Le gouvernement du Québec a adopté le décret numéro 223-2020 (le « Décret ») dans le contexte de la pandémie du COVID-19. Ce Décret ordonne que toute activité effectuée en milieu de travail au Québec soit suspendue, sauf à l'égard des milieux de travail où sont offerts des services prioritaires. Cette suspension a été renouvelée jusqu'au 4 mai 2020.
Les services prioritaires qui peuvent être maintenus sont énumérés dans l'annexe du Décret[1]. Cependant, face à une interprétation parfois trop large des termes du Décret ou suite à la réception de plaintes du public ou de leurs propres employés, les autorités gouvernementales ont récemment augmenté significativement leurs inspections et visites des entreprises qui sont toujours en opération.
Les conséquences possibles du non-respect du Décret concernant les services non prioritaires ont déjà été abordées dans un bulletin précédent[2]. Cependant, qu'en est-il des pouvoirs des autorités chargées de veiller au respect du Décret?
Les pouvoirs des policiers
En vertu de l'article 139 de la Loi sur la santé publique[3] les policiers peuvent émettre une amende ou un avis d'infraction en cas de contravention aux mesures imposées. Ce sera le cas, par exemple, si une entreprise œuvrant dans un secteur non prioritaire a omis de suspendre ses activités (sauf le télétravail ou le commerce en ligne, qui sont en toutes circonstances permis), ou encore si des individus contreviennent à l'obligation de maintenir une distance personnelle d'au moins deux mètres.
Évidemment, comme toute autre intervention des policiers, l'application de la Loi sur la santé publique est soumise à un ensemble de règles de droit, notamment la Charte canadienne des droits et libertés[4], la Charte des droits et libertés de la personne[5] et le Code de procédure pénale[6].
Ceci étant, considérant la déclaration de l'état d'urgence sanitaire au Québec en raison d'une menace réelle ou imminente grave à la santé de la population, ces règles de droit doivent être modulées en conséquence.
En effet, l'urgence engendrée par la situation de crise sanitaire permet un élargissement de certains pouvoirs des policiers.
Cet élargissement des pouvoirs des policiers est notamment fondé sur la notion d'urgence et sur l'objectif des mesures mises en place, soit la protection de la santé et de la sécurité de la population. Par conséquent, dans un tel contexte, les policiers peuvent poser certains actes qu'ils ne pourraient pas poser en temps normal.
Ainsi, il est bien établi que les policiers ne peuvent forcer l'entrée dans un endroit privé sans autorisation judiciaire préalable (ou « mandat »). Or, considérant l'urgence sanitaire, ceux-ci peuvent désormais entrer dans un endroit privé s'ils ont des motifs raisonnables de croire qu'une infraction à la Loi sur la santé publique est en cours et qu'il y a un risque pour la santé des personnes se trouvant à l'intérieur. Une autorisation judiciaire préalable, ou mandat, n'est alors pas requise.
Rappelons que les autorités de santé publique ont récemment déclaré que toute personne au Québec doit être considérée comme potentiellement infectée en raison de la contamination communautaire en cours. Les autorités policières ont par conséquent été appelées à faire preuve d'une plus grande sévérité à l'égard des contrevenants aux règles émises par les autorités gouvernementales.
Dans ce contexte, lorsque des policiers sont appelés à intervenir dans une entreprise suite à un signalement pour non-respect du Décret en lien avec ses activités ou encore pour un signalement lié à la sécurité de ses employés, ceux-ci peuvent entrer à l'intérieur de l'établissement de l'entreprise afin de vérifier la situation et ce, sans autorisation judiciaire préalable.
Un employé en position d'autorité d'une entreprise se trouvant sur les lieux ne peut donc refuser l'accès aux policiers sous peine de poursuite et/ou d'arrestation[7], un tel geste pouvant constituer notamment une entrave au travail des policiers. La possibilité pour les policiers d'entrer sur les lieux ne signifie pas pour autant qu'ils aient le pouvoir de fouiller et de saisir des biens, sauf s'il s'agit de biens infractionnels disposés à la vue de tous (plain view). Les policiers ne peuvent donc pas procéder à une fouille des lieux ni saisir des documents sans avoir préalablement obtenu une autorisation judiciaire. Ils peuvent néanmoins prendre par exemple des renseignements généraux d'observation des lieux et identifier les personnes responsables afin de compléter leur rapport d'enquête.
Les policiers peuvent aussi interroger les personnes responsables ou les employés qui se trouvent sur les lieux, ces derniers n'ayant toutefois aucune obligation de répondre aux questions qui leur sont adressées par les policiers.
Les policiers peuvent de plus, tel que mentionné dans un bulletin précédent sur les conséquences des manquements au Décret[8], procéder à des arrestations pour mettre fin à l'infraction. La personne ainsi arrêtée sera toutefois libérée sur les lieux sous certaines conditions, à moins que des motifs d'intérêt public ne justifient sa détention.
Il importe également de souligner que l'entreprise peut, et devrait, communiquer avec ses avocats lorsque des policiers se présentent sur les lieux. Les policiers peuvent cependant procéder à leur intervention sans délai et sans la présence des avocats de l'entreprise, après bien sûr avoir informé l'employé en position d'autorité se trouvant sur les lieux des motifs de leur intervention.
Rappelons que, si la situation d'urgence actuelle peut justifier une atteinte plus grande aux droits protégés par la Charte, ces droits subsistent néanmoins. Les policiers et le Directeur des poursuites criminelles et pénales (« DCPC ») devront donc démontrer que l'élargissement d'un pouvoir qui enfreindrait un droit protégé par les Chartes se justifie, surtout dans la façon dont il est exercé. Les principes fondamentaux à la base de notre société de droit sont en effet inchangés et toute action de l'État demeure assujettie au contrôle judiciaire Par contre, considérant la jurisprudence en cette matière, toute contestation d'une intervention policière en cours devra se faire a posteriori et non pendant celle-ci.
Finalement, au terme de leur intervention, les policiers soumettront un rapport d'enquête au DCPC. En principe, et à moins qu'il n'y ait manquement flagrant au Décret (auquel cas le DPCP ordonnera des mesures immédiates), une équipe de procureurs du DPCP désignée pour ce type de dossiers veillera à analyser les faits avant d'intenter ou non des poursuites contre une entreprise en vertu de la Loi sur la santé publique.
Il importe de souligner que, tout comme les mesures mises en place par le gouvernement du Québec, l'intervention des autorités policières évolue et se structure de plus en plus autour d'une intervention concertée avec la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST »).
L'intervention de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail
En effet, certains corps de police recommandent à leurs agents de faire appel à un inspecteur de la CNESST. L'intervention de la CNESST permet ainsi l'application des pouvoirs prévue à la Loi sur la santé et la sécurité du travail[9] (la « LSST ») qui a pour objectif l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs[10].
Dans le cadre de son intervention, avec ou sans les policiers, l'inspecteur de la CNESST évaluera dans un premier temps les mesures mises en place par l'employeur afin de protéger la santé et assurer la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs. Dans un deuxième temps, l'inspecteur pourra demander à l'entreprise de justifier, entre autres en produisant des documents et contrats, ses activités strictement prioritaires et le nombre d'employés nécessaires à cette fin. Cette vérification sera d'autant plus rigoureuse pour une entreprise dont les activités sont a priori non-prioritaires.
Toute contravention au Décret à la lumière de ces vérifications pourrait entraîner de graves conséquences pour les entreprises prises en défaut.
Conclusion
Les règles décrétées par le gouvernement du Québec visent à assurer la santé et la sécurité des citoyens. Considérant qu'il y a une réelle urgence d'agir et que l'intérêt public milite en faveur d'une interprétation plus stricte des règles, les autorités jouissent d'une plus grande latitude dans l'application des lois en matière de santé publique.
Par conséquent, nous recommandons de bien évaluer la situation lorsque les policiers se présentent sur les lieux d'affaires de l'entreprise, notamment en tentant de circonscrire le cadre dans lequel s'inscrit cette intervention.
[1] Pour une liste complète à jour, consultez le https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/fermeture-endroits-publics-commerces-services-covid19/.
[2] Bulletin: Les conséquences possibles du non-respect du décret gouvernemental concernant les services non-prioritaires
[3] RLRQ, c. S-2.2
[4] Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
[5] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12.
[6] RLRQ c C-25.1
[7] Pour une description de ces pouvoirs, voir l'article 129 du Code criminel et l'article 75 du Code de procédure pénale.
[8] Bulletin: Les conséquences possibles du non-respect du décret gouvernemental concernant les services non-prioritaires.
[9] RLRQ, c. S.-2-1.
[10] Art. 2.