme de contrôle appliquée par les tribunaux dans leur examen des décisions rendues par la Commission des oppositions des marques de commerce (la « COMC »).

La décision de la CAF est importante puisqu'au Canada l'« emploi » d'une marque de commerce à l'égard de produits (mais pas à l'égard de services !) constitue un emploi valable en vertu de la Loi s'il a lieu « dans la pratique normale du commerce ». En conséquence, la définition de « pratique normale du commerce » a une incidence directe sur la façon dont les propriétaires de marques de commerce doivent employer leurs marques au Canada afin d'en maintenir l'enregistrement.

Dans l'affaire Cosmetic Warrior, la CAF a rejeté l'idée voulant que le transfert de produits arborant des marques ne puisse être considéré comme ayant eu lieu dans la « pratique normale du commerce » que s'il a généré des profits. Ainsi, selon les circonstances, la vente d'articles promotionnels au prix coûtant pourrait constituer un emploi approprié d'une marque de commerce au Canada, à condition que cette vente contribue suffisamment au but lucratif d'une société ou d'une activité commerciale.

Contexte

La COMC a rejeté une procédure intentée par Riches, McKenzie & Herbert en vertu de l'article 45 de la Loi sur les marques de commerce afin de faire radier l'enregistrement au Canada de la marque de commerce « LUSH » détenue par Cosmetic. Cosmetic est une société opérant dans le domaine des soins de la peau et des produits cosmétiques. Elle exerce des activités au Canada par l'intermédiaire d'un titulaire de licence connu sous le nom de Lush Canada, qui exploite les magasins LUSH.

La demande visait à faire radier la marque LUSH du registre des marques de commerce (le « Registre »), au moins quant à son emploi à l'égard d'articles vestimentaires comme des tee‑shirts. La requérante soutenait que la marque n'avait jamais été employée dans la « pratique normale du commerce », car les articles vestimentaires n'avaient fait l'objet d'aucune vente commerciale. Dans le cadre de sa stratégie promotionnelle, Lush Canada avait l'habitude de vendre des tee-shirts et des débardeurs portant la marque de commerce LUSH, en quantité très limitée, à ses employés au Canada et aux États-Unis. Ces derniers pouvaient les porter au travail ou en faire cadeau à leurs amis et aux membres de leur famille. Ces articles vestimentaires étaient vendus aux employés à un prix avoisinant leur coût d'acquisition, et peut-être même à perte.

Cependant, la COMC a conclu que la vente d'articles promotionnels au prix coûtant ou à un prix s'en rapprochant constituait tout de même une vente effectuée dans le cours normal des affaires.

En appel devant la Cour fédérale, le juge Manson a statué que la décision de la COMC était déraisonnable, car, selon lui, la vente des tee-shirts n'avait pas eu lieu dans la « pratique normale du commerce ». En conséquence, il a ordonné la radiation de la marque du Registre. La décision du juge Manson repose sur l'absence de preuve de profits, la portée limitée et le caractère promotionnel des ventes, et le fait que Cosmetic n'est pas une entreprise opérant habituellement dans la vente de vêtements. Ces facteurs ont joué en faveur de la décision du juge Manson selon laquelle les ventes en question ne constituaient pas un emploi de la marque dans la pratique normale du commerce.

L'« emploi » d'une marque de commerce dans la « pratique normale du commerce »

En appel, la CAF s'est penchée sur la question de savoir si une transaction devait générer des profits pour être considérée comme une transaction réalisée « dans la pratique normale du commerce ». La CAF a d'abord noté que si une transaction génère un profit, on est nécessairement porté à croire qu'elle a été réalisée dans la pratique normale du commerce, mais que l'inverse n'est pas vrai. En effet, la CAF a été très claire sur le fait que la réalisation d'un profit n'est pas requise afin de démontrer un emploi approprié d'une marque de commerce « dans la pratique normale du commerce ».

La Cour a effectivement souligné que l'imposition d'une exigence stricte de profit pourrait causer des problèmes. Par exemple, la vente d'articles à rabais pourrait constituer un emploi suffisant pour maintenir l'enregistrement d'une marque de commerce. La CAF s'est donc efforcée de donner au terme « emploi » une signification aussi large que possible, et de ne pas la restreindre en exigeant des propriétaires de marques de commerce la preuve que chaque transaction impliquant leur marque contribue dans les faits aux bénéfices nets de leur entreprise.

Si la réalisation d'un profit n'est pas absolument nécessaire, cela ne veut pas dire que la distribution gratuite ou la vente au prix coûtant d'un produit constitue un emploi approprié d'une marque de commerce. La décision de la CAF doit également être considérée comme un avertissement donné aux propriétaires de marques de commerce que les emplois d'une marque de commerce ne sont pas tous suffisants pour maintenir un enregistrement. La CAF a clairement indiqué que l'emploi d'une marque de commerce doit s'inscrire dans le cadre d'une quête de rentabilité par le biais du transfert de produits de marque. Les propriétaires de marques de commerce qui font l'objet d'une poursuite en vertu de l'article 45 doivent s'assurer que leurs éléments de preuve démontrent un lien suffisant entre leurs transactions qui ne génèrent pas de profit et l'ensemble de leurs activités commerciales.

L'adoption de la norme de la décision correcte comme norme de contrôle des décisions de la COMC

Le deuxième aspect de cette décision est pertinent surtout pour les avocats qui plaident devant la Cour fédérale, et notamment dans le contexte des réformes imminentes de la législation en matière de marque de commerce. Dans le cas en l'espèce, la CAF a confirmé que la norme de la décision correcte s'applique à l'interprétation par la COMC de la Loi sur les marques de commerce.

Ces dernières années, l'utilisation de la norme de la décision correcte a été l'exception plutôt que la règle en droit administratif canadien, et ce n'est qu'exceptionnellement que les tribunaux décident de ne pas faire preuve de déférence à l'égard des décisions de décideurs administratifs interprétant leur propre loi. La décision de la CAF d'adopter la norme de la décision correcte comme norme de contrôle dans le cas en l'espèce est à la fois surprenante et importante.

La CAF fait une analogie avec la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Rogers Communications[1], un cas où la compétence concurrente de la Cour fédérale et de la Commission du droit d'auteur était au cœur du litige. Dans cette affaire, la CSC a conclu que, dans la mesure où le décideur administratif et le décideur judiciaire devaient tous deux interpréter la Loi sur le droit d'auteur, la même norme de contrôle devait s'appliquer aux deux types de décideurs lorsque leurs décisions sont révisées devant une instance supérieure. Autrement, des incohérences en résulteraient.

En appliquant ce raisonnement à l'affaire Cosmetic Warrior, la CAF a soutenu que de telles incohérences surviendraient également dans l'interprétation de la Loi sur les marques de commerce, mais que l'existence de la compétence concurrente des instances administratives et judiciaires élimine la présomption que la COMC profite d'une déférence quelconque lors d'un contrôle judiciaire dans le cadre de l'interprétation de la Loi sur les marques de commerce en générale, ou de la signification de la « pratique normale du commerce » en particulier. En conséquence, la CAF a appliqué la norme de la décision correcte.

Dans le contexte de réformes imminentes de la législation en matière de marque de commerce, il deviendra sans doute plus difficile de présenter de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d'appels de décisions de la COMC devant la Cour fédérale. Cette possible difficulté, associée à la disponibilité soudaine du contrôle selon la norme de décision correcte, porte à croire que des argumentations fondées sur l'interprétation des lois pourraient devenir un moyen de plus en plus utilisé pour contester des décisions défavorables de la COMC.



[1]Rogers Communications c. SOCAN, 2012 CSC 35, par. 14-15.

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Auteurs

  • Jean-Philippe Mikus, Associé | Agent de marques de commerce | Propriété intellectuelle, Montréal, QC, +1 514 397 5176, jpmikus@fasken.com
  • Michael Shortt, Associé | Agent de marques de commerce | Jeux vidéo et jeux d'ordinateur, Propriété intellectuelle, Montréal, QC, +1 514 397 5270, mshortt@fasken.com
  • Nicolas Charest, Avocat | Propriété intellectuelle, Montréal, QC, +1 514 397 4320, ncharest@fasken.com

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