Le gouvernement fédéral a récemment présenté, pour une seconde fois[1], le projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir)[2](le « projet de loi C-7 »), lequel modifiera certaines dispositions du Code criminel concernant l’aide médicale à mourir (l’« AMM ») s’il est adopté. Certaines des modifications proposées dans le projet de loi C-7 sont en lien direct avec la décision de la Cour supérieure du Québec dans Truchon c. Procureur général du Canada (« Truchon »)[3], où le tribunal a statué qu’une personne ne devrait pas se voir refuser l’AMM en raison du fait que sa mort n’est pas raisonnablement prévisible. L’objectif du présent bulletin est de fournir un bref historique de l’aide médicale à mourir au Canada et de présenter certains des éléments clés du projet de loi C-7.
Bref historique de l’AMM au Canada
En février 2015, la Cour suprême du Canada a établi dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureur général) que les dispositions du Code criminel[4] interdisant l’AMM devraient être modifiées afin qu’elles soient conformes à la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). La Cour suprême du Canada avait alors donné au gouvernement fédéral jusqu’au 6 juin 2016 pour adopter de nouvelles lois relatives à l’AMM. Le gouvernement fédéral a répondu à l’appel et, en juin 2016, une loi est entrée en vigueur qui permet aux Canadiens de demander l’AMM s’ils répondent à certains critères. Les dispositions qui encadrent l’aide médicale à mourir sont contenues dans le Code criminel.
Pour être admissible à l’AMM en vertu du Code criminel, la personne doit satisfaire les cinq critères suivants (ensemble, les « critères d’admissibilité ») :
- elle est admissible à des soins de santé financés par le gouvernement du Canada[5];
- elle est âgée d’au moins dix-huit ans et est capable de prendre des décisions en ce qui concerne sa santé;
- elle est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (dont le critère est détaillé ci-dessous);
- elle a fait une demande d’aide médicale à mourir de manière volontaire, sans pressions ni influence extérieures;
- elle consent de manière éclairée à recevoir l’aide médicale à mourir après avoir été informée des moyens disponibles pour soulager ses souffrances, notamment les soins palliatifs[6].
Selon la loi actuelle, pour qu’une personne soit considérée comme affectée de « problèmes de santé graves et irrémédiables », elle doit se conformer à tous les critères suivants :
- elle est atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables;
- sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités;
- sa maladie, son affection, son handicap ou le déclin avancé et irréversible de ses capacités lui cause des souffrances physiques ou psychologiques persistantes qui lui sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge acceptables;
- sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible (le « critère fédéral de mort naturelle raisonnablement prévisible ») compte tenu de l’ensemble de sa situation médicale, sans pour autant qu’un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie[7].
Les personnes qui font une demande d’AMM doivent également se conformer à certaines mesures de sauvegarde. Avant de prodiguer l’AMM, le médecin ou l’infirmier clinicien[8] doit :
- être d’avis que la personne qui a fait la demande d’aide médicale à mourir remplit tous les critères d’admissibilité;
- s’assurer que la demande :
- a été faite par écrit et que celle-ci a été datée et signée par la personne qui demande l’aide médicale à mourir, ou si la personne est incapable de dater et de signer la demande, un tiers qui est âgé d’au moins dix-huit ans, qui comprend la nature de la demande d’aide médicale à mourir et qui ne recevra aucun intérêt pécuniaire connu de la mort de la personne;
- a été datée et signée après que la personne a été avisée par un médecin ou un infirmier clinicien qu’elle est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (tels que définis plus haut);
- être convaincu que la demande a été datée et signée devant deux témoins indépendants, qui l’ont datée et signée à leur tour;
- s’assurer que la personne a été informée qu’elle pouvait, en tout temps et par tout moyen, retirer sa demande;
- s’assurer qu’un avis écrit d’un autre médecin ou infirmier clinicien (selon le cas) confirmant le respect de tous les critères d’admissibilité a été obtenu;
- être convaincu que lui et l’autre médecin ou infirmier clinicien (selon le cas) sont indépendants;
- s’assurer qu’au moins dix jours francs se sont écoulés entre le jour où la demande a été signée par la personne ou en son nom et celui où l’AMM est prodiguée, ou, si lui-même et le médecin ou l’infirmier clinicien jugent que la mort de la personne ou la perte de sa capacité à fournir un consentement éclairé est imminente, une période plus courte qu’il juge indiquée dans les circonstances;
- immédiatement avant de prodiguer l’AMM, donner à la personne la possibilité de retirer sa demande et s’assurer qu’elle consent expressément à recevoir l’aide médicale à mourir; et
- si la personne éprouve de la difficulté à communiquer, prendre les mesures nécessaires pour lui fournir un moyen de communication fiable afin qu’elle puisse comprendre les renseignements qui lui sont fournis et faire connaître sa décision [9].
Les provinces et les territoires ont l’autorité d’adopter leurs propres réglementations pour faciliter le recours aux dispositions de l’AMM sur leur territoire, en autant que ces réglementations : (a) soient dans le champ de compétence de la province ou du territoire (selon le cas); et (b) ne soient pas contraire aux dispositions applicables du Code criminel[10].
L’affaire Truchon
Dans l’affaire de Truchon, les demandeurs contestaient la constitutionnalité des exigences suivantes :
- le critère fédéral de mort naturelle devenue raisonnablement prévisible; et
- l’exigence du paragraphe 26(1)(3) de la Loi concernant les soins de fin de vie du Québec (la « Loi québécoise sur les soins de fin de vie ») [11] , au titre duquel une personne doit être « en fin de vie » pour pouvoir recevoir l’AMM (le « critère québécois de fin de vie »)[12].
Les deux demandeurs souffraient de maladies physiquement invalidantes et répondaient à tous les critères d’admissibilité de l’AMM au Québec à l’exception du fait que leur mort n’était pas raisonnablement prévisible[13]. Ils soutenaient que le critère fédéral de mort naturelle devenue raisonnablement prévisible et le critère québécois de fin de vie :
- violaient leurs droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne, ainsi que leur droit à l’égalité, qui sont garantis par les articles 7 et 15 de la Charte; et
- contrevenait aux principes établis dans l’arrêt Carter, ce qui avait pour conséquence de leur retirer leur droit à l’AMM[14].
En réponse aux arguments des demandeurs, le Procureur général du Canada faisait valoir que de permettre l’aide médicale à mourir seulement aux personnes dont la mort était raisonnablement prévisible « établit un équilibre raisonnable et approprié entre, d’une part, l’autonomie des personnes qui demandent cette aide et, d’autre part, les intérêts de la société et des personnes qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité[15] ».
Dans sa décision publiée en septembre 2019, la Cour supérieure du Québec a statué que :
- le critère fédéral de mort raisonnablement prévisible portait atteinte aux droits prévus à l’article 7 de la Charte parce qu’il était contraire aux principes de justice fondamentale et qu’il ne pouvait pas être justifié en regard de l’article 1 de la Charte;
- le critère fédéral de mort raisonnablement prévisible et le critère québécois de fin de vie contrevenaient à l’article 15 de la Charte et ne pouvaient pas être justifiés en regard de l’article 1 de la Charte;
- par conséquent, le critère fédéral de mort raisonnablement prévisible et le critère québécois de fin de vie étaient inconstitutionnels et sans force exécutoire.
Le tribunal a suspendu la déclaration d’invalidité du critère fédéral de mort raisonnablement prévisible et du critère québécois de fin de vie pour une durée de six mois afin de permettre aux législateurs de modifier la loi en conséquence[16].
Modifications proposées dans le projet de loi C-7
En réponse à l’affaire Truchon, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-7 en février 2020. Cependant, en raison de la pandémie de COVID-19, le projet de loi C-7 n’a pas pu être adopté avant la prorogation du Parlement en août[17]. Le gouvernement a donc récemment présenté à nouveau les modifications législatives dans le projet de loi C-7, étant donné que le moratoire sur la décision Truchon vient à échéance le 18 décembre 2020[18]. En date de la rédaction du présent bulletin, le projet de loi C-7 est passé en troisième lecture à la Chambre des communes et en première lecture au Sénat.
S’il est adopté, le projet de loi C-7 modifiera les critères d’admissibilité et les mesures de sauvegarde permettant d’obtenir l’AMM en vertu du Code criminel. Il supprimera également l’exigence d’obtenir le consentement final dans certaines circonstances précises et permettra plutôt à certaines personnes de fournir un consentement préalable.
i. Critères d’admissibilité
Deux modifications seront faites aux critères d’admissibilité actuels. En premier lieu, le critère fédéral de mort raisonnablement prévisible sera abrogé[19], ce qui rendra l’AMM admissible à un plus grand nombre de personnes. Toutefois, bien qu'il ne soit plus nécessaire que la mort naturelle d'un individu soit raisonnablement prévisible pour que celle-ci soit éligible à l’AMM, le projet de loi C-7 exclut sans équivoque le recours à l’AMM lorsque la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée. Plus précisément, l’un des critères d’admissibilité est que la personne souffre de « problèmes de santé graves et irrémédiables ». Le projet de loi C-7 mentionne expressément que la maladie mentale « n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap » [20] grave et irrémédiable.
ii. Mesures de sauvegarde
Le projet de loi C-7 créera par la même occasion deux catégories de mesures de sauvegarde pour les personnes qui demandent l’AMM : les premières mesures pour les personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et les dernières pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible.
Si la mort naturelle est raisonnablement prévisible
Pour les personnes dont la mort est raisonnablement prévisible, les mesures de protection prévues au Code criminel – dans leur forme actuelle – continueront de s’appliquer, sous réserve des modifications suivantes[21] :
- la demande écrite de la personne qui demande l’AMM devra dorénavant être signée par un témoin indépendant, lequel peut être un professionnel de la santé, plutôt que deux;
- l’exigence d’au moins dix jours francs entre le jour où la demande a été signée et le jour où l’aide médicale à mourir est prodiguée a été abrogée.
Si la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible
Les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible doivent se conformer aux mêmes exigences que celles dont la mort est raisonnablement prévisible (décrites ci-dessus) afin d’être admissibles à l’AMM, en plus de satisfaire aux critères suivants :
- la personne doit discuter des moyens raisonnables et disponibles pour soulager ses souffrances avec le médecin ou l’infirmier clinicien et ceux-ci doivent s’accorder avec elle sur le fait qu’elle a sérieusement envisagé ces moyens;
- au moins quatre-vingt-dix jours francs se sont écoulés entre le jour de la première évaluation de son admissibilité à l’AMM et celui où la personne reçoit l’aide médicale à mourir (cette période peut être raccourcie si la personne risque entretemps de perdre sa capacité à consentir)[22].
iii. Consentement préalable
Par ailleurs, le projet de loi C-7 permet à des personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et qui ont par ailleurs rempli tous les critères d’admissibilité à l’AMM de donner leur consentement préalable, ce qui permet de renoncer au consentement final exprès (tel que requis actuellement par le Code criminel)[23] dans deux situations :
- La personne a perdu la capacité à consentir. Pour fournir un consentement préalable valide, la personne devra :
- avoir conclu une entente écrite avec le médecin ou l’infirmier clinicien[24], selon laquelle celui-ci lui administrerait à une date déterminée une substance pour causer sa mort;
- avoir été informée par le médecin ou l’infirmier clinicien du risque de perdre, avant cette date, sa capacité à consentir à recevoir l’AMM; et
- avoir consenti dans l’entente à ce que, advenant le cas où elle perdait, avant cette date, la capacité à consentir à recevoir l’aide médicale à mourir, il lui administre une substance à cette date ou à une date antérieure pour causer sa mort[25].
2. La personne perd sa capacité à consentir après s’être administré une substance qui lui a été fournie afin qu’elle cause sa mort. Pour fournir un consentement préalable valide, la personne devra avoir conclu, avant la perte de sa capacité à consentir, une entente écrite avec le médecin ou l’infirmier clinicien[26] qui prévoit que :
- le médecin ou l’infirmier clinicien sera présent au moment où elle s’administrerait la substance; et
- advenant le cas où, après s’être administré la substance, elle ne meurt pas dans une période déterminée et perd à ce moment la capacité à consentir, le praticien lui administrera une substance pour causer sa mort[27].
Cependant, le consentement préalable peut être invalidé si la personne manifeste, par des paroles, des sons ou des gestes, qu’elle ne souhaite plus recevoir l’AMM[28].
Nous continuerons à suivre l’évolution du projet de loi C-7.
[1] Comme détaillé plus bas dans la rubrique « Nouvelles modifications », ces changements sont les mêmes que ceux proposés dans le projet de loi C-7 lors de la session parlementaire précédente.
[2] Projet de loi C-7, première lecture, 5 octobre 2020. ( le « projet de loi C-7 »)
[5] Ou serait admissible pendant le délai de résidence minimal ou pendant la période de carence précédant l’admissibilité. En règle générale, les visiteurs au Canada ne sont pas admissibles à l’AMM.
[6] Code criminel, supra note 4, article 241.2(1).
[7] Code criminel, supra note 4, article 241.2(2).
[8] Les politiques et les procédures liées à la prestation de l’AMM sont différentes d’une province et d’un territoire à l’autre. Par exemple, en Ontario, les médecins et les infirmiers cliniciens peuvent fournir des services d’AMM alors qu’au Québec, seul un médecin est habilité à prodiguer ces services.
[9] Code criminel, supra note 4, article 241.2(3).
[10] Par exemple, en Ontario, la Loi de 2017 modifiant des lois en ce qui concerne l’aide médicale à mourir, L.O. 2017, chap. 7 – Projet de loi 84 a été adoptée dans le but de fournir davantage d’indications sur la prestation de l’AMM dans la province.
[11] R.S.Q., ch. S-32.0001.
[12] Article 26(3).
[13] Truchon, supra note 3, para 17 à 72.
[14] Truchon, supra note 3, para 6 et 7.
[15] Truchon, supra note 3, para 9.
[16] Truchon, supra note 3, paras 764 à 767.
[17] Contexte législatif : Projet de loi C-7 : Réponse législative du gouvernement du Canada à la décision Truchon de la Cour supérieure du Québec
[18] Ibid.
[19] Projet de loi C-7, supra note 2, article 1(1).
[20] Ibid., article 1(2).
[21] Ibid., articles 1(4) et 1(8).
[22] Ibid., article 1(7).
[23] Tel qu’indiqué ci-dessus, aux termes de la législation actuelle, le professionnel de la santé doit offrir à la personne la possibilité de retirer son consentement et doit s’assurer que la personne donne son consentement exprès d’obtenir l’AMM immédiatement avant l’administration de la substance.
[24] Veuillez vous référer à la note de bas de page 8 ci-dessus pour obtenir davantage de renseignements concernant les professionnels de la santé qui sont autorisés à prodiguer des services d’AMM.
[25] Ibid., article 1(7).
[26] Veuillez vous référer à la note de bas de page 8 ci-dessus pour obtenir davantage de renseignements concernant les professionnels de la santé qui sont autorisés à prodiguer des services d’AMM.
[27] Ibid.
[28] Ibid.