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Lignes directrices sur la propriété intellectuelle révisées : mises à jour et rappels du Bureau de la concurrence

Fasken
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Bulletin Propriété intellectuelle

Le 13 mars 2019, le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») a fait paraître une version mise à jour de ses Lignes directrices sur la propriété intellectuelle (les « lignes directrices »). Les lignes directrices ont comme objectif d'améliorer la transparence quant à la façon dont le Bureau détermine si un comportement donné pose un problème quant à des droits de propriété intellectuelle (« PI ») et quant aux circonstances dans lesquelles le Bureau pourrait, en vertu de la Loi sur la concurrence (la « Loi »), chercher à modérer des agissements anticoncurrentiels associés à l'exercice des droits de PI. Dans ce bulletin, il sera question :

  1. des interactions entre les lois en matière de concurrence loyale et les lois en matière de PI;
  2. du rôle du Bureau en matière de surveillance de l'incidence de certains exercices de droit de PI qui touchent défavorablement l'innovation et la concurrence équitable; et
  3. des modifications les plus importantes apportées aux lignes directrices.

Pourquoi le Bureau de la concurrence s'intéresse-t-il aux lois en matière de PI?

Le Bureau s'objectera à l'exercice de droits de PI s'il nuit à la production et à la diffusion efficaces de produits et de technologies ou à la création de nouveaux produits et s'il permet à leur titulaire de créer, de maintenir et de renforcer sa puissance commerciale, c'est-à-dire sa capacité d'empêcher le maintien d'un niveau équitable de concurrence sur le marché pour un produit ou un service sur une longue période.

Quels comportements justifient l'intervention du Bureau de la concurrence?

Dans ses lignes directrices, le Bureau précise les deux types de comportements liés aux droits de PI qui peuvent inciter le Bureau à prendre des mesures d'application :

  1. des comportements anticoncurrentiels en matière de PI qui supposent plus que le simple exercice d'un droit de PI; et
  2. le simple exercice d'un droit de PI, sans plus.

Les lignes directrices précisent également dans quelles circonstances les comportements liés à l'exercice d'un droit de PI constituent des actes criminels et quels sont les problèmes liés à l'établissement de normes.

Comportements qui supposent plus que le simple exercice d'un droit de PI

Le Bureau définit comme « plus que le simple exercice des droits de PI » des situations où des parties signent des accords ou concluent des arrangements, que ce soit sous forme de transfert, d'accord de licence ou d'entente visant l'utilisation ou l'application des droits de PI, qui causent un préjudice à la concurrence. Le Bureau examine de tels accords en se fondant sur les dispositions générales de la Loi (articles 45, 76, 77, 79 et 90.1). L'intervention du Bureau peut amener le Tribunal de la concurrence ou un autre tribunal à rendre une ordonnance qui, entre autres choses, limite à qui le titulaire du droit de PI peut octroyer une licence d'utilisation de sa PI, ou encore la transférer ou la vendre, et de quelle façon il peut le faire.

Les comportements qui peuvent être considérés comme supposant plus que le simple exercice des droits de PI et qui sont également abordés directement dans les lignes directrices comprennent notamment : la fixation des prix, la concession de licences exclusives, la passation de contrats exclusifs, la mise en commun des brevets, le refus d'accorder une licence de PI, la substitution de produits, les redevances à la production, les accords en vue d'évincer des produits complémentaires, l'implication d'entités qui acquièrent ou obtiennent autrement des droits de brevets (des trolls de brevets), etc. Les lignes directrices fournissent plusieurs exemples hypothétiques de conduite générale des affaires impliquant de la PI et expliquent le cadre d'analyse que le Bureau appliquerait dans chaque situation.

Parmi les modifications apportées aux lignes directrices, on peut remarquer que les articles 7.2 et 7.3 traitent maintenant plus en détail les pratiques anticoncurrentielles liées au règlement de procédures intentées en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le « RMBAC »). Un règlement fera l'objet d'un examen du Bureau lorsque ses dispositions s'étendent au-delà du potentiel d'exclusion du brevet (la durée du brevet) ou s'il cherche à limiter la concurrence pour des produits qui ne sont pas liés au brevet faisant l'objet des procédures intentées en vertu du RMBAC. Le Bureau mentionne trois types de règlements de procédures intentées en vertu du RMBAC qui peuvent justifier son intervention, tel que prévu aux articles 90.1 (accords ou arrangements empêchant ou diminuant sensiblement la concurrence) et 79 (abus de position dominante) :

Entente relative à une mise en marché séparée : Entente aux termes de laquelle le fabricant du médicament générique arrive sur le marché à la date d'expiration ou avant l'expiration du brevet. Cette situation ne justifie généralement pas la prise de mesures d'application par le Bureau si le fabricant du médicament de marque n'offre aucune contrepartie au fabricant du médicament générique pour retarder son entrée sur le marché.

Règlement assorti d'un paiement : Entente aux termes de laquelle le fabricant du médicament de marque offre une compensation ou verse une contrepartie au fabricant du médicament générique en plus de permettre à ce dernier d'arriver sur le marché à la date d'expiration ou avant l'expiration du brevet. Le Bureau ne donne pas une définition très précise au terme « paiement ». Selon le Bureau, un « paiement » peut comprendre un transfert monétaire, la fourniture de services précis par le fabricant du médicament générique au fabricant du médicament de marque, la prestation de services d'inventaire ou de fabrication de réserve, la fourniture de matériel ou de médicaments finis ou la signature d'accords de développement. Les accords qui prévoient le report de la commercialisation d'un médicament au‑delà de la date d'expiration du brevet et une compensation pour un tel report susciteront encore plus de questionnements.

Règlement pouvant être considéré comme un complot criminel : Une entente de règlement peut être considérée comme un complot quiexpose les parties à des accusations criminelles (i) si le règlement s'étend au-delà du potentiel d'exclusion du brevet, c'est-à-dire au‑delà de la date d'expiration du brevet,

  1. si le règlement limite la concurrence entre des produits non visés par la procédure intentée en vertu du RMBAC, ou
  2. si le règlement est conclu même si les parties admettent que le brevet est invalide ou qu'il n'y a pas eu de violation de brevet (dans ce dernier cas, le règlement est considéré comme un « trompe-l'œil »).

Les parties à une procédure intentée en vertu du RMBAC ne doivent pas oublier que leur entente peut faire l'objet d'un examen par le Bureau et elles ont intérêt à demander des conseils juridiques en matière de PI et de concurrence avant de signer l'entente en question.

Comportement supposant plus que le simple exercice d'un droit de PI

L'article 32 prévoit des recours spéciaux lorsque le simple exercice d'un droit de PI fait en sorte que la concurrence a été indûment restreinte, empêchée ou diminuée en conséquence des usages particuliers décrits aux alinéas (a) à (d)[1]. Cet article a rarement été utilisé, car le Bureau est conscient du risque connexe de réduire les incitatifs à l'innovation, ce qui irait à l'encontre de l'objectif même des lois en matière de PI. Néanmoins, le Bureau peut recommander au procureur général de demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance qui déclare nul tout accord ou licence relatif à l'usage anticoncurrentiel, exige la concession de licences relativement au droit de PI ou révoque le droit de PI pour empêcher d'autres effets anticoncurrentiels liés à l'assertion d'un droit de PI. Les lignes directrices offrent comme exemple de comportement susceptible d'examen le refus d'octroyer des licences de PI dans un secteur fonctionnant par le biais de réseaux, c'est-à-dire le refus d'une entreprise d'octroyer une licence d'utilisation de sa PI à des concurrents lorsque son innovation est devenue la technologie dominante dans le réseau. L'utilisation de sa technologie protégée serait alors nécessaire pour que les concurrents aient un accès équitable au marché et pour qu'il leur soit possible d'offrir des produits de remplacement.

Élaboration de normes en collaboration

Le Bureau pourrait s'objecter à l'établissement de normes pour des produits d'un secteur donné. L'établissement de normes présente des avantages reconnus (baisse des coûts de production, augmentation de l'efficacité, élargissement de la gamme de produits offerts aux consommateurs, réduction des obstacles à l'entrée sur le marché et promotion de l'interopérabilité), mais les normes peuvent également interdire certaines technologies innovatrices ou restreindre l'accès au marché à certaines entreprises en refusant à d'autres entreprises l'accès aux normes ou en leur donnant accès à ces normes en vertu de modalités discriminatoires. Un exemple de l'effet néfaste de l'établissement de normes est le brevet « extorsionnaire ». Dans ces circonstances, des entreprises doivent développer leur produit à partir d'une innovation brevetée qui est devenue la norme, mais les coûts liés à l'adoption de la nouvelle norme sont si élevés que ces entreprises sont contraintes de sortir du marché. Le Bureau étudierait un tel comportement en fonction de la disposition concernant l'abus de position dominante (article 79).

Quels comportements ne justifient pas l'intervention du Bureau de la concurrence?

Le Bureau répète que son intervention ne sera pas justifiée lorsque le titulaire d'un droit de PI valable ne possède pas une puissance commerciale et ne cherche pas à créer, maintenir ou renforcer une puissance commerciale de façon à limiter la concurrence. Si le titulaire de la PI acquiert sa puissance commerciale du seul fait qu'il possédait un produit ou un procédé supérieur aux autres, ou qu'il a instauré une pratique commerciale novatrice, le Bureau ne considérera pas que la puissance commerciale acquise de cette manière contrevient à la Loi.

Le Bureau n'intervient généralement pas à l'égard de contrats de licence relatifs à des droits de PI lorsqu'ils facilitent l'utilisation plus générale d'un droit de PI ayant une certaine valeur, sauf s'ils réduisent sensiblement la concurrence « qui aurait probablement existé en l'absence de modalités potentiellement anticoncurrentielles de telles licences ». Pour faire une telle évaluation, le Bureau examine les modalités de la licence.

Conclusion

Le Bureau prend rarement des mesures d'application à l'égard de comportements supposant le simple exercice des droits de PI. En conséquence, il est recommandé de demander des conseils juridiques en matière de PI et de concurrence lorsque l'on négocie les modalités d'une entente de règlement dans le cadre d'une procédure intentée en vertu du RMBAC. Les parties qui détiennent des droits de PI doivent connaître les lignes directrices. Même si ces dernières ne sont pas juridiquement contraignantes, elles fournissent des précisions utiles sur la façon dont le Bureau aborde les dossiers de PI qui seront traités par le Bureau lui-même ou par des tribunaux, et il est recommandé de demander des conseils juridiques lorsque l'on négocie les modalités d'une telle entente de règlement.



[1]    Usages des droits et privilèges conférés par un brevet pour

a) soit limiter indûment les facilités de transport, de production, de fabrication, de fourniture, d'emmagasinage ou de négoce d'un article ou d'une denrée pouvant faire l'objet d'un échange ou d'un commerce,

b) soit restreindre indûment l'échange ou le commerce à l'égard d'un tel article ou d'une telle denrée ou lui causer un préjudice indu,

c) soit empêcher, limiter ou réduire indûment la fabrication ou la production d'un tel article ou d'une telle denrée, ou en augmenter déraisonnablement le prix,

d) soit empêcher ou réduire indûment la concurrence dans la production, la fabrication, l'achat, l'échange, la vente, le transport ou la fourniture d'un tel article ou d'une telle denrée.

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Auteurs

  • David Turgeon, PhD, Associé | Agent de brevets | Chef, Propriété intellectuelle, Montréal, QC | Québec, QC, +1 514 397 5222, dturgeon@fasken.com
  • Nicolas Charest, Avocat, Montréal, QC, +1 514 397 4320, ncharest@fasken.com
  • Antonio Di Domenico, Associé, Toronto, ON, +1 416 868 3410, adidomenico@fasken.com
  • Huy Do, Associé, Toronto, ON, +1 416 868 3505, hdo@fasken.com
  • Chris Margison, Avocat-conseil, Toronto, ON, +1 416 943 8975, cmargison@fasken.com

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