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Le tribunal reconnaît les manquements à l’Accord de revendication territoriale avec les Inuits du Labrador dans la zone de la baie Voisey

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Bulletin Droit autochtone

La Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador (le « tribunal ») a récemment publié sa décision dans l’affaire Nunatsiavut government v. Newfoundland and Labrador, 2020 NLSC 129. Le tribunal a statué en faveur du gouvernement nunatsiavut dans le litige l’opposant à Terre-Neuve-et-Labrador (la « province ») au sujet du niveau de consultation requis et du partage des revenus qui sont dus au gouvernement nunatsiavut en vertu du traité moderne de 2005 sur l’Accord de règlement de revendication territoriale avec les Inuits du Labrador (le « traité ») en lien avec la mine de la baie Voisey.

Le gisement de la baie Voisey situé au cœur du territoire traditionnel des Inuits du Labrador a été découvert en 1994. Dans le cours des négociations afin de signer un accord, et en échange du fait que les Inuits ne cherchent pas à revendiquer le territoire de la baie Voisey, les parties ont conclu une entente de partage des revenus aux termes duquel 5 % des revenus de la province tirés du projet de la baie Voisey seraient payés au gouvernement nunatsiavut. Cette entente de partage des revenus est ultérieurement devenue l’article 7.5.1 du traité, lequel prévoit également que la province a l’obligation de consulter le gouvernement nunatsiavut au sujet des demandes et des permis dans la zone de la baie Voisey. En 2005, la province avait conclu une entente de développement avec les promoteurs du projet de la baie Voisey et la construction de la mine et des installations connexes étaient essentiellement terminées, à l’exception d’une installation de raffinage dont la construction et l’exploitation étaient prévues à Terre-Neuve.

La construction des installations de raffinage a connu de nombreux délais et dépassements de coûts en raison desquels le promoteur a profité de certaines dispenses en vertu de la loi Mining and Mineral Rights Tax Act, S.N.L. 2002, c. M -16.1 (la « loi ») pour lui permettre d’acheminer du concentré à l’extérieur de la province en quantité supérieure à ce qui avait été préalablement convenu. Par conséquent, plusieurs ententes de modifications ont été rédigées et des montants supplémentaires ont été offerts à la province en guise d’indemnisation, y compris un fonds d’investissement communautaire au bénéfice des citoyens de Terre-Neuve-et-Labrador (les « montants supplémentaires »). Le gouvernement nunatsiavut n’a pas reçu de part de ces montants supplémentaires et la province a concédé certaines déductions au titre des impôts miniers pour les coûts de construction, d’exploitation et d’amortissement de l’usine de raffinage qui ont donné lieu à une importante réduction des paiements versés au gouvernement nunatsiavut. À titre d’exemple, entre 2006 et 2014, la part de revenus des Inuits issue du projet de la baie Voisey était d’environ 53 millions de dollars. Une fois que le promoteur a commencé à appliquer les déductions, la part de revenus des Inuits a été progressivement réduite à néant.

Les revendications du gouvernement nunatsiavut

Le gouvernement nunatsiavut réclamait et demandait les déclarations suivantes de la part du tribunal :

1. leur droit à 5 % des revenus issus de l’extraction de minéraux à la baie Voisey a été incorrectement calculé en tenant compte du coût de raffinage des minerais à Terre-Neuve;

2. les 5 % des montants supplémentaires auraient dû être versés au gouvernement nunatsiavut conformément aux modalités du traité;

3. la province a manqué à son obligation fiduciaire lors de sa gestion de la part des revenus des Inuits; et

4. la province a manqué à son obligation de consultation du gouvernement nunatsiavut comme il en a la responsabilité en vertu du traité et en common law.

Conclusions du tribunal

Calcul du versement des revenus

La province alléguait que le gouvernement nunatsiavut était au courant que des traitements auraient lieu à l’extérieur de la zone de la baie Voisey et que les dépenses liées aux traitements étaient déductibles conformément à la loi. Le tribunal a observé que même si cela avait été le cas, le gouvernement nunatsiavut ignorait que la province allait permettre que ces déductions annulent complètement la part des revenus au titre des impôts miniers qui revenait au gouvernement nunatsiavut, et a ajouté que : i) la province aurait dû prévenir le gouvernement nunatsiavut d’une telle possibilité et a manqué à son obligation de déclaration complète en ne l’informant pas; et ii) la définition de « revenu » dans le traité excluait les activités hors de la zone de la baie Voisey, ce qui signifie que la part de revenu de 5 % qui revient au gouvernement nunatsiavut doit être calculée sans tenir compte des coûts encourus par le promoteur à l’extérieur de la zone de la baie Voisey, y compris les coûts liés à l’installation de raffinage. En conclure autrement signifierait que le gouvernement nunatsiavut ne retire aucune part des revenus issus du projet de la baie Voisey en dépit du fait que les minerais sont extraits de leur territoire traditionnel. Le tribunal a statué qu’un tel dénouement serait inéquitable[1].

Droit au partage des montants supplémentaires

La province estimait que les montants supplémentaires n’étaient pas des « impôts » comme il était défini dans le traité, mais plutôt des paiements exceptionnels. Le tribunal s’est montré en désaccord avec cette proposition et a plutôt conclu que les montants supplémentaires correspondaient à la définition d’un impôt aux termes du traité parce qu’ils étaient chargés compte tenu des prolongements et des dispenses prévus à la loi et que les paiements étaient faits aux fins de maintenir le droit de poursuivre l’exploitation d’une ressource souterraine. Par conséquent, le tribunal a conclu que le gouvernement nunatsiavut avait le droit de recevoir sa part des montants supplémentaires en raison de l’entente de partage des revenus prévue dans le traité.

Manquement à l’obligation fiduciaire

Le tribunal a statué que la province avait manqué à son obligation fiduciaire envers le gouvernement nunatsiavut concernant la gestion du partage des revenus du projet de la baie Voisey en vertu du traité. Le tribunal a énoncé que [traduction] « l’honneur de la Couronne donne lieu à une obligation fiduciaire lorsque la Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers ou identifiables… l’obligation fiduciaire de la Couronne inclut l’obligation fiduciaire de loyauté, de bonne foi et de communication d’information »[2]. La province n’a pas communiqué les impacts potentiels des déductions sur la portion payable des impôts miniers, a incorrectement calculé la part des revenus qui étaient dus au gouvernement nunatsiavut et, ce faisant, a manqué à son obligation fiduciaire.

Manquement à l’obligation contractuelle de consultation

Le tribunal a ensuite ajouté que la province a manqué à son obligation de consultation du gouvernement nunatsiavut, telle qu’elle est précisée dans le traité, en omettant de l’aviser d’une diminution ou de l’élimination de l’impôt minier lié à la baie Voisey et en omettant de le consulter avant de négocier et de conclure l’entente de modification. Comme le tribunal a constaté un manquement à l’obligation de consultation aux termes du traité, il ne s’est pas penché sur le manquement en common law.

Réparations et conséquences

Les conclusions du tribunal au sujet des points ci-dessus ont fait en sorte d’accorder au gouvernement nunatsiavut i) l’évaluation des dommages-intérêts liés aux déductions incorrectes sur les impôts fonciers, au manquement à l’obligation fiduciaire et au manquement à l’obligation de consultation en vertu du traité, et ii) à une part de 5 % des montants supplémentaires.

Les traités modernes, incluant celui dont il est question dans ce bulletin, sont des accords de nation à nation que les tribunaux interprètent de façon large et généreuse. L’honneur de la Couronne rend ces traités différents des traités internationaux ou des contrats entre deux parties privées et crée une obligation fiduciaire lorsque la Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers ou identifiables. Une telle obligation crée à son tour des obligations de loyauté, de bonne foi et de communication d’information. Dans tous ses rapports avec les peuples autochtones, la Couronne doit toujours être soucieuse de l’honneur de la Couronne, être proactive et fournir toute l’information pertinente aux parties autochtones.



[1] Nunatsiavut Government v. Newfoundland and Labrador, 2020 NLSC 129 au para 69.

[2] Nunatsiavut Government v. Newfoundland and Labrador, 2020 NLSC 129 au para 42.

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Auteurs

  • Kevin O'Callaghan, Associé, Vancouver, BC, +1 604 631 4839, kocallaghan@fasken.com
  • Sophie Langlois, Avocate-conseil, Toronto, ON, +1 416 865 5427, slanglois@fasken.com

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