L'attribution de la responsabilité à l'égard de la présence de sols contaminés dans un terrain faisant l'objet de procédures d'expropriation suscite depuis longtemps, et avec raison, de nombreux débats entre la partie expropriante et la partie expropriée. En effet, le résultat d'une telle détermination pourra s'avérer fort onéreux pour la partie qui doit supporter les coûts de réhabilitation d'un terrain contaminé, tout dépendamment de l'étendue, de la nature et de la gravité de la contamination.
Outre l'aspect financier, cette question soulève également des enjeux légaux particulièrement intéressants et complexes dans un contexte d'expropriation, puisque d'un côté, la partie expropriée se voit privée de son droit de propriété à l'égard d'un terrain à un moment qui n'a pas été choisi par cette dernière, parfois même alors que ses opérations sont toujours en cours, alors que de l'autre côté, la partie expropriante devient propriétaire d'un terrain dans lequel se retrouvent des contaminants qu'elle n'a pas rejetés et qui ne découlent pas de ses propres activités.
Chacune de ces facettes d'une même médaille est assujettie à un cadre juridique qui lui est propre, rendant une telle détermination de responsabilité encore plus ardue pour tout juriste faisant face à un tel dilemme.
Au fil des ans, les tribunaux québécois ont développé une série de balises permettant désormais à une partie d'évaluer qui, de la partie expropriante ou de la partie expropriée, devra assumer ces coûts, et ce, compte tenu des faits propres à un dossier de même que du cadre législatif et réglementaire applicable. Notre analyse des décisions rendues par les tribunaux québécois nous permet de conclure à l'existence d'une interprétation constante et cohérente par les tribunaux à ce sujet. Ce fort courant jurisprudentiel a été confirmé à maintes reprises, tant par les tribunaux de première instance que par les instances d'appel.
Le présent texte a pour objectif de vous présenter ce courant jurisprudentiel, de même que les nuances qui y ont été graduellement apportées.
Afin de permettre au lecteur de saisir pleinement l'essence de cette interprétation donnée par les tribunaux, nous traiterons également brièvement des principes généraux applicables en matière de fixation d'une indemnité dans le cadre d'une procédure d'expropriation, ainsi que des principes de base en matière de réhabilitation de terrains contaminés.
Retour sur quelques notions de base en expropriation
Nous précisons d'emblée que la présente section ne fait pas un tour d'horizon complet sur les trois concepts de base que nous avons retenus, soit la valeur au propriétaire, l'usage le meilleur et le plus profitable et la causalité. Considérant le sujet du présent article, nous considérons tout de même pertinent de faire un survol de ces notions en raison de leur incidence directe sur le traitement des coûts liés à la décontamination des sols dans le cadre d'un dossier d'expropriation.
Le concept de valeur au propriétaire
Lorsqu'un propriétaire voit son immeuble ou une partie de celui-ci exproprié, le fardeau de démontrer la valeur de l'immeuble (ou de la partie de l'immeuble) objet de l'expropriation revient à la partie expropriante. Toute autre indemnité réclamée par la partie expropriée doit être prouvée par cette dernière, le tout conformément à l'article 48 de la Loi sur l'expropriation, (RLRQ, c. E-24) (ci-après la « LE ») :
48. L'expropriant a le fardeau de la preuve pour ce qui concerne la partie de l'indemnité afférente à la valeur de l'immeuble ou du droit réel immobilier exproprié. L'exproprié, le locataire ou l'occupant de bonne foi a le fardeau de la preuve pour ce qui concerne toute autre partie de l'indemnité.
De nombreuses décisions rappellent un principe depuis fort longtemps établi prévoyant que le processus d'expropriation vise à déterminer le montant de l'indemnité et non un prix[1]. Bien que ce principe ne fasse l'objet d'aucune controverse jurisprudentielle, il arrive encore que l'évaluation de certains postes de réclamation par la partie expropriante relève davantage d'une recherche de la « valeur à l'expropriante » plutôt que de la « valeur au propriétaire ». Cette évaluation erronée de certains postes constituant l'indemnité à être versée à la partie expropriée met en lumière l'importance de rappeler les critères devant être pris en compte par le Tribunal administratif du Québec (le « Tribunal ») dans le cadre de son analyse :
- Cette indemnité doit dédommager entièrement la partie expropriée du préjudice que lui fait subir l'expropriation.
- La partie expropriée n'est pas un vendeur ordinaire qui débat comme il l'entend son prix avec l'acheteur.
- La partie expropriée est forcée de transiger à un moment qu'elle n'a pas choisi.
- Dans la recherche de l'indemnité, il doit être fait abstraction du but de l'expropriation.[2]
Le principe de la « valeur au propriétaire » ou « valeur à l'exproprié » tient de l'application des principes précités et peut être défini comme suit :
« (…) la Chambre croit bien résumer tous ces efforts de réflexion en définissant ce concept juridique de VALEUR POUR LE PROPRIÉTAIRE comme étant la valeur pour le propriétaire d'un bien est la valeur marchande, valorisée de tout avantage actuel ou potentiel et, le cas échéant, de tout attribut spécifique au propriétaire, sous la seule contrainte des exigences législatives ou réglementaires. »[3]
Pour sa part, l'auteur Forgues définit la valeur à l'exproprié comme suit :
LE BUT DE L'ÉVALUATION ET LA VALEUR RECHERCHÉE
En matière d'expropriation, le but de l'évaluation est de rechercher l'indemnité qui compensera le préjudice résultant de l'expropriation. La doctrine et la jurisprudence établissent que c'est la valeur au propriétaire qui doit alors être recherchée. Cela peut être la valeur marchande, mais cela peut être davantage lorsque le bien visé par l'expropriation a, pour son propriétaire, une valeur qu'il n'aurait pour aucun autre qui en ferait le même usage. » [4]
Le dédommagement auquel la partie expropriée a droit du fait de se voir dépossédée de son bien est donc fonction du « préjudice économique direct, matériel et raisonnablement probable qu'elle éprouve en raison de l'expropriation », l'objectif recherché étant de la replacer dans la même situation financière qu'avant l'expropriation, sans l'enrichir ni l'appauvrir[5].
La partie expropriée a donc le droit de « refaire sa situation avec les caractéristiques personnelles, subjectives et spécifiques dont elle bénéficiait au moment de l'expropriation »[6]. L'indemnité accordée à la partie expropriée doit toujours être évaluée sous l'angle qui lui est le plus avantageux [7]. On parle alors de compensation intégrale de la partie expropriée en raison des effets contraignants et préjudiciables qu'elle subit du fait de l'expropriation.
La valeur au propriétaire inclut d'autres notions comme la « valeur de convenance » ou « valeur spéciale » à l'exproprié, et la valeur potentielle[8]. La première de ces notions peut être définie comme suit :
VALEUR DE CONVENANCE OU VALEUR SPÉCIALE À L'EXPROPRIÉ
La valeur de convenance et/ou la valeur spéciale à l'exproprié est la valeur d'un bien ou d'un droit pour son propriétaire-utilisateur. Il s'agit d'une valeur qui dépasse généralement la valeur marchande, dans la mesure où elle contient cette dernière, plus une valeur particulière pour le propriétaire-utilisateur.
On parlera généralement de valeur spéciale à l'exproprié lorsque cette valeur peut être un avantage économique particulier à l'exproprié, tenant compte des conditions suivantes :
- cet avantage découle d'une utilisation factuelle;
- il est propre à l'exproprié;
- il ne se retrouve pas dans les éléments de valeur déjà calculés[9].
De son côté, la valeur potentielle d'un immeuble réfère à la valeur eu égard à sa « situation économique et physique en fonction de son usage le meilleur et le plus profitable », notion qui fera l'objet de plus ample explication dans la prochaine sous‑section. Comme l'objectif est la recherche d'une indemnité (et non d'un prix), c'est la valeur entre les mains du propriétaire qui doit être établie[10].
L'usage le meilleur et le plus profitable
La détermination de l'indemnité est tributaire d'un concept bien connu en droit de l'expropriation, soit celui de l'usage le meilleur et le plus profitable (ci-après l'« UMEPP »). Ce concept est défini comme suit par l'Ordre des évaluateurs agréés du Québec :
L'usage le meilleur et le plus profitable est celui qui, au moment de l'évaluation confère à l'immeuble la valeur la plus élevée soit en argent, soit en agrément et/ou commodité d'un lieu.[11]
L'UMEPP doit également répondre aux conditions suivantes :
- il s'agit d'un usage possible sur le plan physique;
- il doit être permis par les règlements et par la loi;
- il doit être financièrement possible;
- il doit pouvoir se concrétiser à court terme;
- il doit être relié aux probabilités de réalisation plutôt qu'aux simples possibilités;
- il doit exister une demande pour le bien évalué à son meilleur usage;
- enfin, l'usage doit être le plus profitable.
Sans grande surprise, il arrive fréquemment que les parties expropriante et expropriée ne s'entendent pas sur la détermination de l'UMEPP dans un contexte donné. Bien que la définition de ce concept de même que les critères permettant de l'établir aient été repris et appliqués abondamment par la doctrine et la jurisprudence, il n'en reste pas moins que la détermination de l'UMEPP demeure selon nous, l'étape la plus cruciale d'un dossier d'expropriation puisqu'elle influencera le traitement de tous les postes de réclamation compris dans la demande d'indemnité de la partie expropriée. La détermination des coûts liés au traitement des sols contaminés ne fait d'ailleurs pas exception à cette règle et leur sort sera inévitablement influencé par l'UMEPP établi dans chaque cas.
La question de la causalité
Le troisième concept en matière d'expropriation qu'il convient de rappeler est la nécessité d'établir un lien causal entre le dommage réclamé et la procédure d'expropriation. L'arrêt Dell holdings est certainement l'arrêt phare en la matière en ce qu'il confirme, notamment, que la détermination de l'indemnité à être versée à la partie expropriée s'évalue en fonction du lien de causalité qu'il est possible d'établir entre le préjudice subi et l'expropriation[12]. Bien que cette affaire provienne de l'Ontario, les principes qui y sont énoncés ont été considérés par la Cour d'appel du Québec comme étant applicables et compatibles avec l'article 58 précité de la LE :
[45] Dans l'affaire Dell, la Cour suprême devait trancher l'admissibilité de certains postes de dommages survenus avant l'acte d'expropriation, mais au cours du processus d'expropriation. De plus, le dommage affectait une partie d'immeuble qui ne sera pas, en fin de compte, expropriée par l'autorité publique. Plus précisément, le requérant Dell réclamait le remboursement de frais engagés et de profits perdus pour la période d'attente (deux ans) avant que l'expropriante arrête son choix sur la partie d'immeuble requise pour ses fins. Il s'agissait de savoir si cette réclamation pouvait être qualifiée de trouble de jouissance au sens de l'Expropriation Act de l'Ontario.
[46] Dans un premier temps, le juge Cory, pour la majorité, rappelle deux règles capitales en matière d'expropriation. La première veut que dans l'examen des dommages en cette matière la loi s'interprète d'une façon large, libérale et souple. La seconde prévoit, d'une part, qu'il faut se mettre en garde contre la double indemnisation, mais que, d'autre part, « aucun poste légitime de réclamation ne sera oublié ».
[47] Puis, le juge Cory souligne que l'acte d'expropriation s'inscrit dans un processus continu. Il en est l'aboutissement. Les dommages survenus avant l'acte d'expropriation, mais au cours du processus d'expropriation, sont indemnisables s'ils découlent du processus. L'approche appropriée pour évaluer ces dommages ne doit pas être fonction du moment où ils surviennent, mais plutôt du lien de causalité. Ainsi, l'indemnisation de tout type de dommages sera ordonnée dans la mesure où il existe un lien de causalité adéquat entre ces dommages et le processus d'expropriation.
[48] En retenant ce concept du processus continu, l'enseignement de la Cour suprême s'inscrit parfaitement dans la notion d'indemnité définie à l'article 58 de la Loi sur l'expropriation. L'article prévoit que :
L'indemnité est fixée d'après la valeur du bien exproprié et du préjudice directement causé par l'expropriation.[13]
[Références omises]
Au-delà du simple lien, la LE prévoit spécifiquement que l'expropriation doit être la cause directe du dommage réclamé par la partie expropriée, à défaut de quoi, aucune indemnité ne pourra être versée pour le préjudice subi :
58. L'indemnité est fixée d'après la valeur du bien exproprié et du préjudice directement causé par l'expropriation[14].
De nombreuses décisions ont interprété la portée qu'il convient de donner à l'expression « cause directe du dommage »[15] et certaines d'entre elles nous rappellent avec justesse que la détermination de la causalité relève avant tout d'une appréciation factuelle à laquelle doit se livrer le Tribunal, chaque cas demeurant évidemment un cas d'espèce[16] :
[57] Interprétant la périphrase «dommages qui résultent directement de l'expropriation» édictée à l'article 58 L.E. à la lumière de l'article 59 L.E. qui prévoit compensation lorsqu'une plus-value particulière résulte de la construction d'ouvrages ou d'améliorations effectuées par l'expropriante, les tribunaux estiment que les travaux en vue de la réalisation desquels l'expropriation est poursuivie font partie intégrante de l'expropriation. Conservant en mémoire le libellé de l'article 41 de la Loi d'interprétation qui prescrit une interprétation large et libérale de toute disposition d'une loi, ils ajoutent que les dommages qui résultent de la construction de l'ouvrage pour lequel la procédure d'expropriation est enclenchée sont des dommages compensables en vertu de l'article 58 L.E., parce qu'ils sont directement soufferts par la partie expropriée en raison de l'expropriation. Les dommages directs résultant de l'expropriation incluent toute perturbation issue de la présence des ouvrages à être réalisés en raison de l'expropriation, de même que ceux provenant des travaux effectués durant ou à l'occasion de l'installation de ces ouvrages. Il est indifférent que les travaux à l'origine des dommages aient été accomplis par les employés de l'expropriante ou par un tiers pour le compte de cette dernière. Les dommages peuvent être immédiats ou futurs. Ils doivent cependant être certains. Ils sont compensés par cette partie de l'indemnité définitive que le Tribunal identifie par la locution «indemnité accessoire», laquelle s'ajoute à l'indemnité principale. Le Tribunal n'a toutefois pas juridiction pour indemniser la partie expropriée des dommages survenus par la suite de la mise en opération, de l'utilisation ou de l'exploitation de l'ouvrage ou des travaux. Cette compétence appartient aux tribunaux de droit commun.
Ces trois concepts étant désormais clarifiés, la prochaine section abordera le cadre législatif et réglementaire applicable à la présence de sols contaminés et à leur réhabilitation, le cas échéant.
La Réhabilitation des sols contaminés en droit québécois
Les principes généraux établis par la Loi sur la qualité de l'environnement
La présente section ne constitue d'aucune façon une analyse approfondie et détaillée de la Loi sur la qualité de l'environnement (RLRQ, c. Q-2, la « LQE ») et de ses règlements. Cependant, afin de permettre au lecteur de pleinement comprendre les enjeux et les questionnements pouvant être soulevés dans le contexte particulier de l'expropriation d'un terrain dans lequel se trouvent des contaminants, nous jugeons opportun de procéder à un survol de principales dispositions applicables.
Mentionnons également à titre préliminaire que la LQE a récemment fait l'objet de modifications majeures, principalement quant au régime d'autorisation environnementale qui y est prévu. La majorité de ces modifications sont en entrées en vigueur le 23 mars 2018 par le biais de la Loi modifiant la Loi sur la qualité de l'environnement afin de moderniser le régime d'autorisation environnementale et modifiant d'autres dispositions législatives notamment pour réformer la gouvernance du Fonds vert (également connu comme le « Projet de loi 102 »).
1. Une prohibition générale de polluer
Le principe fondamental sur lequel se fondent la législation et la réglementation en matière de protection de l'environnement est codifié à l'article 20 de la LQE. En effet, l'article 20 de la LQE prévoit la prohibition générale suivante :
20. Nul ne peut rejeter un contaminant dans l'environnement ou permettre un tel rejet au-delà de la quantité ou de la concentration déterminée conformément à la présente loi.
La même prohibition s'applique au rejet de tout contaminant dont la présence dans l'environnement est prohibée par règlement ou est susceptible de porter atteinte à la vie, à la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de l'être humain, de causer du dommage ou de porter autrement préjudice à la qualité de l'environnement, aux écosystèmes, aux espèces vivantes ou aux biens.
En vertu de cette disposition, quiconque rejette des contaminants dans l'environnement ou en permet le rejet, contradictoirement aux conditions prévues à l'article 20 de la LQE, est en situation de contravention à la LQE et expose potentiellement sa responsabilité à l'égard des contaminants rejetés. Il s'agit de la codification du principe du pollueur-payeur.
Une interdiction similaire à celle de l'article 20 de la LQE se retrouve à l'article 8 du Règlement sur les matières dangereuses (RLRQ, c. Q-2, r. 32, le « RMD ») :
8. Il est interdit d'émettre, de déposer, de dégager ou de rejeter une matière dangereuse dans l'environnement ou dans un système d'égout, ou d'en permettre l'émission, le dépôt, le dégagement ou le rejet, à moins que l'opération ne soit réalisée en conformité avec la Loi sur la qualité de l'environnement (chapitre Q 2).
Ce sont sur la base de ces principes-cadres en matière environnementale, reconnus à maintes reprises par les tribunaux québécois, que pourra être déclenchée occasionnellement l'obligation de procéder à la réhabilitation environnementale d'un terrain, lorsque les exigences prévues par la LQE seront rencontrées.
Analysons désormais la question de ce que constitue un terrain contaminé en vertu de la législation environnementale.
2. La notion de sols contaminés
D'emblée, soulignons que la LQE ne contient aucune définition à proprement parler de ce qu'est un sol contaminé. Il en va de même de la réglementation adoptée en vertu de celle-ci, que ce soit notamment le Règlement sur la protection et la réhabilitation des terrains (RLRQ, c. Q-2, r. 37 le « RPRT »), le Règlement sur l'enfouissement des sols contaminés (RLRQ, c. Q-2, r. 18, le « RESC »), le Règlement sur le stockage et les centres de transfert de sols contaminés (RLRQ, c. Q-2, r. 46, le « RSCTSC ») ou le Règlement sur l'enfouissement et l'incinération de matières résiduelles (RLRQ, c. Q-2, r. 19, le « REIMR »).
Devant l'absence de définition de la notion de « sol contaminé » dans la LQE, il devient alors nécessaire de procéder à une analyse contextuelle des différents règlements relatifs aux sols contaminés les uns en fonction des autres afin de déterminer quels sont les paramètres légaux permettant de qualifier un sol contaminé. Cette analyse préliminaire est essentielle afin d'être en mesure de déterminer si un terrain faisant l'objet d'une expropriation est contaminé ou non au sens de la LQE.
Mentionnons tout d'abord que la définition de « contaminé » selon les dictionnaires usuels se résume essentiellement à toute matière contenant des contaminants. En l'absence de définition légale, c'est le sens commun qui prime. De sorte qu'il serait permis de présumer que tout sol contenant des contaminants devrait normalement être considéré comme contaminé.
Par « contaminant », la LQE entend :
1. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, les mots et expressions qui suivent signifient ou désignent :
[…]
«contaminant»: une matière solide, liquide ou gazeuse, un micro-organisme, un son, une vibration, un rayonnement, une chaleur, une odeur, une radiation ou toute combinaison de l'un ou l'autre susceptible d'altérer de quelque manière la qualité de l'environnement;
Une telle définition littérale et générale de la notion de sol contaminé est-elle soutenue par le corpus réglementaire applicable en matière environnementale?
Pour répondre à cette question, il convient ans un premier temps d'analyser le RPRT. Le RPRT a pour objectif de fixer les valeurs limites réglementaires pour une gamme de contaminants, et ce, pour certaines catégories d'activités spécifiquement visées par règlement. Il établit également, pour certaines d'entre elles, les cas, conditions et délais dans lesquels un contrôle de la qualité des eaux souterraines à l'aval hydraulique des terrains devra être réalisé.
Les valeurs limites réglementaires des contaminants sont prévues aux annexes I et II du RPRT. Ce dernier catégorise les limites réglementaires en fonction de l'usage qui est faite d'un terrain. Ces usages peuvent être de deux natures, soit :
- Des usages résidentiels ou des usages d'établissements d'enseignement primaire ou secondaire, des centres de la petite enfance, des garderies, des centres hospitaliers, des centres d'hébergement et de soins de longue durée, des centres de réadaptation, des centres de protection de l'enfance et de la jeunesse ou des établissements de détention (collectivement des « usages sensibles »);
- Des usages industriels, commerciaux ou institutionnels.
Dans le premier cas de figure, soit celui d'usages résidentiels ou d'usages sensibles, ce sera l'annexe I du RPRT qui prévoira les valeurs limites réglementaires applicables. L'annexe I est l'équivalent du critère générique B du Guide d'intervention – Protection des sols et réhabilitation des terrains contaminés (le « Guide »)[17] du ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (le « MELCC »). Dans le second cas, soit celui d'usages industriels, commerciaux ou institutionnels, ce sera plutôt les valeurs limites réglementaires prévues à l'annexe II du RPRT qui seront applicables. L'annexe II du RPRT est l'équivalent du critère générique C de la Politique.
Toutefois, le RPRT ne nous est d'aucune utilité lorsque vient le temps de déterminer ce qu'est véritablement un sol contaminé. En effet, le RPRT ne fait qu'établir les valeurs limites pour certains contaminants en fonction des divers usages autorisés en vertu des règlements de zonage des villes et municipalités. La présence de contaminants dans un terrain en concentrations supérieures aux valeurs limites réglementaires applicables prévues au RPRT n'est pas synonyme de « sol contaminé » en vertu du RPRT. Ce dépassement des valeurs limites réglementaires ne sert pas à qualifier un terrain, mais plutôt à déclencher les obligations prévues aux articles 31.43, 31.45, 31.49, 31.51, 31.52, 31.54, 31.55, 31.57, 31.58 et 31.59 de la LQE, auxquelles nous reviendrons dans le cadre de la section III.B du présent article.
Il serait erroné selon nous de conclure que tous les sols dont les concentrations en contaminants respectent les concentrations prévues par l'annexe I ou l'annexe II du RPRT, selon le cas, ne sont pas des sols contaminés. Le fait qu'un contaminant se retrouve sur un terrain et que ce terrain respecte l'annexe du RPRT qui lui est applicable selon l'usage qui en est fait n'implique pas, à notre avis, que les sols de ce terrain ne sont pas des « sols contaminés » au sens de la législation et de la réglementation environnementale.
Analysons maintenant le paragraphe 9 de l'article 4 du REIMR :
4. Ne peuvent être éliminés dans un lieu d'enfouissement visé par le présent chapitre:
[…]
9° les sols qui, à la suite d'une activité humaine, contiennent 1 ou plusieurs contaminants en concentration supérieure aux valeurs limites fixées à l'annexe I du Règlement sur la protection et la réhabilitation des terrains (chapitre Q-2, r. 37) ainsi que tout produit résultant du traitement de ces sols par un procédé de stabilisation, de fixation ou de solidification; […]
Cet article prévoit que les lieux d'enfouissement peuvent enfouir les sols dont les concentrations en contaminants sont inférieures à l'annexe I du RPRT, ce qui ne signifie pas nécessairement qu'il ne s'agit pas de sols contaminés.
À défaut de référence claire à la notion de « sol contaminé », le REIMR ne nous est d'aucun recours afin de déterminer ce qu'est un « sol contaminé ».
Passons maintenant aux dispositions pertinentes du RSCTSC.
À l'inverse des règlements précédemment analysés, le RSCTSC semble confirmer qu'un sol contaminé est un sol dans lequel se retrouvent des contaminants en concentration égale ou supérieure aux valeurs limites réglementaires prévues à l'annexe I du RPRT. En effet, l'article 1 de ce règlement mentionne ce qui suit :
1. Le présent règlement a pour objet la protection de l'environnement contre la pollution reliée à la manipulation de sols contaminés.
Il établit des règles sur le stockage de sols contaminés ainsi que sur l'établissement, l'exploitation et la fermeture de centres de transfert de sols contaminés.
Réserve faite de l'article 4, les sols contaminés visés au présent règlement sont ceux qui contiennent des contaminants en concentration égale ou supérieure aux valeurs limites fixées à l'annexe I. De plus, pour l'application du chapitre III, sont aussi visés les sols contenant des contaminants énumérés à l'annexe III.
À la lumière de ce qui précède, et puisqu'une interprétation contextuelle de la LQE et de ses règlements commande une interprétation cohérente des dispositions qui y sont prévues, nous sommes d'avis que le libellé de l'article 1 du RSCTSC confirme qu'à compter du moment où des sols contiennent des contaminants en concentrations égales ou supérieures aux valeurs limites fixées à l'annexe I du RPRT, nous sommes en présence de sols contaminés.
Toutefois, la simple découverte de l'existence de sols contaminés sur un terrain n'implique pas que des travaux de décontamination seront requis.
Les situations déclenchant l'obligation de décontaminer un terrain
Règle générale, il existe trois situations dans le cadre desquelles une personne a l'obligation de procéder à la réhabilitation environnementale d'un terrain dans lequel se retrouvent des contaminants en vertu de la LQE :
- Lorsqu'une personne cesse définitivement d'exercer une activité appartenant à l'une des catégories désignées par le RPRT;
- Lorsqu'une personne projette de changer l'utilisation d'un terrain où s'est exercée une activité appartenant à l'une des catégories désignées par le RPRT;
- Lorsque le ministre du MELCC (le « Ministre ») émet une ordonnance à cet effet.
Il importe de souligner que ce n'est que lorsque l'un des scénarios spécifiquement prévus à la LQE est matérialisé qu'une personne pourrait se voir dans l'obligation de procéder à la réhabilitation environnementale d'un terrain. En effet, la seule possession, à titre de propriétaire ou de gardien, d'un terrain dans lequel se retrouvent des contaminants, n'est pas suffisante à elle seule pour déclencher l'obligation de décontaminer un terrain.
Ces trois scénarios, que nous étudierons tour à tour, sont prévus à la section IV.2.1 du chapitre I de la LQE, laquelle prévoit les responsabilités ainsi que les obligations des personnes ayant pollué ou contribué à la pollution de terrains, ainsi que celles des personnes ayant eu la garde de tels terrains.
1. La cessation définitive d'une activité désignée
C'est à l'article 31.51 de la LQE que se retrouve l'obligation de caractérisation et de réhabilitation d'un terrain lorsqu'une personne cesse définitivement d'exercer une activité désignée par le RPRT :
31.51. Celui qui cesse définitivement d'exercer une activité industrielle ou commerciale appartenant à l'une des catégories désignées par règlement du gouvernement est tenu de procéder à une étude de caractérisation du terrain où elle s'est exercée, dans les six mois de cette cessation d'activité ou dans tout délai supplémentaire n'excédant pas dix-huit mois que peut accorder le ministre, aux conditions qu'il fixe, dans l'éventualité d'une reprise d'activités. L'étude doit, sitôt complétée, être communiquée au ministre et au propriétaire du terrain. Un avis de la cessation de l'activité doit être transmis au ministre dans le délai déterminé par règlement du gouvernement.
Si l'étude de caractérisation révèle la présence de contaminants dont la concentration excède les valeurs limites réglementaires, celui qui a exercé l'activité concernée est tenu, dans les meilleurs délais après en avoir été informé, de transmettre au ministre, pour approbation, un plan de réhabilitation énonçant les mesures qui seront mises en oeuvre pour protéger la qualité de l'environnement et pour éviter de porter atteinte à la vie, à la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de l'être humain, aux écosystèmes, aux espèces vivantes ou aux biens, accompagné d'un calendrier d'exécution et, le cas échéant, d'un plan de démantèlement des installations présentes sur le terrain.
Les dispositions des articles 31.45 à 31.48 sont applicables, compte tenu des adaptations nécessaires.
Cette disposition prévoit que lorsqu'une personne cesse définitivement d'exercer une activité industrielle ou commerciale appartenant à l'une des catégories désignées par le RPRT, elle a l'obligation de procéder à une étude de caractérisation sur le terrain sur lequel s'est exercée cette activité. Si cette étude de caractérisation révèle la présence de contaminants dans des concentrations excédant les valeurs limites réglementaires applicables compte tenu des usages permis sur ce dernier, un plan de réhabilitation doit alors être approuvé par le Ministre et le terrain en question doit être décontaminé conformément à ce plan.
La liste des catégories d'activités industrielles et commerciales désignées par règlement est prévue à l'annexe III du RPRT. Cette liste est restrictive et seule une activité qui y est prévue peut être assujettie aux obligations prévues à l'article 31.51 de la LQE ou à toutes autres dispositions y référant.
2. Le changement d'usage
Les articles 31.53 et 31.54 de la LQE prévoient les obligations incombant à celui qui projette de changer l'utilisation d'un terrain où s'est exercée une activité d'une catégorie désignée par le RPRT :
31.53. Quiconque projette de changer l'utilisation d'un terrain où s'est exercée une activité industrielle ou commerciale appartenant à l'une des catégories désignées par règlement du gouvernement est tenu, préalablement, de procéder à une étude de caractérisation du terrain, sauf s'il dispose déjà d'une telle étude et d'une attestation d'un expert visé à l'article 31.65 établissant que cette étude satisfait aux exigences du guide élaboré par le ministre en vertu de l'article 31.66 et que son contenu est toujours d'actualité.
À moins que ces documents ne leur aient déjà été transmis, doivent être communiquées au ministre et au propriétaire du terrain l'étude de caractérisation, sitôt complétée, de même que, le cas échéant, l'attestation mentionnée ci-dessus.
Constitue un changement d'utilisation d'un terrain au sens du présent article le fait d'y exercer une activité différente de celle qui était exercée antérieurement, qu'il s'agisse d'une nouvelle activité industrielle ou commerciale appartenant à l'une des catégories désignées par règlement du gouvernement ou de toute autre activité, notamment de nature industrielle, commerciale, institutionnelle, agricole ou résidentielle.
31.54. Tout changement d'utilisation d'un terrain visé à l'article 31.53 est subordonné à l'approbation par le ministre d'un plan de réhabilitation lorsque sont présents dans le terrain des contaminants dont la concentration excède les valeurs limites réglementaires.
Le plan de réhabilitation est transmis au ministre et doit énoncer les mesures qui seront mises en œuvre pour protéger la qualité de l'environnement et éviter de porter atteinte à la vie, à la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de l'être humain, aux écosystèmes, aux espèces vivantes ou aux biens. Il énonce également les mesures destinées à rendre l'utilisation projetée compatible avec l'état du terrain. Il doit enfin être accompagné d'un calendrier d'exécution et, le cas échéant, d'un plan de démantèlement des installations présentes sur le terrain.
Ces dispositions prévoient que lorsqu'une personne change l'utilisation d'un terrain où s'est exercée une activité industrielle ou commerciale appartenant à l'une des catégories désignées par règlement, elle a l'obligation de procéder à une étude de caractérisation sur le terrain sur lequel s'exerce cette activité. Encore une fois, si cette étude de caractérisation révèle la présence de contaminants dans des concentrations excédant les valeurs limites réglementaires applicables compte tenu des usages permis sur ce dernier, un plan de réhabilitation doit alors être approuvé par le Ministre et le terrain en question doit être décontaminé conformément à ce plan.
3. L'ordonnance ministérielle
L'ordonnance constitue le moyen par lequel le Ministre peut s'assurer que les terrains dans lesquels se retrouvent des contaminants soient réhabilités en cas de besoin. Une telle ordonnance peut représenter des coûts très importants pour celui qu'elle vise, qu'il s'agisse du propriétaire du terrain ou de la personne en ayant la garde ou le contrôle. Les ordonnances ministérielles en matière de terrains contaminés peuvent essentiellement prendre deux formes :
- Les ordonnances de caractérisation et de réhabilitation (articles 31.43, 31.49 et 114 de la LQE);
- Les ordonnances ministérielles en cas d'urgence environnementale (article 114.1 de la LQE).
Ces pouvoirs d'ordonnance ne feront pas l'objet d'une analyse individualisée dans le cadre du présent article, puisque cela nous éloignerait trop de son sujet principal.
4. Autres cas où la décontamination pourrait être requise
La réhabilitation de sols contaminés pourra également s'avérer requise lorsqu'une personne projette de faire des travaux nécessitant l'obtention d'une autorisation environnementale en vertu de l'article 22 de la LQE, et qu'une étude de caractérisation exigée par le Ministre préalablement à la délivrance d'une telle autorisation révèle la présence de contaminants susceptibles de porter atteinte à la vie, à la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de l'être humain, aux écosystèmes, aux autres espèces vivantes ou à l'environnement en général ainsi qu'aux biens[18].
Ce sera également le cas lorsqu'une personne prévoit réaliser des travaux de construction sur un terrain qui a été utilisé comme lieu d'élimination de matières résiduelles et qui est désaffecté ou qui prévoit réaliser des travaux visant à changer l'utilisation d'un tel terrain[19].
L'implication de la présence des sols contaminés dans le cadre de procédures d'expropriation
Comme nous venons d'en discuter, la simple découverte de l'existence de sols contaminés sur un terrain n'implique pas nécessairement que des travaux de décontamination devront être effectués par le propriétaire de ce terrain. Encore faut-il que les conditions spécifiquement prévues à la LQE soient rencontrées pour qu'une telle obligation de décontamination soit déclenchée.
Voyons maintenant comment les tribunaux traitent de cette question dans le contexte particulier de procédures d'expropriation.
Il convient de mentionner comme commentaire préliminaire que la LE est muette quant au traitement de postes de réclamation basés sur la présence de contamination dans les sols d'un terrain faisant l'objet de telles procédures.
Les principes applicables et la prise en charge des coûts
Lorsque des contaminants sont identifiés dans les sols d'un immeuble visé par des procédures d'expropriation, les tribunaux québécois ont, au fil des ans, défini des balises claires leur permettant d'imputer la responsabilité des coûts découlant de la décontamination des sols ou bien à la partie expropriante, ou bien à la partie expropriée. Plus généralement, il est de principe constant que les coûts relatifs à la réhabilitation d'un tel terrain soient :
- à la charge de la partie expropriante si la partie expropriée pouvait poursuivre l'utilisation de son immeuble malgré la présence de la contamination, n'eût été des procédures d'expropriation;
- à la charge de la partie expropriée si la partie expropriée devait nécessairement réhabiliter son immeuble pour en poursuivre l'usage.
Dans ce dernier cas, les coûts liés à la réhabilitation devront être déduits de l'indemnité à être versée à la partie expropriée, donc devront être assumés par cette dernière.
Le fondement au soutien d'une telle imputation des dommages à la partie expropriée s'explique par le fait que le Tribunal considère que ce poste de dommage (frais relatifs à la décontamination du terrain) n'est pas directement causé par l'expropriation lorsque la décontamination aurait de toute façon été requise dans le cadre de l'usage envisagé du terrain par la partie exproprié. Une telle nécessité de procéder à la décontamination rend alors la réclamation de la partie expropriée irrecevable dans le cadre de la fixation de l'indemnité devant lui être versée.
Avant d'en arriver à l'une des conclusions précitées, le Tribunal doit, dans un premier temps, identifier quel est l'usage le meilleur et le plus profitable de l'immeuble exproprié, le tout suivant l'application aux faits du dossier des critères abordés dans la première section du présent article.
Dans le cadre de cet exercice, le Tribunal doit évidemment garder en tête que la valeur qui est recherchée est celle du propriétaire et non celle de la partie expropriante. Dès lors, le niveau de décontamination qui devrait être retenu aux fins de déterminer les coûts admissibles ne devrait pas être fonction de l'usage projeté par la partie expropriante[20]. Comme cela est le cas pour tous les postes de réclamation composant la demande d'indemnité, le Tribunal devra également s'assurer que les coûts relatifs à la réhabilitation des sols sont directement liés à l'expropriation[21].
Dans tous ces cas, la partie expropriante demeure responsable de la contamination qu'elle cause directement dans le cadre des procédures d'expropriation.
Les coûts de réhabilitation des sols contaminés à la charge de la partie expropriante
Suivant la revue de la jurisprudence applicable en la matière, les auteurs constatent que l'approche retenue par les tribunaux quant au traitement des coûts de réhabilitation dans un dossier d'expropriation demeure constante, sous réserve de certaines exceptions que nous aborderons subséquemment. Malgré ce courant jurisprudentiel constant, les cas relevés mettent en lumière certaines distinctions qu'il convient d'étudier.
1. La contamination des sols sous la responsabilité de la partie expropriante
Il convient tout d'abord d'étudier les cas où le Tribunal a reconnu la responsabilité de la partie expropriante à titre de responsable de la contamination de l'immeuble faisant l'objet de procédures d'expropriation. À cet égard, nous tenons à rappeler le principe codifié par l'article 58 de la LE, soit que « [l]'indemnité est fixée d'après la valeur du bien exproprié et du préjudice directement causé par l'expropriation ».
1.1 Montréal (ville de) c. Brissette[22]
Dans cette affaire, l'expropriation avait comme objectif l'aménagement d'un stationnement municipal et scolaire. L'immeuble visé par l'expropriation était identifié comme étant le Parc de maisons mobiles Royal où l'expropriée y louait une maison mobile. Lors du déménagement de celle-ci, le réservoir d'huile à chauffage a été endommagé ce qui a occasionné une fuite contaminant par le fait même une portion du sol situé à l'arrière de l'emplacement. Cet incident a engendré d'autres coûts au montant de 26 247,40 $ que l'expropriée locataire réclame à titre d'indemnité.
La partie expropriante nie le bien-fondé de ce poste de réclamation puisqu'elle considère qu'il ne constitue pas un dommage directement causé par l'expropriation, mais bien à l'occasion de l'expropriation. Par conséquent, la partie expropriante est d'avis que le Tribunal n'a pas juridiction pour se prononcer sur ces dommages.
En l'espèce, la question qui se pose est de savoir s'il existe un lien direct entre le poste de réclamation et l'expropriation. À ce sujet, le Tribunal rappelle les principes de base devant le guider dans son analyse :
[25] Pour réussir sur une réclamation en dommages à la suite d'une expropriation, suite à la preuve de l'existence du préjudice, il faut que l'exproprié établisse le lien direct avec l'expropriation. Ce fardeau de la preuve sur l'existence, le lien de causalité et le quantum du préjudice appartient à l'exproprié.
De l'ensemble de la preuve, le Tribunal retient les éléments factuels suivants:
[26] (…)
- Monsieur Gaétan St-Pierre, conjoint de madame Diane Brissette, locataire expropriée, a témoigné à l'effet que la maison mobile et son réservoir d'huile à chauffage se trouvaient en bon état au Parc Royal, soit avant que la ville de Sainte-Geneviève ne se charge de leur déplacement et réinstallation sur un nouveau site # 7 au parc «à l'Ombre des clochers».
- Monsieur St-Pierre a indiqué ne pas avoir suivi le déroulement du déménagement de la maison mobile et ses accessoires, lequel s'est effectué vers le 4 décembre 2000. Suite au rebranchement des services publics, du réservoir d'huile et de l'installation de la jupe temporaire par l'expropriante, monsieur St-Pierre commande un remplissage du réservoir d'huile (24 décembre 2000) dans une démarche de location de la maison mobile, mais en raison du mal fonctionnement du chauffage, le locataire potentiel change d'idée.
- Ce n'est qu'à son retour de vacances, début mars 2001, que le problème du chauffage a été résolu, le bouchon de protection sur la cheminée et la dernière section avaient été oubliés par l'entrepreneur ; de plus, les aménagements temporaires et l'état des lieux sur le nouveau site de la maison mobile en rendaient la location difficile.
- Puis le 16 avril 2001, monsieur St-Pierre est informé de l'existence d'une fuite d'huile à chauffage provenant du réservoir situé à l'arrière de la maison mobile # 7 (madame Diane Brissette) dans le parc «à l'Ombre des clochers».
Le Tribunal retient également que la partie expropriante a décidé d'assumer la gérance de l'ensemble des travaux visant le déménagement des maisons mobiles et leurs accessoires au nouveau site et que plusieurs représentants de la partie expropriante ont été en contact avec le réservoir d'huile à chauffage au moment du déménagement. Il note également que l'étude de caractérisation environnementale du terrain réalisée avant le déménagement démontre une absence de contamination des sols sur l'ensemble du terrain.
Par conséquent, le Tribunal conclut que l'expropriée a rempli son fardeau en prouvant le lien causal entre les dommages réclamés en lien avec la fuite du réservoir d'huile à chauffage et l'expropriation.
Les coûts relatifs à la décontamination des sols, de même que les autres coûts y afférents, ont donc été analysés par le Tribunal dans le cadre de la fixation de l'indemnité.
Cette décision met en lumière l'importance pour la partie expropriée de démontrer le caractère direct des dommages subis en lien avec les procédures d'expropriation. Ce n'est qu'une fois que ce fardeau de preuve aura été rencontré que le Tribunal pourra intégrer ces dommages dans son analyse de l'indemnité devant être versée à la partie expropriée.
2. Les coûts de décontamination ne doivent pas être assumés par la partie expropriée si cette dernière pouvait poursuivre ses activités n'eût été des procédures d'expropriation
Procédons maintenant à l'étude des décisions où le Tribunal en arrive à la conclusion que la partie expropriée ne peut être tenue d'assumer les coûts découlant de la présence de contaminants dans son terrain si elle pouvait en poursuivre l'usage existant, n'eût été des procédures d'expropriation.
2.1 Société Québécoise d'assainissement des eaux c. Bouchard[23]
Dans cette affaire de 1998, le terrain faisant l'objet des procédures d'expropriation était un ancien poste de pompage où des réservoirs souterrains avaient été installés et où depuis avaient été respectivement opérés un commerce de réparation et entretien d'auto (jusqu'en 1989) et un commerce de carrosserie d'auto (au moment des procédures d'expropriation).
En décembre 1992 et en janvier 1993, la partie expropriée reçoit du Ministère des Ressources naturelles des avis de correction lui demandant de retirer du sol les réservoirs souterrains contenant des produits pétroliers et de procéder à la décontamination du terrain, s'il y a lieu. Dans les faits, la partie expropriée a retiré les réservoirs en 1995 et a opté de décontaminer les sols impactés dans des concentrations excédant les valeurs limites réglementaires applicables en laissant les contaminants dans ces derniers s'évaporer sur un polytène à l'arrière du terrain.
La Société québécoise d'assainissement des eaux informe (la partie expropriante) de son intention d'exproprier l'immeuble de la partie expropriée le 8 août 1994. Selon cette dernière, l'UMEPP n'était pas son usage actuel (commerce de carrosserie d'auto), puisque non conforme au zonage applicable, soit un zonage résidentiel. Par conséquent, la partie expropriante est d'avis que le terrain n'avait aucune valeur marchande tant et aussi longtemps qu'il était contaminé dans des concentrations excédant les valeurs limites réglementaires applicables pour un usage résidentiel.
La partie expropriée invoquait quant à elle l'existence de droits acquis à l'usage commercial du terrain et le fait que n'eut été des procédures d'expropriation, elle aurait pu poursuivre ses activités. Elle soutient donc que c'est en vertu des critères de décontamination applicables à un usage commercial que le terrain doit être assujetti.
La Chambre de l'expropriation (la « Chambre ») rappelle les principes applicables :
Dans la recherche de la valeur du terrain, il n'est pas inutile de rappeler que c'est la valeur du bien entre les mains de l'exproprié et non sa valeur entre les mains de l'expropriante qu'il faut retenir. Il y a également lieu de rappeler qu'en raison du fait que l'expropriation survient à un moment qui n'a pas été choisi par l'exproprié, les faits et gestes de l'exproprié doivent être appréciés dans ce contexte coercitif où l'exproprié n'a plus la faculté de disposer librement de son temps. Ces principes ont été maintes fois énoncés par la Chambre et s'appliquent tout particulièrement à la présente cause.
L'exproprié Bouchard est un commerçant opérant un commerce en vertu de droits acquis. N'eut été de l'expropriation, l'exproprié aurait pu poursuivre personnellement le commerce d'atelier mécanique et de réparation d'automobile ou encore donner son immeuble à bail ou encore le vendre à un commerçant en semblable matière. M. Bouchard n'a-t-il pas lui-même témoigné à l'effet que dans l'attente d'un rétablissement de sa santé, il avait loué son immeuble pour des opérations commerciales de même nature de façon à ne pas perdre dans l'intervalle ses droits acquis?
La Chambre conclut donc que suivant l'UMEPP, la solution la moins couteuse préconisée par l'exproprié afin de décontaminer le terrain était adéquate. En effet, aucune preuve n'a été présentée par la partie expropriante démontrant que ces travaux de réhabilitation n'étaient pas conformes aux règles de l'art et/ou aux exigences des autorités du ministère de l'Énergie et des Ressources.
La Chambre ajoute que les coûts de décontamination réclamés par la partie expropriante répondaient à ses propres besoins et critères spécifiques, lesquels ne sont pas ceux applicables à un commerce de la nature de celui opéré sur le terrain exproprié.
Cette décision établit donc dès 1998 le principe en vertu duquel la partie expropriante doit assumer les coûts visant à décontaminer un terrain afin de le rendre conforme à un critère plus contraignant que celui correspondant à l'UMEPP et à l'usage conforme exercé par la partie expropriée.
2.2 Blainville (ville de) c. Chouinard[24]
Un avis d'expropriation a été transmis par la Ville de Blainville (la partie expropriante) dans le but d'aménager un parc. La preuve démontre que le terrain visé est contaminé aux hydrocarbures pétroliers et le coût de décontamination est évalué à 284 000$. Les activités exercées sur le terrain étaient de nature commerciale dans le cadre desquelles le propriétaire exploitait un commerce d'excavation et utilisait le terrain pour y entreposer et y recycler divers matériaux, comme de la terre, du sable, du béton et des poutrelles, mais également des carcasses d'automobiles, de camions et de tracteurs.
Bien que la Ville alléguait qu'aucun usage de nature commerciale incluant le recyclage de voitures et l'entreposage de matériaux n'était autorisé en vertu du règlement de zonage, des photos aériennes, par ailleurs non versées en preuve, démontrent que le site est utilisé à des fins d'entreposage de voitures et autre équipement depuis les années soixante. De plus, au moment d'acquérir le terrain, le vendeur déclarait avoir opéré depuis de nombreuses années une cour de pièces automobiles (« cour à scrap ») sur le lot.
À propos de l'UMEPP, la Ville était d'avis que le meilleur usage du terrain visé par l'expropriation était résidentiel ou encore communautaire de conservation puisque ces usages sont conformes au règlement de zonage en vigueur. Elle réduit par conséquent son offre en fonction des coûts résultant de la contamination du terrain. Le Tribunal rejette d'emblée cette position et rappelle que la valeur recherchée est celle du propriétaire et non celle de l'expropriante.
Il retient que le propriétaire faisait une utilisation spécifique de son terrain sujette à certaines contraintes et qu'il n'a pas choisi d'être exproprié. L'UMEPP retenu par le Tribunal est la poursuite des activités en cours sur le terrain, malgré le fait que le zonage en vigueur ne permettait pas un tel usage. Bien que les propriétaires aient bénéficié d'une simple tolérance de la part de la Ville au courant des 35 dernières années, rien dans la preuve n'indiquait que cette tolérance ne pouvait se poursuivre de façon indéterminée dans l'avenir.
[49] Le Tribunal constate plutôt que, pour l'exproprié, dans le cadre de la recherche d'une valeur au propriétaire, l'usage le meilleur et le plus avantageux est de continuer celui qu'il en faisait jusqu'alors. S'il en change l'utilisation, son terrain n'a pas du tout la même valeur. Cette situation ne serait certainement pas avantageuse pour lui.
Le Tribunal en vient à la conclusion que dans le cadre de la recherche de la valeur au propriétaire, l'analyse de la preuve démontre qu'il n'y a pas lieu de déduire de l'indemnité à être versée à l'exproprié, les coûts relatifs à la décontamination des sols estimés par la partie expropriante, entre autre puisqu'il n'y avait aucune nécessité pour la partie expropriée de décontaminer son terrain pour poursuivre ses activités.
Les auteurs notent que le Tribunal intègre également dans son analyse la question de savoir si la partie expropriée est responsable de la contamination présente sur le terrain. Le Tribunal conclut à ce sujet que la période où des contaminants ont été répandus sur une partie du terrain exproprié n'a pas été établie. Avec égard, nous sommes d'avis que même si la responsabilité de la contamination avait pu être attribuée à la partie expropriée, la conclusion du Tribunal n'aurait pas été différente compte tenu de l'UMEPP retenu par le Tribunal.
2.3 Gatineau (ville de) c. Douvilar[25]
Dans cette affaire, l'expropriation avait comme objectif l'aménagement d'un site à des fins d'entreposage et de traitement des neiges usées. Les deux lots visés par l'avis d'expropriation étaient vacants, desservis par tous les services, étaient constructibles et prêts à être développés pour des usages industriels et commerciaux en conformité avec la réglementation municipale.
Une contamination du sol a été découverte dans le cadre d'une étude de caractérisation environnementale réalisée à l'occasion de la mise en place du dépôt à neige par la partie expropriante. L'étude précitée révèle la présence d'une contamination aux hydrocarbures pétroliers de niveau A-B. La présence de déchets solides (souches d'arbres, débris de toiture, bois, etc.) a également été identifiée.
La particularité de cette affaire est que la partie expropriante réclame le remboursement par la partie expropriée non pas du coût réellement encouru pour extraire les contaminants et les gérer adéquatement (58 251$), mais bien le montant qu'il en couterait dans l'éventualité où la municipalité changeait l'utilisation qu'elle entend faire du terrain. Elle est également d'avis que les déchets solides doivent être retirés aux frais de la partie expropriée suivant la LQE.
Dès le début de son analyse, le Tribunal retient que l'UMEPP pour ces deux lots serait de les développer et l'usage correspondant à l'UMEPP serait un usage mixte industriel-commercial. La preuve démontre que le propriétaire n'a pas de projet de développement à moyen terme de ces lots pour des usages industriel-commercial.
Dans un premier temps, le Tribunal rappelle ce qui suit :
[86] En premier lieu, le Tribunal rappelle qu'il existe en expropriation un principe primordial à l'effet que la valeur du bien exproprié auquel l'exproprié a droit est la valeur au propriétaire, c'est-à-dire la valeur du bien, entre ses mains, au moment de l'expropriation, et non la valeur du bien après qu'il aura été mis en valeur par l'autorité expropriante pour les fins pour lesquelles cette dernière a procédé à l'expropriation.
Le Tribunal rappelle également que la contamination observée atteignait le niveau A-B alors que le niveau de contamination requis pour des activités autres que résidentielles est de niveau B-C. Advenant que la partie expropriée ait exploité le terrain conformément au règlement de zonage en vigueur, elle n'aurait pas eu l'obligation d'extraire les matériaux contaminés et les envoyer dans un lieu de traitement autorisé.
L'excavation réalisée par la partie expropriante au coût de 58 251$ l'a été en fonction de l'usage qu'elle comptait faire du terrain. Or, la situation aurait été toute autre pour un autre développeur intéressé à développer le terrain à des fins industrielles-commerciales. En effet, suivant l'application de la Politique de protection des sols et de réhabilitation des terrains contaminés, la contamination aurait pu rester en place.
Par conséquent, le Tribunal conclut comme suit :
[95] En définitive, considérant que le niveau de contamination se situe majoritairement au niveau A-B, soit un niveau supérieur au niveau acceptable pour le genre d'utilisation du terrain ayant fait l'objet de l'expropriation, considérant que le niveau de contamination B-C est acceptable pour une activité industrielle permise par le règlement de zonage de la Ville, considérant que le niveau de décontamination dans le cadre de l'utilisation recherchée par le corps expropriant et partant les coûts de la décontamination résultent de sa seule décision, considérant que n'eut été cette expropriation, la partie expropriée n'aurait jamais eu à supporter quelque coût que ce soit relié à la décontamination du terrain, ledit terrain étant conforme à la loi et réglementation existante, le Tribunal est d'opinion que la partie expropriée n'a pas à assumer quelque coût que ce soit relié à la décontamination du terrain, incluant les honoraires au montant de 29 350 $.
Par ailleurs, le Tribunal est d'avis que la question des coûts liés à la présence des déchets solides doit recevoir un traitement distinct. En effet, dans la situation où un propriétaire souhaitait implanter un bâtiment sur ce terrain, une étude relative à leur capacité portante s'avérerait essentielle, ce qui requerrait le retrait des déchets solides observés sur les lieux et leur transport hors site.
Comme le retrait des déchets solides n'est pas lié aux activités projetées par la partie expropriante, le Tribunal conclut que le montant déboursé par la partie expropriante pour ce faire doit être supporté par l'exproprié, puisque la partie expropriée aurait nécessairement dû encourir cette dépense aux fins d'aménager le terrain :
[104] Dans ces circonstances, le Tribunal est d'opinion que le montant de 18 450$, soit le montant effectivement payé par la partie expropriante, représentant donc un coût réel et non directement lié à l'usage du terrain par la partie expropriante, doit être déduit de la valeur de l'emprise, tout comme il avait été décidé dans la cause Ville de Laval c. Société immobilière Juttian inc.
2.4 Ville de Châteauguay c. Les Investissements Fard Ltée[26]
Dans ce dossier, la ville de Châteauguay (la partie expropriante) a transmis un avis d'expropriation dans le but d'acquérir un terrain vacant pour y installer une caserne d'incendie. L'historique d'occupation du site révèle que des entreprises actives dans le domaine de l'automobile ont historiquement occupé les lieux depuis 1984.
La première intervention réalisée par la partie expropriante suivant la prise de possession fut la démolition du bâtiment se trouvant sur les lieux. Lors de cette opération, des tests de sols ont été réalisés par la ville, lesquels ont révélé des traces de contamination. Des travaux de décontamination ont donc été entrepris sur le terrain au coût de 484 175,54 $. Bien que cela ne fut pas requis suivant l'usage commercial qui était alors projeté sur le terrain, des sols dont le niveau de contamination se situait dans la plage A-B et B-C ont tout de même été retirés. Ces sols auraient pu être conservés et réutilisés puisqu'en deçà du critère C et ce puisqu'ils répondent au critère requis dans le cadre d'une réutilisation commerciale ou industrielle.
Les deux évaluateurs au dossier concluent que l'UMEPP est une « utilisation commerciale de type garage ».
L'une des particularités de ce dossier est que plusieurs années avant la transmission de l'avis d'expropriation, la partie expropriante avait exigé du propriétaire du terrain qu'il décontamine ce dernier suivant la découverte d'une contamination apparemment associée à de l'essence. C'est dans le cadre de travaux d'excavation réalisés par la ville le long du boulevard bordant le terrain en question que cette contamination fut découverte et le propriétaire procéda à la décontamination suivant les recommandations de son expert. Dans le cadre de ces travaux, la partie expropriante avait demandé de ne pas approcher à moins d'un mètre des conduites de gaz se trouvant sur le site. Pour cette raison, les sols contaminés n'ont donc pas été retirés à deux endroits sur le site. La preuve est à l'effet qu'un représentant de la partie expropriante a donné son accord à ce que ces deux parcelles du terrain ne soient pas décontaminées à l'époque.
Suivant l'analyse de la preuve présentée, le Tribunal retient que l'ampleur des travaux de décontamination réalisés par la partie expropriante après la prise de possession est le résultat d'une combinaison de plusieurs facteurs:
- Une réhabilitation en deçà du critère C effectué quelques années auparavant à la demande de la partie expropriante.
- La réhabilitation des sols se trouvant sous le bâtiment a été rendue nécessaire en raison du projet de la partie expropriante.
- La réhabilitation des deux parcelles de terrains contaminés laissés tels quels après la décontamination réalisée par le propriétaire quelques années plus tôt.
- Le dédoublement des coûts relatifs aux études et travaux déjà réalisés par le propriétaire étant donné que la partie expropriante n'a pas informé la firme ayant procédé à la décontamination que l'exercice avait déjà été réalisé quelques années plus tôt.
Le Tribunal prend également note du fait que, malgré l'existence d'un programme gouvernemental permettant d'obtenir une subvention pour des travaux de décontamination de l'ordre de 50 à 75% du montant total des travaux, la partie expropriante a fait le choix de ne pas s'en prévaloir.
Comme le terrain était vacant au moment de l'avis de transfert, la question qui se posait était de savoir si sa réouverture était assimilable à une nouvelle utilisation déclenchant par le fait même l'obligation de décontaminer en vertu de l'article 31.53 la LQE. À cette question, le Tribunal répond ce qui suit :
[99] À l'analyse de la preuve administrée devant lui, considérant tant l'état physique que l'état juridique afférant au bien exproprié, le Tribunal est d'avis que la propriété expropriée pouvait être utilisée à la date d'expropriation à des fins commerciales, tout en étant limitée sur le type d'usage prévu au code SCIAN, lequel correspond par ailleurs tant à l'usage antérieur de ladite propriété qu'aux usages permis au zonage en vigueur à la date de l'expropriation.
[100] La prémisse qui veut que passer de vacant à occupé, sans cadre de référence, soit synonyme de changement d'usage ne peut être retenue. Le terme «vacant» en immobilier se réfère à la non-utilisation d'un ou d'une partie d'un immeuble. Il s'agit d'un état transitoire dont la présence et l'amplitude sont sujettes à la perpétuelle mouvance du marché immobilier. Ce n'est pas une finalité en soi pour un immeuble de demeurer vacant.
[101] Dans la situation où la partie expropriée aurait décidé d'exploiter le terrain ayant fait l'objet de l'expropriation aux mêmes fins qu'avant celle-ci, et ce, sans modifier d'aucune façon les bâtiments s'y trouvant, se conformant ainsi au règlement de zonage en vigueur, la preuve révèle qu'elle n'aurait pas eu l'obligation d'extraire les matériaux dits contaminés et de les transporter hors site.
Étant donné que le Tribunal est d'avis que la propriété pouvait, à la date d'expropriation, être utilisée à des fins commerciales, il conclut que la partie expropriée n'aurait pas été dans l'obligation de décontaminer son terrain au-delà de ce qui avait déjà été fait auparavant à la demande de la partie expropriante. En effet, le fait que deux parcelles n'ont pas été décontaminées à l'époque ne peut être reproché à la partie expropriée puisque, dans l'optique d'une continuité dans l'opération commerciale, ces parcelles sont toujours situées à proximité des conduites de gaz, donc dangereusement accessibles.
La décontamination n'était pas nécessaire pour la poursuite des activités qui avaient cours tel antérieurement sur le terrain, conformément à l'UMEPP.
Aucun montant n'a donc été déduit de l'indemnité à être versée à la partie expropriée du fait de la décontamination réalisée par la ville suivant la prise de possession du terrain.
2.5 Ville de Terrebonne c. 3479447 Canada inc.[27]
Dans cette affaire, l'avis d'expropriation a été transmis à l'expropriée à des fins de réserve foncière pour des emprises excédentaires dans le cadre de la construction d'un échangeur autoroutier, l'agrandissement du système d'épuration des eaux usées et la construction d'un bassin de drainage. Les parties expropriées sont des compagnies faisant affaire sous les noms de Pépinière du Coteau et Ressorts Universels inc.
Au moment de l'achat des lots le 14 juillet 1998, les parties expropriées avaient un projet de revalorisation du site (anciennement exploitée à titre de sablière) par l'entreposage de matériaux recyclés utilisés comme remblai de même que par la vente en vrac de produits de pépinière. Selon les parties expropriées, l'expropriation a mis fin à ce projet de revalorisation de l'ancienne sablière. Aucun permis n'avait été obtenu pour procéder à un tel projet.
La preuve révèle que les parties expropriées entreposaient des matériaux secs livrés par Tri‑Compost et Systèmes de Recyclage et que des déchets ont été enfouis dans le terrain dans des cellules de confinement. Le tribunal note aussi la présence de « dumping sauvage » de divers déchets sur le site.
Le 1er février 1999, un inspecteur du Ministère de l'Environnement observe sur le site des activités d'enfouissement de différents débris composés de blocs et pièces de béton, de briques, de morceaux de bois, de plastique et de carton goudronné que l'on recouvre ensuite de terre ou de compost mélangé à des copeaux de bois. Suivant ses observations, l'inspecteur recommande l'émission d'un avis d'infraction.
Le rapport de l'inspecteur indique que la restauration complète des lots doit être réalisée à la fin de l'exploitation de la sablière, le tout suivant un rapport d'inspection datant du 17 juillet 1996. Faisant suite à son inspection du mois de février 1999, l'inspecteur recommande le transfert du dossier au service des enquêtes afin que des procédures légales soient entreprises dans le but de retirer les déchets enfouis. Au total, près de douze avis d'infraction seront émis en 1998 et 1999 pour un total de 152 140$. Au terme des procédures, les parties expropriées plaident coupables pour trois de ces avis d'infraction, avec paiement de 2 500 $ d'amendes, mais sans obligation de remise en état du site.
Alternativement, des démarches injonctives sont entamées par la partie expropriante. À compter du 26 février 1999, neuf ordonnances de sauvegarde ont été émises à l'encontre des parties expropriées.
La partie expropriante considère que l'UMEPP correspond à un usage « vacant en attente de développement » alors que les parties expropriées considèrent qu'il correspond plutôt à un usage industriel et/agricole relié à l'industrie de pépinière de gros, ce qui nécessite au préalable, de remblayer le terrain. Selon les parties expropriées, c'est la légalité de l'usage planifié et non le fait de détenir des permis qui est déterminant.
Après analyse du cadre législatif et réglementaire applicable au projet de pépinière des parties expropriantes, le Tribunal, est d'avis que ce projet est incompatible avec les règles environnementales applicables. Une telle incompatibilité suffit pour conclure au caractère hypothétique du projet.
Malgré cela, le Tribunal poursuit son analyse avec un examen minutieux de la réglementation municipale. Au terme de celle-ci, il conclut que l'usage projeté n'est pas permis par le zonage applicable dans les zones pertinentes. Le Tribunal est également d'avis que les activités de remblayage contreviennent au règlement de construction ainsi qu'au règlement sur les nuisances. Les nombreuses ordonnances de sauvegarde obtenues démontrent également la faible probabilité de réalisation du projet envisagé par les expropriées. L'UMEPP retenu par le Tribunal est donc celui proposé par la partie expropriante avec une légère nuance, soit un usage vacant en attente de développement industriel léger.
En ce qui concerne la question de la responsabilité des coûts découlant de la présence de contamination dans le terrain, le Tribunal note tout d'abord ce qui suit :
- l'expert de la partie expropriante est d'avis que de laisser les contaminants dans le sol risque de causer une augmentation de la contamination alors que la partie expropriante n'a procédé à aucune décontamination entre 2004 et 2012;
- la partie expropriante réclame la décontamination totale des terrains alors que le Ministère de l'Environnement a renoncé à cette exigence prévue aux avis d'infraction émis par cette dernière.
D'un autre côté, le Tribunal ne peut ignorer le fait que les parties expropriées ont unilatéralement contaminé le terrain en procédant à l'enfouissement de nombreux déchets sans la moindre autorisation. Il s'agit de gestes posés par les parties expropriées dans le cadre d'un projet irréalisable et non d'une contamination résultant de l'exploitation d'une entreprise conforme aux règles applicables.
Suivant la mise en lumière des principes jurisprudentiels applicables, le Tribunal conclut comme suit :
[229] Dans ce contexte, bien que la contamination résulte de l'enfouissement illégal de matières résiduelles par Pépinière, le Tribunal est d'avis que l'hypothèse de réhabilitation du terrain la plus probable s'avère la gestion de risque, sans pour autant exclure qu'une extraction des sols contaminés doive s'effectuer pour certains espaces, ce qui ne pourrait manquer de faire augmenter les coûts soumis par les experts des Corporations.
[230] Par contre, une telle décontamination ne devient nécessaire que lorsque le propriétaire du terrain décide de l'exploiter plutôt que de le laisser vacant. Cependant, pour réaliser l'utilisation optimale du terrain, il faudra éventuellement voir à sa décontamination.
[231] Ainsi, si on veut utiliser le terrain contaminé à son plein potentiel, il faut le décontaminer. Par contre, en attendant cette utilisation, et tant que le terrain demeure vacant et en attente de développement, il n'y a pas d'obligation d'agir, selon ce que révèlent le témoignage de M. Châteauneuf et l'inaction de l'expropriante qui n'a posé aucun geste pour décontaminer le site exproprié entre la prise de possession et la fin de la preuve devant le Tribunal.
[232] En revanche, tant que des démarches de décontamination ne l'ont pas mise en état d'être utilisé, la partie du terrain qui est contaminée n'a aucune valeur.
[233] Rappelons que le Tribunal a retenu comme utilisation optimale, vacant en attente de développement, mais en identifiant un certain potentiel industriel léger, à moyen ou long terme. C'est pourquoi il retient que le niveau de contamination des sols acceptable, dans le contexte de l'indemnisation pour l'expropriation du terrain en cause, serait celui permettant une telle utilisation industrielle.
[…]
[235] La contamination, résultant des «cellules de confinement» créées sans autorisation par Pépinière et qui s'avère problématique, serait donc celle qui excède le niveau C.
[236] Ce n'est qu'à l'intérieur d'une section de quelque 429 500 pieds carrés, sur les 3 627 185 pieds carrés du terrain exproprié, que les échantillons analysés par les experts des parties montrent une contamination qui excède le niveau C. C'est pourquoi le Tribunal considère improbable que ce terrain soit considéré contaminé dans sa totalité alors que ce niveau de contamination, supérieur à C, n'affecte qu'une partie bien définie des lots expropriés.
[…]
[239] En effet, dans le contexte d'un éventuel développement industriel léger, il faudrait construire sur le terrain. La zone où la contamination dépasse le niveau C, laquelle est la plus rapprochée de l'autoroute, serait certainement intéressante à construire; elle devrait donc être mise en état de ce faire.
[240] C'est pourquoi le Tribunal est d'avis que la conclusion de CRA correspond à un montant minimal et que le coût réel serait fort probablement plus élevé.
[241] Il conclut donc que cette superficie de terrain doit se voir attribuer une valeur nulle, mais que le reste du terrain, suffisamment grand pour être exploité en excluant la superficie contaminée, doit conserver sa pleine valeur.
[242] Il en résulte une valeur de terrain, en tenant compte de la contamination causée par les travaux de Pépinière, de 1 033 060 $, que le Tribunal retient comme indemnité devant être versée aux expropriées à ce titre.
Cette décision confirme que les coûts de décontamination ne devront être assumés par la partie expropriée qu'à compter du moment où l'obligation de procéder à une telle décontamination est cristallisée. À défaut d'une utilisation du terrain nécessitant une telle décontamination, l'indemnité ne peut être réduite du coût réellement encouru par la partie expropriante ou à encourir par cette dernière pour la décontamination.
Cependant, cette décision confirme également l'impact que peut avoir la légalité (ou l'illégalité dans ce cas) des activités exercées sur un terrain par la partie expropriée. En effet, le Tribunal a considéré comme nulle la valeur de la portion du terrain ayant été contaminée illégalement par les parties expropriées dans des concentrations excédant le critère C. Il s'agit selon nous d'un signal clair du Tribunal que l'attribution des coûts de décontamination dans le cadre de procédure d'expropriation ne doit pas se faire au détriment de la protection de l'environnement et des règles d'ordre public mises en place pour encadrer les activités à risque d'émettre des contaminants dans l'environnement.
2.6 Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu c. 9092-9340 QC inc.[28]
Dans cette saga judiciaire, un avis d'expropriation a été transmis par la ville le 9 mai 2012 à des fins de réserve foncière dans le but de servir à l'agrandissement d'un parc municipal déjà existant. La partie expropriée a acquis la propriété le 20 octobre 2000 sur laquelle était située un fonds de commerce (dépanneur) et une station-service. La partie expropriée opère des activités de vente d'essence sur le terrain, notamment d'essence à bateaux.
En octobre 2009, des réservoirs souterrains situés sur le terrain concerné par les procédures d'expropriation sont retirés suite à un écoulement d'essence en provenance d'un bris de réservoir. Le même jour où la partie expropriée obtient un permis pour procéder au retrait des réservoirs, un déversement d'essence dans le canal Chambly se produit. Dans le cadre des travaux de retrait des réservoirs, la partie expropriée procède à la décontamination des sols en fonction du critère C pour un montant d'environ 60 000 $.
Par la suite, soit au mois d'octobre 2010, des traces d'hydrocarbure sont identifiées si bien que les autres réservoirs à essence sont également retirés du terrain considérant leurs 25 années d'usure. Au mois de novembre 2010, l'expropriée installe donc un réservoir à essence hors sol uniquement pour les bateaux.
La partie expropriée indique qu'étant donné que les activités n'ont jamais cessé du fait de la poursuite de la vente d'essence aux bateaux, les dispositions obligeant l'inscription d'un avis de contamination ne sont pas applicables. La non-cessation des activités est confirmée par un courriel transmis par le Ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs.
L'UMEPP retenu par le Tribunal est un usage commercial avec vente d'essence aux bateaux. Après avoir rappelé les principes devant le guider dans son analyse et la détermination du montant de l'indemnité, le Tribunal fait ressortir avec justesse le principe applicable en matière de traitement des coûts liés à la décontamination :
[412] Le Tribunal passant en revue la jurisprudence sur la question a fait ressortir des principes de base sur cette question dans la décision 9056-6084 Québec inc. :
« [83] L'indication est claire, les coûts de décontamination ou de réhabilitation ne doivent pas être déduits de son indemnité si la partie expropriée pouvait continuer ses activités sans décontaminer, mais ils doivent être déduits si c'est une nouvelle activité qu'elle souhaite mettre en place et qu'elle exige de décontaminer pour devenir réalité. »
Malgré ce qui précède, le Tribunal est d'avis que le déversement d'essence dans le canal Chambly survenu en 2009 change les droits et obligations de l'expropriée suivant l'application des articles 20, 25 et 26 de la LQE, et ce, qu'il y ait cessation des activités ou non. Le Tribunal retient que les dispositions de la LQE sont claires à l'effet qu'à partir du moment où un impact réel est constaté, il est nécessaire de trouver la source de la contamination et y remédier.
En l'espèce, le Tribunal indique que la partie expropriée a bel et bien remédié à la situation en retirant les réservoirs à essences en 2009 et procédé à la décontamination des sols, mais l'exercice fut malheureusement réalisé de manière incomplète. En outre, l'exproprié n'a décontaminé qu'en fonction du critère C, a omis de prendre les précautions nécessaires pour le fond, les parois et l'entreposage des sols et n'a donné aucune suite aux demandes du Ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs pour une analyse de la phase flottante . Le Tribunal refuse d'entériner la vision de la partie expropriée alors qu'elle savait que la décontamination était à refaire suivant le zonage en vigueur, mais s'est abstenue d'y procéder sous prétexte qu'il n'y avait pas eu cessation des activités.
Par conséquent, le Tribunal conclut comme suit :
[424] Le Tribunal ne peut entériner cette façon de voir les choses. À partir du moment où la preuve démontre qu'il y a eu déversement chez le voisin, il n'a plus à se poser la question de la cessation ou non des activités, les dispositions de la LQE imposent la décontamination.
[425] Ne reste qu'à déterminer les coûts imputables à cette dernière.
Au final, le Tribunal retranche de l'indemnité de 481 000 $, un montant de 450 000$ correspondant à l'estimation des coûts de décontamination du terrain, laissant un montant de 31 000 $ pour l'immeuble et 130 832,35 $ incluant les dommages.
La décision du Tribunal fut portée en appel et renversée par la Cour du Québec. La partie expropriée fait essentiellement valoir en appel qu'elle n'avait pas l'obligation de décontaminer à la date d'évaluation, soit le 14 mai 2012 puisqu'elle poursuivait ses activités de vente d'essence pour les bateaux et que la LQE ne l'obligeait pas à décontaminer son terrain immédiatement.
Selon elle, seuls la cessation des activités ou un changement d'usage engendrent cette obligation de décontaminer. Or, ce changement d'usage n'a eu lieu qu'à compter du moment où la partie expropriante a pris possession du terrain pour le convertir en stationnement public. C'est donc l'expropriation de la partie expropriante qui a forcé la cessation des activités enclenchant par le fait même l'obligation de décontaminer.
De son côté, la ville prétend que l'obligation de décontaminer ne dépend pas uniquement de la cessation d'une activité ou d'un changement d'usage, puisqu'une ordonnance de décontaminer aurait pu être émise par le Ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs.
De façon préliminaire, et suivant l'analyse des motifs avancés par le Tribunal au soutien de sa décision, la Cour du Québec note que la gravité de l'incident survenu en 2009 est loin d'être aussi importante que le laisse entendre le Tribunal au paragraphe 415 de sa décision. Par conséquent, la Cour ne voit pas en quoi cet incident, qualifié de non catastrophique aurait pu changer les obligations de l'exproprié eu égard à son obligation de décontaminer.
En ce qui a trait à l'obligation de décontaminer suivant l'application de la LQE, la Cour note que le Tribunal n'identifie aucune disposition soutenant sa conclusion à l'effet que la « LQE impose la décontamination » et identifie cela comme étant une faille importante dans le raisonnement du Tribunal. La seule disposition prévoyant l'obligation de décontaminer sur-le-champ est l'article 66 de la LQE qui vise des matières résiduelles, laquelle n'a aucune application dans le dossier. De l'avis de la Cour, bien que la partie expropriée n'ait pas réalisé la « caractérisation de l'eau souterraine en 2011 » ni le « plan indiquant la localisation des puits d'observation avec les résultats d'analyses » tel que le demandait le Ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs au moment des faits pertinents, cela ne fait pas en sorte que l'expropriée était légalement tenue de décontaminer avant terme.
Après un examen des témoignages des représentants du Ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, la Cour du Québec est d'avis que ces derniers ne permettent pas de conclure que la partie expropriée devait décontaminer le terrain avant sa prise de possession par la ville. La preuve établit qu'aucune ordonnance n'a été émise par le Ministère :
[190] Par conséquent, il est inexact pour le TAQ d'affirmer au paragraphe 419 que «les pouvoirs, les obligations et les devoirs découlant des articles 20LQE et suivants s'appliquent, qu'il y ait ou non-cessation des activités…» car, sans ordonnance, il n'y a pas obligation de décontaminer avant les échéances prévues à la loi (changement d'usage ou cessation d'activités), comme on l'a vu précédemment.
Finalement, après une revue minutieuse de la jurisprudence applicable, la Cour du Québec conclut comme suit :
[207] En définitive, on constate que le fait d'imputer les coûts de décontamination à la partie expropriée comme l'a fait le TAQ dans l'affaire de Ville de Terrebonne ou comme il le fait dans la présente affaire constitue un cas très exceptionnel plutôt que la règle générale qui va dans le sens contraire.
[208] Si cela s'explique dans l'affaire de Ville de Terrebonne du fait que la partie expropriée avait cessé ses activités depuis plusieurs années lors de l'expropriation, ce n'est pas le cas ici alors que 9092 opérait toujours.
[209] Le principe reconnu par la jurisprudence est plutôt à l'effet que si l'entreprise expropriée est toujours en activité à la date de l'évaluation, il n'y a pas d'obligation de décontaminer sauf exceptions prévues à la loi. Lorsque c'est une expropriation qui provoque l'interruption des activités, l'indemnité d'expropriation ne doit pas en être affectée.
[…]
[215] En conclusion, la jurisprudence applicable au présent litige va dans le sens contraire de la conclusion du TAQ concernant le responsable des coûts de décontamination.
[…]
[221] À la question en litige: « Les frais de décontamination doivent-ils être supportés par la demanderesse? », il y a lieu de répondre par la négative.
Suivant la décision de la Cour du Québec, la partie expropriante s'est pourvue en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure qui, après un examen attentif de la décision du TAQ et celle de la Cour du Québec, rejette la demande :
[94] Au terme d'un examen attentif de la décision du TAQ, le Tribunal constate que l'analyse systématique entreprise par la Cour du Québec met en lumière les failles importantes et la fragilité des bases de la décision du TAQ d'imputer à 9092 la totalité des frais de décontamination estimés du terrain.
[95] La Cour du Québec s'est livrée à un exercice impliquant le degré élevé de déférence que commande l'application de la norme de la décision raisonnable. Son analyse mène néanmoins inexorablement à la conclusion qu'en imposant à 9092 les frais de décontamination du terrain de l'immeuble dont elle est expropriée, le TAQ a rendu une décision déraisonnable au sens de l'arrêt Dunsmuir qui ne pouvait se justifier au regard des faits établis et du droit applicable.
[96] L'analyse du TAQ conduit à un résultat injuste et déraisonnable et la Cour du Québec est correctement intervenue en annulant cette conclusion.
La Cour d'appel a par la suite rejeté une demande de permission d'appel de la décision de la Cour supérieure, en réitérant l'absence d'assise juridique de la décision du TAQ :
[3] Pour paraphraser mon collègue Yves-Marie Morissette dans Fraternité des policiers et policières de la MRC des Collines-de-l'Outaouais c. Collines-de-l'Outaouais (MRC), 2010 QCCA 816, la Cour du Québec fait ici une démonstration convaincante que le syllogisme juridique sur lequel s'appuie le TAQ s'écroule en raison d'une interprétation irrationnelle de la preuve qui prive complètement la décision d'une assise nécessaire.
Cette saga judiciaire vient donc fermement ancrer le courant jurisprudentiel à l'effet que s'il n'existe aucune obligation pour la partie expropriée de procéder à la décontamination de son terrain en fonction de l'UMEPP applicable, l'indemnité d'expropriation ne doit pas en être affectée. C'est alors la partie expropriante qui subit les coûts de toute décontamination qu'elle pourrait entreprendre suite à la prise de possession du terrain visé.
2.7 PGQ c. Gadbois[29]
Dans cette affaire, un avis d'expropriation a été transmis à la partie expropriée par le MTQ dans le but d'aménager une bretelle d'accès au carrefour de l'autoroute 20 dans la Ville de Saint‑Hyacinthe. Au cours du mois de février 2009, la partie expropriante transmet une offre détaillée avec la mention « moins les coûts de décontamination s'il y a lieu ».
L'historique d'utilisation du terrain visé par les procédures d'expropriation démontre que celui-ci est vague et non utilisé au moment de l'expropriation sauf à des fins d'entreposage de terre de remplissage. La propriété appartient à une dame dont le mari, décédé, y exploitait de son vivant une station-service avec services de mécanique automobile et de remorquage. Des activités de transport et de terrassement y étaient également opérées.
Depuis le décès du mari de la propriétaire, aucune activité ne s'y déroule à l'exception de quelques voyages de terre réalisés entre 2003 et 2009. Malgré cela, l'idée d'exploiter la terre habite toujours les fils du défunt.
Pour la partie expropriante, l'UMEPP est un usage agricole dans un contexte d'assemblage avec un potentiel de développement à long terme. Dans le cadre de son analyse de la valeur de la propriété, l'expert de la partie expropriante procède à un ajustement négatif de l'ordre de 50 % étant d'avis que le terrain présente un potentiel de contamination.
Au terme de son analyse, le Tribunal retient un UMEPP agricole avec un potentiel de développement à long terme. Toutefois, le Tribunal est d'avis qu'aucun ajustement négatif ne devrait être apporté lors de l'évaluation de la propriété en raison d'un potentiel de contamination, car il n'existe aucune preuve à cet égard :
[39] Le Tribunal est d'avis, par contre, qu'il n'y a pas lieu de déprécier ce taux de 50 % comme le suggère l'évaluateur de la partie expropriante. D'une part, le coût de l'ameublissement du sol ou son impact sur la valeur n'a pas été établi et peut être compensé par la plus-value résultant du potentiel de développement à long terme. D'autre part, il n'y a aucune preuve de contamination du sol sous la terre empilée en surface. Au contraire, M. Éric Hardy, ingénieur spécialisé en environnement, témoignant pour le MTQ, a précisé que la probabilité que ce sol soit contaminé était faible.
À titre informatif, en ce qui a trait aux activités d'entreposage de terre, la partie expropriante arguait qu'aucune somme ne devrait être payée à la partie expropriante pour la terre contaminée entreposée sur le terrain sans autorisation en zone agricole. La partie expropriée, quant à elle, considérait avoir le droit d'être indemnisée pour la perte de revenu découlant de la vente et de la livraison de cette terre, n'eût été l'expropriation.
Dans un premier temps, le Tribunal note qu'on ne peut conclure que la terre entreposée sur la propriété n'a aucune valeur en raison de sa contamination, l'expert de la partie expropriante étant lui-même d'avis qu'une infime portion seulement de la terre était contaminée et nécessitait d'être transportée hors site. La majorité de la terre présentait un degré de contamination moindre, soit à un niveau inférieur au critère B. Quant à l'illégalité de cette activité (entreposage et vente de terre), le Tribunal retient que celle-ci a cours depuis 1970 jusqu'en 2009, au moment de l'expropriation sans que l'exproprié ne n'ait été importuné. Par conséquent, le Tribunal est d'avis que la vente de terre aurait continué sur la propriété, n'eût été l'expropriation, et ce, ne serait-ce qu'en vertu de droits acquis.
Le Tribunal intègre donc ce poste de réclamation dans le cadre de la fixation de l'indemnité.
3. Les coûts de décontamination sont assumés par la partie expropriée si cette dernière ne pouvait poursuivre ses activités sans procéder à la décontamination du terrain
3.1 Hôpital Charles-Lemoyne c. Gestion immobilière Dion Lebeau inc.[30] (la décontamination requise pour l'usage projeté par l'exproprié)
Dans l'affaire Hôpital Charles-Lemoyne c. Gestion immobilière Dion Lebeau inc. datée de 1993, un avis d'expropriation a été transmis dans le but d'aménager un stationnement sur le terrain de la partie expropriée. Un ancien garage municipal de même que ses annexes étaient situés sur ce terrain. Dans son offre détaillée, la partie expropriante réduisait du montant offert les coûts liés à la démolition et la décontamination qui sont de l'ordre de 221 811,00 $
Les deux parties étaient d'avis que l'UMEPP consistait à démolir les bâtiments existants pour y permettre la construction de résidences ou foyers pour personnes âgées, usage déjà autorisé par le règlement de zonage.
Préalablement à la vente du terrain à la partie expropriée, la ville y avait acheminé pendant plus de 30 ans huiles et graisses pour l'usage de ses véhicules et de la machinerie. Une étude de caractérisation réalisée sur ce terrain avait permis d'identifier dans le sol d'un volumineux réservoir d'essence, de sable déglaçant, d'asphalte, d'hydrocarbures, de sable et de gravier.
De l'avis de la Chambre d'expropriation, il est évident que n'eût été l'expropriation, l'expropriée aurait été dans l'impossibilité d'utiliser le terrain aux fins visées sans procéder à sa décontamination préalable. Par conséquent, elle soustrait de la valeur du terrain le montant admis par l'expropriée de sorte que celui-ci puisse être utilisé de la manière envisagée par l'expropriée elle-même.
La Chambre réitère qu'en fixant l'indemnité d'expropriation, elle doit en quelque sorte se substituer à la partie expropriée et, à l'aide de la preuve qui lui est soumise de part et d'autre, tenter d'établir les coûts qu'elle aurait dû assumer pour tirer le meilleur avantage possible de son terrain s'il n'avait pas été exproprié.
3.2 Ministère des Transports c. Le Cours Pointe St-Charles inc.[31] (l'usage projeté du terrain par l'expropriée ne correspond pas à l'UMEPP)
Un avis d'expropriation a été signifié par le Ministère des Transports afin de permettre à l'AMT d'aménager un garage et un centre d'entretien du matériel roulant du réseau ferroviaire dans le secteur sud-ouest de la Ville de Montréal.
L'immeuble visé par les procédures d'expropriation est composé de deux lots où sont érigés plusieurs bâtiments. Le zonage en vigueur au moment de la signification de l'avis d'expropriation le 4 juin 2009, permettait un usage restrictif correspondant à la transformation et la réparation de matériel roulant ferroviaire. Le site en question a été occupé par le CN de 1925 à 1996 pour ensuite être loué en partie à GEC Alstom (bail de 39 ans) qui a fermé en 2004. Le 8 février 2005, un avis de contamination est publié conformément à l'article 31.58 de la LQE. Le 16 juin 2006, la partie expropriée achète l'ensemble du site dans le but d'y faire un vaste développement industriel, commercial et une portion résidentielle. L'une des contraintes majeures de ce site est son haut niveau de contamination.
De 2006 à 2008, la partie expropriée a tenté de trouver des partenaires d'affaires, mais en vain. Le site demeurera vacant jusqu'en mars 2008, moment où la partie expropriée trouve un premier locataire intéressé à occuper les lieux pour ses activités, puis un second en septembre de la même année (ce second locataire, AMP, offre des services d'entretien de matériel ferroviaire). Un avis de réserve publique est publié le mois de novembre suivant, suivi de l'avis d'expropriation au mois de juin 2009. La partie expropriée demeure néanmoins propriétaire de la portion destinée au développement résidentiel (anciens ateliers du CN).
La partie expropriante retient que l'UMEPP est à des fins industrielles et commerciales diverses. L'expert de la partie expropriante reconnaît que la présence du locataire AMP depuis septembre 2008 constitue une continuité d'usage ferroviaire ce qui permet à la partie expropriée de reporter la décontamination d'une partie du site.
La partie expropriée de son côté, fait valoir que la stratégie préconisée dans son projet de développement consiste à trouver un locataire d'abord pour ensuite procéder au redéveloppement du site. De plus, dans la mesure où il y a poursuite des activités ferroviaires, aucune obligation de décontaminer ne lui incombe. Pour elle, l'UMEPP consiste en la continuité des opérations d'entretien de matériel ferroviaire et de transport et autres activités industrielles minimisant les coûts reliés à la réhabilitation environnementale du site, ce qui correspond à son projet de développement. Elle ajoute que l'UMEPP doit correspondre aux besoins du marché.
De l'ensemble de la preuve, le Tribunal retient ce qui suit :
- La partie expropriée est un développeur immobilier cherchant à maximiser son investissement.
- Plusieurs scénarios de développement ont été mis en place par la partie expropriée depuis l'achat de la propriété et procédé à l'élaboration de diverses stratégies de gestion des sols contaminés dans le but d'en contrôler les coûts.
- La partie expropriée a décidé de retarder en partie les coûts relatifs à la décontamination en poursuivant l'usage ferroviaire par l'entremise du locataire AMP.
- La partie expropriée ne possède aucune expérience dans le domaine ferroviaire et entendait plutôt développer le site globalement, pour des usages industriels, commerciaux et résidentiels diversifiés.
Le Tribunal considère également devoir tenir compte, dans la détermination de l'UMEPP d'une demande de changement de zonage formulée par la partie expropriée en septembre 2007 dans le but d'être autorisé à exercer d'autres usages sur le site, laquelle demande était toujours en traitement au moment de l'expropriation, au mois de juin 2009.
Parmi les nombreux éléments de preuve présentés par les parties, le Tribunal retient ce qui suit et conclut que l'UMEPP correspond à un usage à des fins industrielles et commerciales diverses :
[339] En résumé, ce que le Tribunal retient finalement comme élément de preuve déterminant dans le choix de l'UMEPP :
- Malgré que le zonage en vigueur au moment de l'expropriation en soit un d'usage industriel ferroviaire.
- CPSC n'est pas un acteur œuvrant dans le milieu des activités ferroviaires.
- CPSC est un promoteur immobilier qui vise à rentabiliser au maximum le site.
- CPSC, bien avant l'expropriation, a présenté une demande de changement de zonage pour usage à fins industrielles et commerciales diverses; de nombreuses démarches ont été entreprises en ce sens et démontrent de façon prépondérante que le zonage industriel ferroviaire du site en est un intérimaire, soit en voie de changement vers un autre usage optimal.
- En ce sens, il ressort de la preuve que le bail conclu avec AMP, à très faible taux, bien que conclu pour une période de 20 ans, peut être annulé sur préavis de seulement 6 mois.
- Ce bail possède l'avantage, selon le témoignage même de M. Chiara, de l'aider à payer ses factures de détention du site d'une part, et de reporter dans le temps la problématique de la décontamination du terrain.
- Ce dernier facteur de même que le témoignage de M. Chiara sont déterminants pour démontrer que l'usage ferroviaire, avec AMP, en est un qui possède un caractère intérimaire, et ne représente pas l'usage optimal du site.
- CPSC n'a pas démontré de façon convaincante et prépondérante l'existence d'un marché pour un usage ferroviaire sur le site exproprié; au contraire, tant le bail d'AMP, conclu à un très faible taux, que l'absence d'autres locataires ferroviaires démontrent la faiblesse de cette approche.
Par conséquent, le Tribunal en arrive à la conclusion que les coûts relatifs à la décontamination des sols doivent être à la charge de la partie expropriée. De plus, considérant les montants élevés relatifs à la décontamination assumés par la partie expropriante, le Tribunal ordonne la restitution de la différence entre l'indemnité provisionnelle déjà versée et l'indemnité définitive.
La décision du Tribunal a fait l'objet d'une demande de permission d'en appeler par la partie expropriée, laquelle a été rejetée. Dans sa décision, la Cour du Québec rappelle l'importance de procéder à l'allocation des coûts de décontamination en fonction de l'UMEPP applicable à la partie expropriée :
[70] L'extrait cité par l'expropriée ne doit pas être isolé de l'ensemble de la décision. Dans cette affaire, Douvilar avait acquis des terrains vagues et construit un bâtiment, sans autre projet réalisable à court terme. Par la suite, la ville transmet un avis d'expropriation visant l'aménagement du site pour un dépotoir à neige. La ville prend ensuite possession des lieux. Lors de l'audition, tous conviennent d'un usage commercial et industriel. La ville prévoit des coûts de décontamination totalisant 310 672 $ advenant une modification future de l'utilisation du terrain. C'est dans ce contexte que le TAQ refuse de réduire l'indemnité, trouvant « fort curieux que la partie expropriée ait à payer quelque somme que ce soit suite à la décision que pourrait prendre la municipalité à l'effet de modifier unilatéralement son règlement de zonage pour permettre un autre usage »[86]. Dans le présent cas, il ne s'agit pas de décontaminer en prévision d'un éventuel changement de zonage suite à la prise de possession par l'expropriant. Il s'agit plutôt de déterminer l'UMEPP et de fixer l'indemnité en tenant compte de la décontamination.
3.3 Terrebonne (ville de) c. 9056-6084 Québec inc.[32] (l'UMEPP différent de l'usage exercé antérieurement)
Dans cette affaire, un avis d'expropriation a été transmis par la partie expropriante le 10 novembre 2009 pour des fins d'élargissement de l'intersection d'un chemin. Il ressort de la preuve qu'antérieurement à l'achat de la propriété par la partie expropriée en 1997, la station-service de type « gaz-bar » située sur le terrain visé était déjà fermée. En fait, l'achat de la propriété par la partie expropriée l'a été dans l'unique but d'éviter à son frère qu'il ne fasse faillite. Il n'y avait donc aucun projet spécifique de développement pour ce terrain.
L'UMEPP retenu par les deux experts est commercial. Le Tribunal retient que la partie expropriée détient un terrain en attente de développement sans qu'aucune démarche pour le mettre en valeur ou le redévelopper n'ait été entreprise.
Il ne fait aucun doute que le terrain est contaminé à la date d'évaluation retenue, soit le 13 novembre 2009. Pour la partie expropriée, il est clair que l'obligation de décontaminer le terrain revient à la partie expropriante puisqu'elle découle directement de l'expropriation. Au soutien de ses prétentions, la partie expropriée invoque les arguments suivants : la contamination n'est pas due à sa faute, la cause de la contamination n'est pas la sienne, mais proviendrait du terrain voisin et aucune obligation de décontaminer ne lui incombait à la date de l'expropriation.
De son côté, la partie expropriante est plutôt d'avis que les frais de décontamination de l'ordre de 434 940 $ qu'elle a assumés doivent être déduits de l'indemnité à être versée à la partie expropriée.
Après avoir procédé à l'analyse de la jurisprudence pertinente en la matière, le Tribunal conclut que les coûts de décontamination doivent être déduits de l'indemnité. En l'espèce, l'UMEPP retenu, soit celui de terrain commercial en attente de redéveloppement est différent de l'usage antérieurement exercé sur la propriété, soit celui d'un gaz-bar. Poursuivant son analyse jurisprudentielle, le Tribunal en vient à la conclusion que l'UMEPP ne peut se réaliser sans décontaminer le terrain :
[96] Le Tribunal se trouve en présence d'une preuve qui lui indique que :
- Le terrain exproprié était contaminé le 13 novembre 2009;
- La partie expropriée en était informée et ne s'est pas occupée de procéder à la décontamination;
- La meilleure preuve est à l'effet que la contamination provient du terrain voisin, le 1595, chemin Gascon;
- Tant la politique que la réglementation exigeaient la décontamination pour que le terrain puisse être utilisé à des fins commerciales en conformité avec l'UMEPP identifié et utilisé dans la recherche des ventes de terrains comparables;
- L'indication de valeur tirée du marché de terrains non contaminés est de 434 940 $;
- Les coûts de décontamination sont de 203 652,49 $.
[97] Pour indemniser la partie expropriée comme la loi l'exige, soit en établissant une indemnité principale qui ne l'enrichit ni ne l'appauvrit, il faut donc déduire les coûts de décontamination de la valeur du terrain considéré non contaminé.
3.4 Chambly (Ville) c Pierre Vollering[33] (l'UMEPP différent de l'usage exercé antérieurement)
Dans cette décision récente de 2018, le Tribunal devait se prononcer sur l'indemnité devant être versée en raison d'une expropriation aux fins d'ériger un parc commémoratif en l'honneur des vétérans de l'Armée canadienne. Il appert de la preuve que l'immeuble visé par les procédures d'expropriation est contaminé par la présence d'hydrocarbures. Cette contamination date de plusieurs années et provient de l'exploitation d'une station-service par une compagnie pétrolière avant qu'elle vende son terrain à un tiers qui l'a revendu à la partie expropriée. Le terrain est présentement inutilisé, à l'état de terrain vague.
Le Tribunal, dans le cadre de son analyse, détermine que l'UMEPP pour le terrain exproprié est principalement résidentiel, avec une forte probabilité de mixité avec un usage commercial.
Sur la base de la jurisprudence existante en la matière, le Tribunal en arrive à la conclusion que les coûts de décontamination du terrain doivent être déduits de l'indemnité devant être versée à la partie expropriée par la partie expropriante, puisqu'en vertu de l'UMEPP qu'il a déterminé, la décontamination est inévitable :
[71] Or, dans le présent cas, le Tribunal observe que, à la date d'évaluation, le terrain exproprié est un simple terrain vague sur lequel ne se déroule aucune activité. Comment interrompre une activité qui ne s'y déroule pas? La réponse va de soi et il est évident que l'expropriation ne peut l'interrompre. L'activité ayant engendré la contamination a cessé il y a plusieurs années lorsque la compagnie pétrolière a mis fin aux activités de la station-service exploitée sur le site ultérieurement acquis par l'exproprié.
[72] La situation en l'espèce est assimilable à celle rencontrée dans l'affaire Ville de Terrebonne[55] parce que l'obligation de décontaminer le terrain à la date d'évaluation est existante en fonction d'un UMEPP résidentiel déterminé par le Tribunal pour lui conférer le meilleur usage selon lequel il est évalué et lui conférer la plus haute valeur justifiable. Également, comme dans le présent cas, durant plusieurs années, il y a abandon d'usage impliquant une obligation légale de décontamination.
[…]
[75] Certes, selon M. Robert Murray, expert en décontamination mandaté par l'exproprié, l'obligation de décontamination s'impose lorsque cesse ou change un usage. Or, l'exproprié n'a jamais changé l'usage de son terrain (terrain vague) jusqu'à ce qu'il soit exproprié. Cependant, cela ne peut constituer un argument dans l'optique du Tribunal d'allouer, à la date d'évaluation, un UMEPP supérieur à celui d'un terrain vague en attente de développement tel qu'il était à ce moment. Pour atteindre cette meilleure valeur dans le cadre d'une recherche de valeur au propriétaire pour le terrain exproprié, ce dernier doit inévitablement être décontaminé. Pour le propriétaire, cela doit être considéré comme une dépense différée inévitable en vue d'obtenir le rendement maximal de son investissement immobilier.
[76] Les coûts de décontamination sont incontournables et, en conséquence, ils doivent être déduits de l'indemnité immobilière.
Fait intéressant à mentionner, le Tribunal a accordé à la partie expropriée une partie des coûts de décontamination à encourir par cette dernière en lien avec la décontamination des sols situés sous un chemin d'accès devant permettre le développement du résidu du terrain exproprié. Ce chemin devait initialement être situé sur le terrain exproprié, toutefois suite aux procédures d'expropriation, la partie expropriée a été dans l'obligation de le localiser sur le résidu.
De l'accord des deux parties et du Tribunal, l'UMEPP a accorder à ce résidu était résidentiel.
Dans sa décision, le Tribunal mentionne que n'eût été des procédures d'expropriation, la partie expropriée n'aurait pas eu à encourir des coûts aussi élevés, afin de décontaminer les sols situés sous ce chemin selon les normes résidentielles.
Les éléments marquants de la jurisprudence
De l'ensemble de la jurisprudence analysée dans la section précédente, les auteurs de présent article retiennent les principes suivants :
- La question de savoir qui, de la partie expropriante ou la partie exproprié, doit assumer les coûts relatifs à la décontamination de l'immeuble est fonction de l'UMEPP.
- Les coûts relatifs à la réhabilitation des sols contaminés sont à la charge de la partie expropriante si la partie expropriée pouvait poursuivre l'utilisation de son immeuble malgré la présence de sols contaminés.
- Dans l'éventualité où les activités exercées ou projetées par le propriétaire ne pouvaient se poursuivre sans procéder à la décontamination des sols, les coûts y afférents seront déduits de l'indemnité à être versée par la partie expropriante à la partie expropriée.
- La détermination préalable de l'UMEPP doit refléter la valeur au propriétaire et non à l'expropriante. Par conséquent, l'usage que l'expropriante entend faire de l'immeuble n'est pas pertinent aux fins de déterminer qui devra assumer les coûts relatifs à la décontamination de l'immeuble exproprié.
- Le fait que l'activité exercée sur l'immeuble exproprié ne soit pas conforme au règlement de zonage ou soit exercée en vertu de droits acquis n'emporte pas la conséquence que cette activité ne puisse être retenue comme UMEPP aux fins de déterminer qui devra assumer les coûts relatifs à la décontamination des sols. Les tribunaux reconnaissent que la procédure d'expropriation est une procédure exceptionnelle qui place la partie expropriée dans une situation dérogeant du cours normal des activités de la partie expropriée.
- Le caractère vacant d'un terrain ne peut être assimilé à la cessation d'un usage au sens de la LQE.
Cas particuliers
La contamination du résidu : l'affaire PAMN
Dans la décision Pièces d'autos de Montréal-Nord inc.[34], les tribunaux ont eu spécifiquement à se prononcer sur le traitement à accorder à des lots adjacents à un terrain exproprié, lorsqu'une activité était opérée sur l'ensemble de ces lots et que l'expropriation ne vise pas l'ensemble de ces lots.
Les procédures d'expropriation avaient été intentées par le ministre des Transports du Québec (MTQ), pour le compte de l'Agence métropolitaine de transport (AMT). Un avis d'expropriation avait été transmis à la partie expropriée le 29 septembre 2009 en vue de construire une gare. L'immeuble exproprié était constitué d'un terrain et d'un bâtiment, ce dernier étant loué et occupé par un locataire exploitant un commerce de pièces d'automobiles (Pièces d'Autos de Montréal-Nord inc. (PAMN)). PAMN utilisait le terrain pour le démantèlement d'automobiles, la vente de pièces et l'entreposage de carcasses en vue de s'en défaire pour la valeur du métal. PAMN possédait également quatre lots directement adjacents sur lesquels elle exploitait une entreprise, lesquels n'ont pas été expropriés. L'immeuble exproprié était loué en vertu d'un bail jusqu'au 31 décembre 2019.
Selon PAMN, la partie expropriante devait l'indemniser pour la décontamination de l'ensemble de ses terrains, incluant ceux ne faisant pas l'objet de procédures d'expropriation, puisqu'elle devait cesser définitivement ses activités en raison de l'expropriation et changer l'utilisation qu'elle faisait de ses terrains.
Dans le cadre de la fixation de l'indemnité principale, et sur la base de l'UMEPP applicable, le Tribunal a décidé de ne pas déduire les coûts de décontamination de l'indemnité à être versée à la partie expropriée, puisque cette dernière aurait pu poursuivre l'utilisation de ce terrain n'eût-été les procédures d'expropriation, et ce, malgré la présence de contamination :
[293] Nous nous retrouvons donc face à une expropriation qui vient non seulement préciser, mais provoquer ce moment en fermant définitivement l'entreprise. L'obligation de décontaminer, de possible, probable ou éventuelle qu'elle était, devient donc réelle.
[294] En raison de l'expropriation qui en est la cause directe, PAMN ne peut plus utiliser ses terrains à moins de les décontaminer. Ce qui est déterminant et spécifique à ces terrains, c'est qu'il est quasi impossible à la date de l'expropriation de trouver un site où la réglementation municipale permet un usage de cours de recyclage de véhicules automobiles. La preuve en est faite dans le dossier de M. Korzinstone, versée dans le dossier de PAMN. Les nouvelles cours de recyclage ne sont plus bienvenues sur l'île de Montréal, ce qui crée une rareté. Il est reconnu qu'une telle situation influence la valeur à la hausse.
[…]
[304] Avant l'expropriation, les terrains sont utilisés à des fins commerciales ou industrielles, après, ils sont vacants sans possibilité d'être utilisés. Les coûts que PAMN devra supporter à titre de propriétaire, taxation, assurances et autres, ne sont pas en preuve, mais ils sont réels. La valeur qu'ils auraient même après décontamination risque fort d'être moindre car l'usage permis ne sera pas aussi exclusif que celui d'une cour de recyclage de véhicules automobiles, d'où une concurrence résultant d'une moins grande rareté, ce qui influence la valeur à la baisse.
[305] L'AMT cite ou réfère à divers jugements et à la doctrine[75]. Elle en déduit ce qui suit : les coûts de réhabilitation d'un terrain dont la contamination prive la partie expropriée d'en faire le meilleur usage, doivent être déduits de l'indication de valeur obtenue sur le marché de terrains qui n'en souffre pas et donc de l'indemnité. Cette constatation n'est pas nouvelle pour le Tribunal qui partage cette opinion.
[306] Toutefois, tel n'est pas le cas ici. Nous sommes en présence d'un propriétaire, PAMN, qu'on empêche de continuer à tirer profit de ses terrains en expropriant son entreprise, différence importante. La deuxième et non la moindre, il s'agit de terrains qui tout regroupés qu'ils soient, bénéficient grandement d'une valeur attribuable à leur utilisation, à leur UMEPP, pour laquelle il existe une très grande rareté.
[…]
[309] En somme, quand un exproprié peut poursuivre l'utilisation de son terrain malgré la contamination, on ne soustrait pas de coûts de décontamination pour fixer l'indemnité, on lui accorde la pleine valeur de son terrain. Dans la même veine, quand, comme c'est le cas ici, l'expropriation le prive d'en tirer profit comme il le faisait malgré la contamination, il ne doit être pénalisé.
[310] Cette somme d'argent prend en considération le fait qu'au moment de l'expropriation, les terrains de PAMN contribuaient à produire le revenu d'entreprise tout comme l'inventaire, les améliorations locatives, le bâtiment et le terrain de M. Korzinstone tout pollués qu'ils étaient. Elle prend aussi en considération le fait qu'un terrain, même pollué, qui a des caractéristiques positives en terme de situation géographique, de superficie, etc. et surtout d'UMEPP tels les terrains de PAMN, conserve un potentiel qui justifie une valeur élevée. Le fait que M. Korzinstone tirait profit d'un tel terrain en est une illustration. Le fait que l'AMT accepte de l'indemniser sur la base d'un terrain non contaminé en est une confirmation.
[311] Il est aussi logique que les parties affectées par une même expropriation quant aux revenus leur provenant d'un immeuble, soient traitées selon les mêmes principes appliqués de la même façon. Le simple fait que dans un cas, la partie soit dépossédée de son terrain et que dans l'autre, on décide de ne pas l'en déposséder malgré qu'elle l'ait même demandé, mais qu'on l'empêche de l'utiliser ne justifie pas d'agir différemment eu égard à la décontamination. L'AMT ne peut pas décemment alléguer l'enrichissement de PAMN à ce propos parce qu'elle avait le choix d'exproprier les terrains ou de n'exproprier que l'entreprise c'est cette dernière façon d'agir qu'elle a choisi avec les conséquences que cela entraine au plan de la décontamination.
[312] Le montant de 1 183 390 $ pour les coûts de réhabilitation ou décontamination est donc inclus dans l'indemnité. Précisons pour plus de clarté que ce n'est pas parce que les lots de PAMN deviennent vacants par l'expropriation mais parce que la cessation définitive de l'utilisation causée directement par l'expropriation contraint à dépolluer pour utiliser ces lots à quelque fin que ce soit.
Cette décision a été portée en appel par la partie expropriante devant la Cour du Québec, notamment en ce qui concerne les coûts de décontamination des sols accordés par le Tribunal. Plus précisément, les questions suivantes ont fait l'objet d'une analyse par la Cour :
Indemnité pour décontamination des sols
Doit-on considérer les coûts de décontamination du terrain dont PAMN reste propriétaire ?
Est-il justifié d'accorder une indemnité pour la décontamination des sols puisque cette situation est le résultat des activités de PAMN dont elle est seule à avoir retiré profit ?
Est-il justifié d'octroyer à PAMN à titre d'indemnité l'ensemble des coûts de décontamination de ses terrains si cette dépense n'est que devancée par l'expropriation ou si elle dépasse leur valeur?
[…]
Aux deux premières questions, la Cour répond que le raisonnement du TAQ à l'effet que les coûts de décontamination du terrain dont PAMN demeure propriétaire doivent être considérés dans la fixation de l'indemnité constituait une issue raisonnable.
[141] Ainsi, selon le TAQ, un locataire doit être mis dans la même position qu'un propriétaire, avec les adaptations requises, lorsqu'une expropriation cause un dommage à une personne. Dans la présente cause, il a été convenu entre les parties que la cessation des activités économiques de PAMN sur ses lots est une conséquence directe de l'expropriation, bien que cette dernière ne soit pas propriétaire exproprié [74].
[142] La preuve a aussi été faite que PAMN ne pouvait se relocaliser ailleurs. Elle restait donc, à la fin de l'opération, avec des lots non expropriés et ne pouvant faire l'objet d'un recours en expropriation totale en vertu de l'article 65 de la L.E. (vu son statut légal), comme l'a conclu le TAQ dans la décision du 9 décembre 2011.
[143] Vu la cessation des activités de l'entreprise, PAMN aurait été contrainte de décontaminer et aurait dû assumer les frais de décontamination, dont le coût et la méthode ont fait l'objet d'une entente entre les parties.
En ce qui concerne la troisième question, la Cour conclut encore une fois qu'il n'y a pas lieu d'intervenir quant à la décision du Tribunal :
[149] N'eut été de l'expropriation, PAMN aurait pu continuer d'exploiter son entreprise pendant une période indéfinie et aurait même pu vendre celle-ci ainsi que ses lots, et être utilisés de façon complémentaire au commerce établi sur le terrain de Korzinstone. De cette manière, les quatre lots de PAMN, même pollués, auraient eu une valeur correspondant à celle du marché, sans égard à sa contamination.
[150] Après l'expropriation et vu que ces quatre lots ne possèdent pas une superficie suffisante pour exploiter une telle entreprise, PAMN ne pouvait absolument rien faire avec ces lots et aurait dû les décontaminer avant de les vendre à un tiers pour qu'il en fasse un autre usage.
[151] L'appelant plaide également que le TAQ aurait dû retenir les principes élaborés par la Cour d'appel dans l'affaire Texaco [75], dans laquelle la Cour d'appel indique qu'un acheteur tiendra compte de l'état contaminé d'un terrain et de l'applicabilité immédiate de la L.Q.E.
[152] L'appelant a référé également à d'autres jugements devant le TAQ pour supporter sa prétention que les coûts de réhabilitation d'un terrain doivent être déduits de l'indication de valeur obtenue sur le marché de terrains, qui n'en souffre pas. Le TAQ s'éloigne de ces décisions de la façon suivante :
« [306] Toutefois, tel n'est pas le cas ici. Nous sommes en présence d'un propriétaire, PAMN, qu'on empêche de continuer à tirer profit de ses terrains en expropriant son entreprise, différence importante. La deuxième et non la moindre, il s'agit de terrains qui tout regroupés qu'ils soient, bénéficient grandement d'une valeur attribuable à leur utilisation, à leur UMEPP, pour laquelle il existe une très grande rareté. »
[153] Ajoutons que l'arrêt Texaco a été rendu en matière d'évaluation foncière comportant des différences notables, entre autres le fait qu'en matière d'évaluation foncière, on recherche la valeur marchande alors qu'en matière d'expropriation, c'est la valeur à l'exproprié qui doit primer.
[154] Cette référence à la cause Texaco en matière d'expropriation fut rejetée par le TAQ dans une autre affaire [76].
[155] Généralement, le soussigné partage les arguments de PAMN résumés aux paragraphes 105 et 106 du présent jugement à l'effet que le régime juridique applicable au droit de l'environnement dicte la conclusion que la cessation des activités de PAMN constitue dans ce cas le seul élément déclencheur de l'obligation de réhabiliter les lots et que la seule cause de cette cessation des activités réside en l'expropriation provoquée par l'AMT.
[156] C'est ce genre de situation qu'a voulu couvrir le TAQ et il faut, encore une fois, conclure que la décision du TAQ à cet égard constitue une issue rationnelle entreprise dans sa sphère de compétence spécialisée et qu'il n'y a donc pas lieu d'intervenir à cet égard.
Par conséquent, le traitement du résidu d'un terrain exproprié pourra faire partie des considérations devant être prises en compte par le Tribunal, lorsqu'il est établi que le résidu et le terrain exproprié forment un tout cohérent et que les procédures d'expropriation ont un impact direct sur ce résidu.
En ce sens, cette affaire rappelle l'affaire Ste-Catherine-de-la-Jacques-Cartier (Municipalité de) c. Martel [35], où le Tribunal mentionnait ce qui suit :
L'UTILISATION OPTIMALE
[9] Préalablement à la fixation de l'indemnité immobilière pour l'assiette du terrain exproprié et de l'indemnité accessoire pour les dommages susceptibles d'en affecter le résidu, il importe de rechercher l'usage le meilleur et le plus profitable du terrain en cause pour ensuite décider de la méthode d'évaluation la plus appropriée compte tenu de la nature de ce terrain. Cette recherche suppose au départ que l'évaluation du terrain des Martel se fasse comme s'il s'agissait d'une seule entité, c'est à dire avant distraction des parcelles expropriées. Bref, afin d'examiner l'usage le meilleur et le plus profitable du terrain des expropriés, il est impératif d'en connaître l'étendue. Pour ce faire, il importe que les parcelles expropriées soient considérées conjointement avec le terrain résiduel, y compris les lots 346 P et 347 P, dont le développement peut être étroitement tributaire des autres lots des expropriés.
[10] En effet, il va de soi qu'envisager la conception de l'utilisation optimale de l'emplacement des cousins Martel présuppose que toutes les caractéristiques de leur terrain soient préalablement connues et identifiées. […]
Les terrains vacants[36]
En matière d'expropriation, il n'est pas rare que l'immeuble visé par une telle procédure d'acquisition soit vacant au moment de la transmission de l'avis d'expropriation par la partie expropriante. Il peut s'agir d'immeubles acquis dans le but d'être développés ultérieurement ou revendus à des fins de développement. Dans d'autres cas, il s'agira d'une parcelle de terrain demeurée non développée par son propriétaire. Il peut également s'agir d'un terrain acquis sans qu'un réel projet n'ait encore été déterminé par son propriétaire.
Dans tous les cas, le caractère vacant d'un terrain ne constitue pas un usage comme tel. Dans l'affaire Châteauguay c. Investissements Fard Ltée, la partie expropriante prétendait que le seul fait que les activités avaient cessé sur le terrain constituait un changement d'usage engendrant par le fait même l'obligation pour le propriétaire de décontaminer suivant l'article 31.53 de la LQE. Or, la preuve révélait que le propriétaire aurait pu poursuivre les activités antérieurement exercées sur le terrain sans procéder à une décontamination de celui-ci. En ce qui concerne les prétentions de la partie expropriante, le Tribunal s'exprime ainsi :
[100] La prémisse qui veut que passer de vacant à occupé, sans cadre de référence, soit synonyme de changement d'usage ne peut être retenue. Le terme «vacant» en immobilier se réfère à la non-utilisation d'un ou d'une partie d'un immeuble. Il s'agit d'un état transitoire dont la présence et l'amplitude sont sujettes à la perpétuelle mouvance du marché immobilier. Ce n'est pas une finalité en soi pour un immeuble de demeurer vacant[37].
Ainsi, en raison de son état transitoire, le fait qu'un terrain soit vacant ne suffit pas à lui seul pour conclure à un changement d'usage au sens de la LQE. Par conséquent, l'obligation de décontaminer un terrain n'est pas déclenchée par ce simple état de fait.
Le processus d'analyse permettant de déterminer qui devra assumer les coûts relatifs à la décontamination d'un terrain vacant demeure donc le même que celui adopté pour un terrain « occupé » au moment des procédures d'expropriation.
Dans le cadre de telles procédures, lorsque l'immeuble visé est vacant, il convient donc de déterminer ce qui constitue son usage le meilleur et le plus profitable considérant les circonstances particulières qui lui sont propres. Cela étant dit, son caractère vacant n'aura pas en soi d'impact direct dans le cadre de la détermination de celui qui devra assumer les coûts de décontamination du terrain, contrairement aux prétentions de la partie expropriante dans l'affaire Châteauguay c. Investissements Fard Ltée.
Conclusion
En conclusion, la question de la détermination de la responsabilité quant aux coûts de réhabilitation d'un terrain contaminé dans le cadre de procédures d'expropriation en est une factuelle, devant faire l'objet d'une analyse au cas par cas.
En quelques mots :
- Les coûts relatifs à la réhabilitation des sols contaminés seront à la charge de la partie expropriante si la partie expropriée pouvait poursuivre l'utilisation de son immeuble malgré la présence de sols contaminés, et n'eût été de l'existence des procédures d'expropriation.
- Dans l'éventualité où les activités exercées ou projetées par le propriétaire ne pouvaient se poursuivre sans procéder à la décontamination des sols, les coûts y afférents seront déduits de l'indemnité à être versée par la partie expropriante à la partie expropriée.
Nous espérons que ce texte permettra au lecteur de mieux comprendre quelles sont les balises qui guideront un tribunal lors d'un tel exercice d'allocation de coûts.
[1] Robitaille c. R., [1950] B.R. 610, 614-615.
[2] Ville de Châteauguay c. Investissement Fard Ltée, 2005 CanLII 69258, par. 11 (QC T.A.Q.); voir aussi Municipalité de Saint-Jean-de-Matha c. Landreville, [2000], T.A.Q. 1327, par. 23-24.
[3] Rouyn-Noranda (Ville de) c. Motel Colibri (Rouyn) inc., 2010 QCTAQ 0451, par. 76. Voir également : Québec (Régie de l'assurance maladie) c. Pierre Carignan, 2012 QCTAQ 06539, par. 66.; Saint-Anselme (Municipalité) c. Bédard, 2006 CanLII 71978, par. 105 et 106.
[4] Jacques FORGUES et autres, Loi sur l'expropriation annotée, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, art. 58/344, p. 254.
[5] Id, p. 241.
[6] Ville de Châteauguay c. Investissement Fard Ltée, préc., note 1.
[7] Montréal (Ville de) c. Benjamin, J.E. 2005-31 (C.A.), par. 79; voir également
Saint-Eustache (Ville) c. Lorrain, par. 25; Laval (Ville) c. Szerszenowicsz, par. 67; Québec (Procureur général) c. L.A. Hébert Ltée, par. 34.
[8] Jacques FORGUES, préc., note 5, p. 241.
[9] Jacques FORGUES, préc., note 5, p. 240.
[10] Id, p. 241.
[11] Normes de pratique professionnelle de l'Ordre des évaluateurs agréés du Québec, p. 11.
[12] R.T.C.R.T. c. Dell Holdings, [1977] 1 R.C.S. 32, 54, par. 38.
[13] Montréal (Ville de) c. 150460 Canada inc., 2008 QCCA 1807.
[14] L'article 66 de la LE est au même effet, mais s'applique aux locataires.
[15] Société québécoise d'assainissement des eaux c. Bissonnette, 2000 CanLII 40745 (QC T.A.Q.), par. 57.
[16] Montréal (Ville de) c. 150460 Canada inc., préc., note 14.
[17] Le Guide a succédé à la Politique de protection des sols et de réhabilitation des terrains contaminés quant à ses éléments techniques, depuis le 19 juillet 2016.
[18] Article 31.50.1 de la LQE.
[19] Articles 22 alinéa 1 paragraphe 9 et 65 et suivants de la LQE.
[20] Société Québécoise d'assainissement des eaux c. Bouchard, [1998] no AZ-98031073 (C.Q.); voir aussi Blainville (ville de) c. Chouinard, [2003] no AZ-50199720 (T.A.Q.).
[21] Voir notamment Montréal c. Brissette, 2002 CanLII 55716 (QC T.A.Q.).
[22] Id.
[23] Société Québécoise d'assainissement des eaux c. Bouchard, préc., note 21.
[24] Préc., note 21.
[25] 2004 CanLII 60229 (QC T.A.Q.).
[26] [2005] T.A.Q. 524.
[27] 2014 QCTAQ 06178.
[28] 2014 QCTAQ 08306 (première instance - TAQ), 2016 QCCQ 10040 (appel - Cour du Québec), 2017 QCCS 4832 (pourvoi en contrôle judiciaire - Cour Supérieure), 2017 QCCA 1974 (appel - Cour d'appel).
[29] 2014 QCTAQ 09955.
[30] [1993] no AZ-93031308 (C.Q.).
[31] 2013 CanLII 71485 (QC T.A.Q.); 2014 QCCQ 5119 (requête pour permission d'en appeler rejetée), requête en révision judiciaire en cours dans le dossier 500-17-082797-146.
[32] 2014 CanLII 24929 (QC T.A.Q.).
[33] 2018 CanLII 2853 (QC TAQ).
[34] Québec (Procureur général) (Ministre des Transports) c. Pièces d'autos de Montréal-Nord inc. (T.A.Q., 2012-12-07), 2012 QCTAQ 1225, SOQUIJ AZ-50922937 (première instance); Québec (Procureur général) c. Pièces d'autos de Montréal-Nord inc. (C.Q., 2015-01-12), 2015 QCCQ 319 (appel accueilli en partie).
[35] [1999] T.A.Q. 761.
[36] Pour des exemples où l'immeuble visé par l'expropriation était vacant, voir : Gatineau (ville de) c. Douvilar, préc. note 26; Châteauguay c. Investissement Fard Ltée, préc. note 27, PGQ c. Gadbois, préc. note 30; Chambly (Ville) c. Pierre Vollering, préc. note 34.
[37] Châteauguay c. Investissement Fard Ltée, préc., note 27.