Dans
une décision très attendue qui aura assurément une incidence importante sur l’industrie
pharmaceutique au Canada, la juge Picard a confirmé la validité de la loi actuelle
régissant le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le « CEPMB »), mais
elle a infirmé certaines des modifications publiées en 2019. Elle a notamment
invalidé les dispositions relatives à la déclaration des rabais confidentiels
négociés avec les assureurs dans le cadre d’ententes d’inscription, mais elle a
maintenu la validité des modifications portant sur les pays de comparaison et
les facteurs économiques.
Contexte
En août 2019, le gouvernement fédéral a promulgué des modifications au Règlement
sur les médicaments brevetés qui :
- actualisent la liste des pays de référence utilisée par le CEPMB aux fins de comparaison des prix internationaux ;
- introduisent trois (3) nouveaux facteurs économiques de réglementation des prix qui reflètent la valeur d’un médicament et la capacité du Canada à payer les médicaments brevetés ; et
- exigent des titulaires de brevets qu’ils fassent rapport sur les prix et les recettes qui sont nets de tout rajustement de prix, comme des remises ou des rabais consentis directement ou indirectement à de tierces parties, y compris notamment les ententes d’inscription (collectivement, les « modifications »).
Ces modifications, qui entreront en vigueur le
1er janvier 2021, ont été contestées par l’industrie
pharmaceutique, d’abord devant la Cour fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire
et, plus récemment, devant la Cour supérieure du Québec dans le cadre d’une
contestation constitutionnelle.
Comme nous l’avions déjà mentionné, la Cour fédérale a statué que l’exigence
de production d’un rapport et l’examen des rabais consentis à des tiers étaient
hors du champ d’application de la Loi sur les brevets, mais elle
a maintenu la validité des modifications.
Le 18 décembre 2020, la juge Picard s’est prononcée sur la
contestation constitutionnelle.
En l’espèce, les demandeurs ont affirmé que le régime actuel du CEPMB
ainsi que les modifications étaient inconstitutionnels, arguant que le pouvoir
fédéral en matière de brevets ne permet pas au gouvernement fédéral de
réglementer les prix des médicaments, même s’ils sont « excessifs », sauf en
cas d’abus de brevet. Seules les législatures provinciales sont habilitées sur
le plan constitutionnel à réglementer les prix.
CONFIRMÉ
La Cour a statué que la Loi sur les brevets et le
règlement en vigueur étaient constitutionnels, indiquant que le contrôle des
prix des médicaments brevetés afin d’éviter que ceux-ci soient vendus à des
prix excessifs possède un lien logique, réel et direct avec les brevets et n’empiète
pas de manière déraisonnable sur les pouvoirs des provinces.
La Cour n’a tenu compte d’aucun élément de preuve relatif aux effets
pratiques et juridiques de la loi (y compris la manière dont le CEPMB applique
concrètement la loi) et a soutenu que seul l’objet visé par le Parlement importait.
En outre, la Cour a conclu qu’elle ne saurait intervenir sur les moyens choisis
par le Parlement afin d’atteindre un objet par ailleurs valide sur le plan constitutionnel,
ce qui constituerait une approche inédite.
Selon la Cour, le caractère véritable des modifications réside également
dans un contrôle accru du prix des médicaments brevetés, mais par le biais d’outils
supplémentaires afin de garantir des prix raisonnables, en particulier pour les
médicaments vendus à des prix très élevés.
En outre, la juge Picard a conclu que l’analyse de la constitutionnalité
des modifications se distingue de leur mise en œuvre selon des lignes
directrices non contraignantes. Elle a soutenu que dans la mesure où les
modifications peuvent être appliquées sur le plan constitutionnel afin d’éviter
des prix excessifs (en fixant des prix plafonds), plutôt que de fixer des prix
(ce qui ne serait pas acceptable), leur constitutionnalité devrait être
reconnue indépendamment de ce que peuvent prévoir les lignes directrices du
CEPMB.
Dans ce contexte, la Cour :
A MAINTENU LA VALIDITÉ des facteurs économiques
Selon la Cour, l’ajout de facteurs économiques (valeur
pharmacoéconomique, taille du marché et produit intérieur brut) semble
pertinent dans la mesure où ces éléments sont susceptibles de fournir des
indications supplémentaires visant à déterminer si les prix des médicaments
sont excessifs ou non.
A CONFIRMÉ la modification portant sur les pays
de comparaison
La Cour a estimé qu’il en était de même pour la modification de la liste
des pays de comparaison qui, selon elle, n’est pas statique et peut évoluer,
même si les modifications sont motivées uniquement par le souci de réduire les
prix.
Toutefois, dans sa décision de confirmer ces mesures, la juge Picard a
souligné qu’elles ne peuvent pas être utilisées pour fixer un prix optimal ou le
plus bas possible, car cela serait inconstitutionnel : « Si la mise en
œuvre de cette analyse [en utilisant les nouveaux facteurs] constitue une
manière détournée de faire du contrôle pur et simple de prix ou de fixer les
prix les plus bas possibles, en faisant abstraction de l’existence de prix
excessifs, celle-ci ne sera pas acceptable […] » (au par. 401)
La Cour supérieure a estimé qu’elle ne pouvait pas prendre en compte les
conséquences des modifications dans son analyse constitutionnelle, même si elle
a conclu que ces conséquences étaient « fâcheuses et inquiétantes ». La juge
Picard a toutefois suggéré qu’un contrôle judiciaire d’une décision du Conseil
du CEPMB serait le forum approprié pour contester la mise en œuvre de ces
modifications, notamment si leur utilisation allait au-delà du contrôle des
prix excessifs.
A INVALIDÉ l’obligation de déclaration relative
aux ententes d’inscription
La Cour a cependant conclu que la nouvelle exigence en matière de
déclaration des ententes d’inscription constituait une intrusion directe dans
un domaine de compétence provinciale :
[409] En effet, la compétence générale en matière de santé, y compris
les questions de coûts et d’efficacité, l’administration des hôpitaux, des
régimes provinciaux d’assurance médicaments et la régulation ou le contrôle des
prix et profits relèvent de la compétence des provinces. Celles-ci s’acquittent
de façon efficace de la négociation de prix raisonnables pour les médicaments
d’ordonnance couverts par les régimes publics (notamment au moyen d’études
pharmacoéconomiques, de la mise sur pied de l’APP et de la négociation
d’ententes d’inscription pouvant entraîner un prix de Liste réduit ou encore
des rabais et d’autres modalités particulières qui interviennent en aval, souvent
plusieurs mois ou années après la vente départ usine par le fabricant).
[…]
[420] […] la divulgation au Conseil des rabais confidentiels et les
baisses substantielles de prix qui s’ensuivraient dans le marché privé auraient
l’effet pervers de limiter l’ampleur des rabais que les régimes provinciaux d’assurance
médicaments pourraient obtenir.
En conséquence, la Cour a invalidé cette partie des modifications,
soutenant que tout effort visant à réglementer les rabais offerts serait
inapproprié. La juge Picard a conclu que ce n’était pas seulement la
communication des renseignements sur les rabais qui posait problème, mais l’idée
même de réglementer les rabais.
La Cour a ordonné que cette conclusion ait un effet immédiat en dépit
des possibilités d’appel, car elle craignait que la communication des rabais
accordés au titre des ententes d’inscription ne cause des dommages irréparables.
À la suite de cette décision ainsi que de la décision de la Cour
fédérale dans l’affaire Médicaments novateurs Canada c. Canada(Procureur général), (la « décision MNC »), deux affaires ont à présent
conclu que le CEPMB ne peut pas avoir accès aux données relatives aux ententes
d’inscription.Le gouvernement
fédéral devrait infirmer ces deux décisions avant que le CEPMB ne puisse agir
autrement.
Comme nous l’avons déjà mentionné, il semblerait que l’élimination de
l’exigence pour les titulaires de brevets de déclarer les rabais confidentiels
offerts aux tiers pourrait avoir des conséquences importantes pour le CEPMB et
les acteurs de l’industrie pharmaceutique, étant donné qu’en l’absence de ces
renseignements, il devient difficile pour le CEPMB de mettre en application un
aspect important du cadre réglementaire prévu par les modifications. Il
convient notamment de se demander comment le CEPMB peut évaluer le prix escompté
maximum (« PEM ») sans avoir accès aux rabais accordés aux tiers.
Tant les demandeurs de l’industrie que le gouvernement fédéral peuvent
en appeler de cette décision.
La décision MNC a également fait l’objet d’un appel devant la Cour
d’appel fédérale et une contestation des lignes directrices du CEPMB a été
lancée.