On parle peu de la préparation de la transition en période d'élection; il s'agit néanmoins d'une étape cruciale qui comporte un risque de conformité, notamment des risques liés aux contributions politiques illégales, aux conflits d'intérêts, et à la réglementation sur le lobbying.
Une « transition » ne signifie pas nécessairement un changement de gouvernement. En effet, même le parti au pouvoir constitue une équipe de transition afin de se préparer à un nouveau mandat. Une société ou une organisation doit tenir compte des risques de conformité dans les situations suivantes :
Statut des membres de l'équipe de transition
Premièrement, au moins jusqu'à la tenue de l'élection, l'équipe de transition constitue une composante d'un parti politique[1]. Cela signifie, notamment, que les règles relatives au financement des partis politiques s'appliquent.
Deuxièmement, certains membres de l'équipe de transition, comme les employés de la Chambre des communes et les membres du personnel ministériel (qu'ils soient ou non en congé autorisé), peuvent être titulaires d'une charge publique, ce qui a des répercussions sur le plan de la législation en matière de lobbying et de conflits d'intérêts.
Après l'élection, le statut des membres de l'équipe de transition se complexifie. Les membres de l'équipe de transition qui sont désignés par le premier ministre deviennent assujettis aux restrictions de la Loi sur le lobbying décrites ci-après. De plus, ils peuvent être admissibles à titre de titulaires d'une charge publique en common law, en fonction de facteurs tels que la rémunération, les serments, ainsi que les fonctions au service de la Couronne.
Soutien illégal à la planification de la période de transition
Les dépenses liées aux activités d'une équipe de transition ne constituent pas des dépenses électorales et ne sont pas assujetties aux plafonds de dépenses applicables aux campagnes électorales. Toutefois, toute contribution versée à une équipe de transition constitue une contribution au parti politique auquel est rattachée l'équipe[2].
La Loi électorale du Canada interdit à une société, à un syndicat et à toute entité, à l'exception d'une personne physique agissant à titre personnel, de faire des contributions monétaires et non monétaires à un parti politique (une contribution non monétaire comprend un service, des biens ou l'usage de biens, s'ils sont fournis sans frais ou à un prix inférieur à leur valeur commerciale).
Les contributions susmentionnées seraient illégales, même si elles étaient involontaires (par exemple, même si l'employeur ne sait pas qu'une demande de remboursement de frais, une facture de téléphonie cellulaire, ou l'utilisation d'une salle de réunion est liée aux activités d'une équipe de transition). Les sociétés et les organisations doivent faire preuve de diligence raisonnable pour éviter les contributions involontaires aux équipes de transition et à toute autre composante d'un parti politique.
Les personnes travaillant à leur compte (y compris les membres de sociétés de personnes de professionnels) font des contributions lorsqu'elles fournissent gratuitement (ou à moindre coût) à un parti politique des services pour lesquels elles demandent habituellement une rémunération. Une telle contribution n'est pas illégale, sauf si elle entraîne le dépassement du plafond annuel de contributions pour les particuliers, qui s'élève à 1 600 $ CA.
Restrictions liées au lobbying
De façon générale, le fait de tenter d'influencer la planification de la période de transition d'un parti politique ne constitue pas du lobbying. Il existe cependant des exceptions. Toute personne qui, avant ou après l'élection, communique avec un titulaire d'une charge publique faisant partie de l'équipe de transition fait probablement du lobbying et doit s'enregistrer[3].
Le paragraphe qui précède concerne le lobbying par des personnes qui ne participent pas au processus de transition. L'exercice du lobbying par des participants à l'équipe de transition est assujetti à de multiples restrictions, et ce, avant l'élection, au cours de la période de transition et plusieurs années par la suite.
Après l'élection, les personnes identifiées comme faisant partie de l'équipe de transition du premier ministre (le libellé de la loi indique que cette règle est limitée à la transition touchant le nouveau premier ministre, et non le premier ministre sortant)[4] deviennent assujetties aux mêmes restrictions et obligations que celles visant les titulaires d'une charge publique désignée. Elles sont notamment soumises à une interdiction quinquennale visant certains types de lobbying[5] et, lorsqu'elles sont autorisées à faire du lobbying, leur enregistrement doit en tout temps faire état du rôle qu'elles ont joué précédemment au sein d'une équipe de transition.
Toutefois, il ne s'agit pas de la seule restriction en matière de lobbying à laquelle sont assujettis les participants à une équipe de transition. Le Code de déontologie des lobbyistes prévoit des interdictions supplémentaires. Lorsque la prestation d'un service au sein d'une équipe de transition (y compris avant l'élection) fait vraisemblablement croire à la création d'un sentiment d'obligation chez un premier ministre à l'égard du participant à l'équipe de transition, le participant en question ne doit pas, par la suite, faire du lobbying auprès du premier ministre ou de son cabinet.
De plus, l'une des principales activités d'une équipe de transition est l'identification et le recrutement de candidats à des postes aux ministères et au Parlement, ainsi qu'au sein d'organismes et de conseils. Il serait raisonnable de croire qu'un titulaire d'une charge publique dont l'emploi ou la nomination résulte de la recommandation d'un ou de plusieurs membres d'une équipe de transition ait un sentiment d'obligation envers ce ou ces membres. Un ancien membre de l'équipe de transition ne doit donc pas faire due lobbying auprès d'un titulaire d'une charge publique dont il a recommandé la candidature à un poste ou à une nomination.
Cette règle s'appliquerait également aux membres d'une équipe de transition qui donnent des conseils concernant les nominations au Cabinet. Ces membres ne doivent pas faire deu lobbying auprès d'un ministre, ou du personnel d'un ministre, dont ils ont recommandé la nomination ou dont la nomination pourrait raisonnablement être perçue comme ayant été recommandée par eux.
Les lobbyistes ainsi que leurs employeurs et leurs clients devraient également éviter de profiter de leur participation au processus de transition pour influencer les décisions futures du gouvernement. Le Code de déontologie des lobbyistes (règle 6) interdit les actions qui pourraient placer un titulaire d'une charge publique en situation de conflit d'intérêts. Il exige également (règle 1) une divulgation transparente lorsque les intérêts d'un employeur ou d'un client sont mis de l'avant. Fournir des conseils concernant la transition qui favorisent un intérêt en particulier pourrait contrevenir à ces deux règles.
Responsabilité criminelle
La violation de cette disposition donne lieu à une peine d'emprisonnement maximal de cinq ans.
Exclure les lobbyistes du processus de transition est une façon d'éviter le risque de conformité. Une autre solution pour les employeurs et les clients consisterait à démontrer qu'aucune partie de la rémunération des lobbyistes n'est liée à une fonction au sein de l'équipe de transition ni n'est versée dans le but d'exercer une telle fonction. Cette solution n'offre toutefois pas une protection absolue contre un tel risque. Les employeurs et les clients devraient également obtenir des garanties écrites et formelles que leurs lobbyistes ne mettront pas de l'avant les intérêts de l'employeur ou des clients dans le cadre de leur mandat au sein de l'équipe de transition.
Les équipes de transition et les personnes qui ont des relations avec celles-ci doivent également éviter toute activité qui pourrait constituer une entrave au cours de la justice (définie au paragraphe 139(2) du Code criminel comme une tentative volontaire d'entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice). Tant les membres de l'équipe de transition que les personnes qui gravitent autour de celle-ci devraient éviter de chercher à associer l'équipe de transition à des poursuites pénales et à d'autres questions soumises à l'autorité indépendante du procureur général et du Directeur des poursuites pénales.
Conflit d'intérêts
En vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts, un titulaire d'une charge publique ne peut tirer parti de sa position pour favoriser indûment l'intérêt personnel d'une personne, et ne doit pas accorder de traitement de faveur en fonction de l'identité du représentant d'une personne. Un titulaire d'une charge publique ne doit pas prendre part à une décision qui pourrait favoriser indûment les intérêts personnels d'une autre personne.
Les membres d'une équipe de transition peuvent eux-mêmes, en raison de leur participation au processus de transition, être considérés comme des titulaires d'une charge publique en vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts ou en common law. Cela est particulièrement vrai dans le cas d'un conseiller qui demeure en poste au sein du Cabinet du premier ministre, même sans être rémunéré, à la suite de l'assermentation; en vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts, un tel conseiller est un titulaire de charge publique principal. Les titulaires de charge publique principaux doivent divulguer des renseignements financiers au commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique, ne peuvent se livrer à la plupart des activités commerciales et, lorsqu'ils quittent leurs fonctions, deviennent assujettis à diverses restrictions, y compris l'interdiction, pendant une année, de faire certains types d'interventions auprès du gouvernement et d'accepter certains types d'emploi.
Conseils d'expert
Les sociétés, les organisations et les participants au processus politique ne devraient pas prendre part (directement, ou par l'intermédiaire de leurs employés) au processus de transition, ou communiquer avec des membres d'une équipe de transition, sans d'abord bien comprendre les lois applicables et sans avoir évalué les risques de conformité. Il est important d'obtenir des conseils auprès d'un expert du droit politique avant de prendre quelque mesure que ce soit.
[1] Cela pourrait ne pas s'appliquer à une équipe de transition qui, avant le jour de l'élection, opère à partir d'un bureau du gouvernement ou d'un bureau du Parlement dans le cadre des activités non partisanes légitimes du bureau en question. La participation de personnes externes et de partisans suggérerait que l'équipe de transition appartient en fait au parti politique.
[2] La première note concerne les cas où une équipe de transition préélectorale pourrait être considérée comme une composante du gouvernement ou du Parlement n'appartenant pas à un parti politique.
[3] Aux fins due lobbying et de l'enregistrement des lobbyistes, les titulaires d'une charge publique comprennent les employés du gouvernement ou du Parlement qui apportent leur aide dans le cadre de la transition, et peuvent inclure toute personne rémunérée par la Couronne pour fournir des conseils concernant la transition ou qui a été nommée par le gouvernement pour travailler dans le cadre de la transition.
[4] La règle qui est décrite dans ce paragraphe s'applique également aux transitions qui ont lieu à d'autres moments qu'immédiatement après une élection, y compris lors d'une transition précipitée par le départ d'un premier ministre ou par une défaite à la Chambre des communes.
[5] Essentiellement, pendant cinq ans, toutes les formes de lobbying sont interdites sur la scène fédérale, sauf le lobbying « à l'interne » pour le compte d'une société, s'il représente moins de 20 pour cent des tâches de l'employé.