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Dans ce bulletin, nous examinons en détail cette règle en expliquant comment elle a évolué dans le droit canadien et ce qu'il advient des soumissions qui ne sont pas conformes.
Avis aux lecteurs : Ce bulletin ne tient pas compte de l'incidence des accords commerciaux sur le processus d'appel d'offres des entités publiques.Celles qui sont soumises à des accords commerciaux doivent savoir que des règles plus strictes s'appliquent aux enjeux liés à la conformité des soumissions en particulier et au processus d'approvisionnement en général.
Comprendre les fondements du droit des appels d'offres
Ce principe du droit canadien remonte à la décision de la Cour suprême du Canada (« CSC ») de 1981 dans l'affaire Ron Engineering[1]. Cette affaire concernait un appel d'offres de la Water Resources Commission du gouvernement de l'Ontario (la « Commission ») pour un contrat de construction dans la ville de North Bay. Les documents de l'appel d'offres exigeaient le versement d'un dépôt de soumission au moment de la présentation de la soumission. Bien qu'un remboursement du dépôt de soumission soit prévu dans les documents de l'appel d'offres, si une soumission était retirée dans les soixante jours suivant l'ouverture des soumissions, le dépôt pouvait être conservé.
Après l'ouverture des soumissions, l'un des soumissionnaires, Ron Engineering, a relevé une erreur de prix dans sa soumission qui rendait le montant de sa soumission considérablement inférieur à celui des autres soumissionnaires. Ron Engineering a envoyé un avis pour signaler son erreur et a demandé le retrait de sa soumission sans pénalité. La Commission a refusé, a accepté la soumission et a présenté le contrat à Ron Engineering pour signature. Ron Engineering a refusé de signer, soutenant que, puisqu'il avait notifié à la Commission son erreur avant l'acceptation de la soumission, celle-ci n'était plus susceptible d'acceptation. La Commission, s'appuyant sur les conditions encadrant le dépôt de soumission, a conservé le dépôt et a accepté une autre soumission.
Les arguments avancés par Ron Engineering étaient assez complexes, mais, en gros, il a fait valoir que, puisqu'il avait signalé son erreur avant l'acceptation, il n'avait pas retiré sa soumission et que, par conséquent, le droit de conserver le dépôt n'était pas opposable. Ron Engineering a intenté des poursuites judiciaires pour récupérer le dépôt de soumission et la Commission a présenté une demande reconventionnelle concernant le refus de Ron Engineering d'exécuter les conditions de l'appel d'offres.
Finalement, la CSC a décidé que la Commission avait le droit de conserver le dépôt de soumission, car c'est ce que stipulaient les documents de l'appel d'offres. La Cour a estimé que lorsqu'une erreur est établie par la présentation d'une preuve raisonnable après l'ouverture des soumissions, la personne qui reçoit la soumission a le droit d'accepter la soumission ou de chercher à garder le dépôt, parce que le test est appliqué au moment où la soumission est présentée et que les droits des parties sont cristallisés.
Bien que la décision ne soit pas surprenante, l'arrêt Ron Engineering revêt une importance particulière parce que la Cour a déterminé que le processus d'appel d'offres lui-même crée un contrat entre l'entité adjudicatrice et chaque soumissionnaire qui soumet une offre conforme en réponse à l'appel d'offres. Dans le droit canadien des appels d'offres, on appelle ce contrat le « contrat A »[2]. La CSC s'est donc appuyée sur les conditions mentionnées dans les documents de l'appel d'offres (c'est-à-dire les règles de l'appel d'offres), et le dépôt de soumission, qui était destiné à garantir l'exécution des obligations du soumissionnaire en vertu du contrat A, était exposé au risque de confiscation en cas de manquement de Ron Engineering à ses obligations du fait du retrait de sa soumission.
Cette règle semble assez simple à première vue et le raisonnement qui la sous-tend est logique; son application n'est toutefois pas toujours aussi facile qu'il y paraît.
Les clauses de réserve et de renonciation peuvent-elles sauver une soumission non conforme?
Rappelez-vous que dans Ron Engineering, la Cour a précisé que le contrat A prend naissance à la présentation d'une soumission conforme. Ce principe préserve la crédibilité et l'intégrité du processus d'appel d'offres et garantit que les deux devoirs de l'entité adjudicatrice, à savoir le devoir d'agir équitablement et le devoir d'agir de bonne foi, sont respectés.[3]
Bien qu'elles puissent ressembler à une façon de contourner la règle, les clauses de réserve ne constituent pas des cartes blanches données aux entités adjudicatrices ou aux soumissionnaires. Un processus d'appel d'offres qui permettrait de rejeter une soumission pour des raisons frivoles ou qui permettrait à une entité adjudicatrice d'accepter une soumission qui n'est absolument pas conforme serait préjudiciable au système d'appel d'offres public, créerait une incertitude commerciale et saperait la crédibilité et l'intégrité du processus d'adjudication.
Si une clause de réserve peut ramener le critère de la « stricte » conformité à un critère de « non-conformité importante », elle n'élimine pas pour autant l'exigence de conformité de la soumission aux conditions de l'appel d'offres.
Une soumission dont la non-conformité est importante constitue, par essence, une contre-offre qui ne peut pas donner lieu à un contrat A, à moins que l'entité adjudicatrice n'exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est réservé par les documents de l'appel d'offres et ne prenne en considération la soumission non conforme[4]. Toutefois, une soumission ne passera pas le test de la « non-conformité importante » si la non-conformité a pour conséquence que la soumission ne répond pas à une exigence importante ou essentielle des documents de l'appel d'offres et qu'il existe une « probabilité substantielle » que la non-conformité de la soumission soit un facteur important dans le processus de décision du propriétaire. Ainsi, même en présence d'une clause de réserve étendue, il est très peu probable qu'un tribunal excuse la non-conformité aux exigences obligatoires.
Les entités adjudicatrices peuvent également utiliser des clauses de renonciation ou d'« acceptation des vices de forme », qui leur permettent d'accepter des omissions ou des défauts mineurs.
Par exemple, dans l'affaire Double N Earthmovers v. Edmonton (City)[5], l'appel d'offres exigeait que les numéros de série et d'enregistrement de toutes les machines devant être utilisées par le soumissionnaire soient fournis. Le soumissionnaire retenu n'a pas fourni ces informations pour certaines machines, mais a obtenu le contrat après que la ville d'Edmonton (la « Ville ») a exercé ses droits en vertu de la clause d'acceptation des vices de forme figurant dans les documents de l'appel d'offres. Un soumissionnaire non retenu a poursuivi la Ville et l'affaire s'est rendue jusqu'à la CSC.
Dans une décision partagée, la CSC, appliquant le critère de la non-conformité importante, a estimé que le fait de ne pas inclure les numéros de série n'avait pas une incidence importante sur le prix ou l'exécution du contrat. La Cour a estimé que la Ville n'avait pas eu connaissance de la tromperie du soumissionnaire retenu avant d'avoir accepté sa soumission et qu'elle n'avait pas agi de connivence avec lui durant l'appel d'offres de manière à traiter les autres soumissionnaires injustement. En acceptant la soumission, la Ville était autorisée, en vertu du contrat A, à accepter ce vice de forme et à attribuer le contrat au soumissionnaire retenu. La Cour a déterminé qu'une entité adjudicatrice n'a pas l'obligation de vérifier si un soumissionnaire respectera les modalités de sa soumission et peut se fier aux conditions de l'appel d'offres puisque chaque soumissionnaire y est tenu en droit en cas d'acceptation de sa soumission.
Mise en garde pour les soumissionnaires : évitez de restreindre les exigences de l'appel d'offres dans votre soumission
La présence de restrictions dans une soumission ne constitue toutefois pas un simple « vice de forme ». Toute proposition qui, par exemple, s'écarte des exigences présentées dans l'appel d'offres sur le plan de la quantité et de la qualité, et qui tente de restreindre ou de modifier les conditions de l'appel d'offres est généralement considérée comme une contre-offre (et donc impossible à accepter). Même si la présence de restrictions ne fait pas automatiquement de la soumission une contre-offre, la tentative d'imposer des restrictions peut créer deux problèmes majeurs :
- Pour les soumissionnaires : Toute restriction dans une soumission peut rendre cette soumission non conforme et impossible à accepter.
- Pour les entités adjudicatrices : Accepter des soumissions qui modifient ou restreignent les exigences de l'appel d'offres contrevient à leur devoir implicite d'agir équitablement.
Même si un document d'appel d'offres contient une clause de réserve, les soumissionnaires doivent savoir que l'exercice des droits conférés à l'entité adjudicatrice par une clause de réserve ou de renonciation est optionnel – l'entité adjudicatrice n'a pas l'obligation d'exercer ce droit même si tous les soumissionnaires ne sont pas conformes[6].
Principaux points à retenir
Les soumissionnaires et les entités adjudicatrices doivent garder à l'esprit ce qui suit :
- Règle essentielle : toujours respecter les règles exposées dans la demande de propositions.
- Le processus d'appel d'offres peut créer des obligations contractuelles et faire naître, pour l'entité adjudicatrice, un devoir d'agir équitablement envers tous les soumissionnaires conformes.
- Les conditions implicites clés du contrat A sont les suivantes :
- Il existe une différence entre une soumission qui contient un vice de forme et une soumission dont la non-conformité est importante.
- Si une soumission n'est pas conforme ou qu'elle contient tellement de restrictions qu'elle constitue une contre-offre, aucun contrat A n'est formé et aucun devoir d'agir équitablement n'est dû au soumissionnaire.
- Une clause de réserve élargie n'excusera pas une incapacité à se conformer aux exigences obligatoires.
- Une application excessive des droits conférés par une clause de réserve peut aller à l'encontre du devoir d'agir équitablement, qui est un corollaire de l'existence d'un contrat A.
- Les clauses de réserve ou les clauses de renonciation ne sont pas des solutions aux demandes de propositions ou soumissions mal structurées.
[1] La Reine du chef de l'Ontario c. Ron Engineering, [1981] 1 RCS 111 (Ron Engineering).
[2] Le contrat écrit final entre le soumissionnaire retenu et l'entité adjudicatrice est appelé « contrat B ».
[3] Le devoir d'agir de bonne foi, au sens d'un traitement équitable, exige de l'autorité adjudicatrice qu'elle agisse de bonne foi envers tous les soumissionnaires, et ce devoir est généralement implicite tout au long du processus d'appel d'offres. Le devoir d'agir équitablement prend naissance avec la prise d'effet du contrat A et s'éteint une fois que le contrat B entre en vigueur. Il n'existe pas de devoir d'agir équitablement autonome ou « indépendant » en l'absence d'un contrat A.
[4] Kinetic Construction Ltd. v. Regional District of Comox-Strathcona, 2003 BCSC 1673 au para 30.
[5] 2007 CSC 3.
[6] Rappelez-vous notre bulletin sur les exigences vagues des appels d'offres dans lequel nous expliquions qu'il incombait aux soumissionnaires de clarifier les exigences vagues avant de déposer une soumission. Tenter de clarifier une exigence vague en insérant une restriction dans votre soumission pourrait nuire à vos chances de succès.