Un employeur peut-il faire valoir le « privilège relatif au litige » pour empêcher la divulgation d'un rapport interne dans lequel une conseillère en ressources humaines recommande le renvoi d'un employé? Une récente sentence arbitrale (la « sentence ») de l'arbitre François Hamelin dans Ville de Montréal et Syndicat des professionnelles et professionnels municipaux de Montréal[1] illustre les limites de ce privilège lors d'un arbitrage.
Faits
Le syndicat a déposé deux griefs concernant la suspension administrative et le congédiement pour cause subséquente d'une employée. Au cours de l'audience, le syndicat a demandé la divulgation d'un rapport interne qui a été mentionné par la conseillère en ressources humaines de l'employeur pendant son contre-interrogatoire. Afin de justifier sa recommandation visant à congédier l'employée, la conseillère RH avait préparé le rapport à la suite d'une enquête interne. La décision de l'employeur de congédier l'employée a été ultimement fondée sur la recommandation de la conseillère RH et les résultats de l'enquête qui ont été tous deux mentionnés dans le rapport. L'employeur s'est opposé à la communication du rapport en invoquant le privilège relatif au litige.
Positions des parties
L'employeur a soutenu que le contenu du rapport devait être protégé d'une divulgation par le privilège relatif au litige parce que l'objet principal du rapport était la préparation d'un litige raisonnablement anticipé découlant de l'éventuel congédiement de l'employée. Le syndicat ayant déjà déposé des griefs contestant la suspension de l'employée et compte tenu de la recommandation de congédiement, l'employeur a indiqué qu'il avait raisonnablement anticipé un litige à l'égard de l'éventuel congédiement de l'employée lors de la préparation du rapport. L'employeur a ajouté que le rapport contenait sa stratégie relative au litige en vue de sa préparation à l'arbitrage anticipé et que son objet était de servir de liste de la preuve à recueillir en vue des audiences à venir.
Le syndicat, pour sa part, soutenait que le rapport n'était qu'un document administratif préparé par la conseillère RH visant principalement à aider l'employeur à décider s'il procédait au congédiement de l'employée ou non. Conséquemment, le syndicat a fait valoir que le rapport n'avait pas été créé en vue de préparer le litige et que le privilège relatif au litige n'empêchait pas la divulgation de son contenu.
Décision
Pour décider si le rapport a été créé en préparation du litige, l'arbitre Hamelin a appliqué le critère de l'objectif principal. Ce test prévoit que le privilège relatif au litige s'applique à un document s'il a été créé dans le but principal du litige.
Après examen du contenu du rapport, l'arbitre s'est rangé du côté du syndicat et a ordonné sa communication, jugeant que le rapport était un document administratif préparé par la conseillère RH dans le cours normal de ses fonctions et aux fins (i) d'informer l'employeur du résultat de son enquête et (ii) d'aider l'employeur à prendre sa décision relativement au renvoi de l'employée. Pour l'arbitre Hamelin, le fait que le rapport ait pu éventuellement être utilisé dans le cadre de l'arbitrage n'était pas pertinent pour déterminer s'il avait été créé principalement en vue du litige. L'arbitre a retenu que le rapport n'était pas différent de tout autre document interne sur lequel l'employeur s'est appuyé pour prendre sa décision relativement au congédiement de l'employée. Ainsi, il a jugé que l'objectif principal du rapport n'était pas la préparation du litige. Il faut toutefois souligner que l'employeur a déposé une demande de révision judiciaire de la décision auprès de la Cour supérieure du Québec.
Points à retenir
Le privilège relatif au litige devrait être considéré comme une exception limitée au principe de la divulgation intégrale. L'objectif principal du privilège relatif au litige est la protection à l'égard du processus contradictoire en permettant aux parties de « préparer leurs arguments en privé, sans ingérence de la partie adverse et sans crainte d'une communication prématurée[2] » en maintenant une « zone protégée destinée à faciliter, pour l'avocat, l'enquête et la préparation du dossier en vue de l'instruction contradictoire[3] », ce qui prévoit que l'immunité à l'encontre de la divulgation sera seulement accordée à l'égard de documents et de communications créés principalement en vue de la préparation du litige. Étant donné que l'arbitre Hamelin a jugé que le rapport n'avait pas été préparé en vue du litige, la règle générale en faveur de la divulgation de la preuve pertinente a prévalu.
Qu'en est-il du secret professionnel?
Nous retenons que la sentence n'aborde pas la question quant à la possibilité d'exemption de divulgation du rapport grâce au secret professionnel auquel les professionnels inscrits sont généralement tenus dans le cadre de leurs fonctions. La conseillère RH n'était peut-être pas une professionnelle inscrite ou agréée assujettie à un code d'éthique prévoyant une obligation de confidentialité[4], le secret professionnel ne pouvant ainsi être invoqué. Toutefois, il est impossible d'en avoir la certitude, car la sentence est muette à ce sujet.
Cette sentence soulève toutefois la question suivante : si la conseillère RH avait été une conseillère en ressources humaines inscrite ou agréée, est-ce que la conclusion de l'arbitre aurait été différente? Bien qu'il soit impossible d'en avoir la certitude, nous sommes d'avis que si le rapport avait été préparé par un professionnel lié par une obligation de confidentialité, de solides arguments quant au secret professionnel auraient pu être soulevés afin de protéger la confidentialité du rapport et d'en empêcher la communication[5].
Par conséquent, la sentence rappelle aux employeurs les avantages d'engager des professionnels agréés lorsque les circonstances le permettent.
[1] 2019 QCTA 235; une demande de révision judiciaire est actuellement en instance devant la Cour supérieure du Québec (500-17-108021-190).
[2] Blank, par. 27.
[3] Id., paragr. 30, Lizotte, par. 24.
[4] Au Québec, les « conseillers en ressources humaines agréés » sont liés par une obligation de secret professionnel en vertu de l'article 60.4 du Code des professions du Québec, RLRQ, c. C-26.
[5] Société d'énergie Foster Wheeler Ltée c. Société intermunicipale de gestion et d'élimination des déchets (SIGED) inc., [2004] 1 RCS 456, par. 42.