Alors que la pandémie de COVID-19 se poursuit partout au pays, les impacts de celle-ci continuent de se multiplier et de se faire sentir, et le milieu du louage commercial n’en sort pas indemne. L’incertitude économique amenée par la pandémie mène de nombreux locataires à éprouver des difficultés grandissantes à exécuter les obligations monétaires leur incombant aux termes de leurs baux, affectant ainsi les flux de trésorerie des propriétaires commerciaux qui demeurent confrontés à une série de frais fixes afférents à leur propriété.
Face aux difficultés économiques rencontrées en raison de la pandémie, les bailleurs et les locataires reconnaissent l’importance de bien comprendre les enjeux liés aux options de sûretés offertes aux parties en matière de baux commerciaux, tels que le dépôt de garantie, la lettre de crédit, le cautionnement ou encore l’hypothèque mobilière.
Que vous soyez bailleur ou locataire, le présent bulletin a pour but de vous aider à faire des choix judicieux quant au choix de la sûreté à privilégier.
Le dépôt de garantie
Le dépôt de garantie est une somme d’argent versée par le locataire afin de garantir les éventuelles créances du bailleur. Le dépôt est généralement fourni par le locataire à la date de commencement du bail et conservé par le bailleur pour toute la durée du bail et, le cas échéant, de ses renouvellements. Il pourra être utilisé par le bailleur lorsque les conditions prévues au bail sont remplies. Il est coutume de prévoir l’utilisation du dépôt de garantie en cas de défaut par le locataire de ses obligations aux termes du bail au-delà de la période de grâce accordée au locataire pour remédier à son défaut.[1]
Lorsque le bail le prévoit, le dépôt de garantie peut aussi être conservé suivant la fin du bail pour assurer que le locataire ait respecté ses obligations de fin de bail ou encore, le dépôt peut servir à garantir les sommes dues à titre d’indemnisation en cas de résiliation de bail.[2]
Ainsi, le dépôt de garantie est généralement l’avenue la plus facile pour obtenir paiement quand le locataire omet d’acquitter le loyer dû aux termes du bail.
Toutefois, il ressort des affaires Ocean Drive[3]et Explo Global Inc.[4] qu’en cas de faillite du locataire, il sera difficile pour le bailleur d’utiliser les sommes remises en dépôt puisque celles-ci devront être remises au syndic de faillite.[5]
Vous êtes bailleur? Vous êtes locataire? En alternative au dépôt de garantie, il est fréquent en louage commercial que le bailleur exige plutôt du locataire qu’il lui remette une lettre de crédit ou de garantie irrévocable.[6] La lettre de crédit est un engagement souscrit par l’institution financière du locataire, par lequel l’institution garantit qu’elle paiera le bailleur pour les obligations du locataire en présence des critères décrits à la lettre de crédit et sur présentation par le bailleur des documents justificatifs au soutien de sa demande. En matière de baux commerciaux, le bailleur devra notamment remettre une déclaration écrite indiquant que le locataire est en défaut de ses obligations prévues au bail. L’avantage principal de la lettre de crédit est sa rapidité d’exécution, le bailleur n’ayant pas à recourir aux procédures et préavis des recours hypothécaires. En effet, sur présentation des documents justificatifs requis, il sera difficile pour l’institution financière de refuser de payer, sauf dans les cas clairs de fraude.[7] Elle est donc régulièrement utilisée pour garantir l’exécution des obligations du locataire.[8] Vous êtes bailleur? Vous êtes locataire? Le bailleur aura parfois recours au cautionnement par un tiers pour garantir le respect des obligations du locataire. Le cautionnement peut être octroyé par une entreprise et/ou une ou plusieurs personnes physiques solvables et ayant des actifs à leurs noms. Dans le premier cas, on peut notamment penser au cautionnement d’un locataire commercial par sa société mère. Dans le second cas, le cautionnement pourrait par exemple être fourni par l’un de ses administrateurs ou actionnaires. Il est alors important de distinguer le cas d’une caution qui occupe une fonction au sein d’une personne morale ayant contracté une obligation et le cas d’un actionnaire qui se porte caution pour sa compagnie. Alors que le premier verra sa responsabilité limitée à la durée de ses fonctions, le second engagera sa responsabilité personnelle.[12] Le cautionnement peut-il être reconduit automatiquement? Notons de prime abord que le Code civil du Québec prévoit que le cautionnement « ne s’étend pas au bail reconduit » de manière tacite.[13] Toutefois, plusieurs décisions ont laissé entendre que la caution pouvait demeurer liée par un bail renouvelé dans certaines circonstances. Ainsi, lorsqu’une option de renouvellement fait partie d’un bail que la caution a accepté de cautionner sans réserve ni limitation, le cautionnement garantit les obligations résultant à la fois du premier bail et du bail reconduit, si le locataire décide d’exercer son option de renouvellement.[14] Cette approche ne fait toutefois pas l’unanimité. Notamment, dans l’affaire Ferland, la Cour supérieure a indiqué que le cautionnement ne pouvait s’étendre ni au bail reconduit tacitement ni à celui renouvelé par l’effet d’une clause contractuelle.[15] Pour éviter l’incertitude, il sera important pour le bailleur d’être clair sur ce point dans la rédaction de clauses de cautionnement dans un bail, en stipulant le cas échéant que la caution assume les obligations du locataire pendant la durée du bail et pour toute période additionnelle de renouvellement.[16] Par ailleurs, le Code civil du Québec prévoit que le bailleur est tenu à une obligation de renseignement. Bien que les effets de cette obligation soient encore sujets à débat, le courant jurisprudentiel majoritaire veut que la caution soit libérée lorsque le bailleur omet de l’informer au sujet du renouvellement ou de la reconduction du bail, et ce même si le cautionnement prévoit une clause de responsabilité pour tout renouvellement ou reconduction (particulièrement lorsqu’il s’agit d’un amendement à la durée du bail auquel la caution n’est pas intervenue).[17] Vous êtes bailleur? Vous êtes locataire? Vous êtes caution? Un bailleur pourrait vouloir une sûreté sur les équipements et les meubles qui garnissent les lieux loués du locataire afin de les prendre en paiement en cas de défaut de la part du locataire aux termes du bail. On parle alors d’une « hypothèque mobilière sans dépossession ». Cette hypothèque peut être constituée dans le bail même ou dans un acte séparé. En tel cas, il est toutefois essentiel qu’elle soit inscrite au Registre des droits personnels et réels mobiliers. Comme toute autre hypothèque, la priorité de son rang dépend de la date de son inscription. Les biens hypothéqués seront généralement décrits à l’hypothèque comme étant « l’universalité des meubles meublants et effets mobiliers présents et futurs appartenant au locataire et situés dans les lieux loués » et faisant partie des catégories qui seront énumérées (par exemple : l’outillage, l’ameublement de bureau, le matériel informatique, le matériel promotionnel et d’emballage, les comptoirs, montres et dispositifs d’éclairage). Il serait toutefois possible d’étendre cette hypothèque à des biens qui ne sont pas situés dans les lieux loués.[22] Une hypothèque mobilière sur les meubles qui garnissent les lieux loués a parfois une utilité très limitée pour le bailleur. D’une part, la Cour d’appel a jugé qu’en cas de faillite du locataire, le bailleur ne pouvait pas faire valoir une telle hypothèque conventionnelle sur les biens du locataire, puisque le bailleur devait obligatoirement être colloqué au rang prévu par l’article 136(1)f) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité à titre de créancier privilégié (il a été établi que l’ordre de collation prévue par cette loi fédérale prime sur l’ordre de collocation prévu au Code civil du Québec). [23] À ce titre, le bailleur peut réclamer des arriérés de loyer pour une période de trois mois précédant la faillite. D’autre part, la valeur des montants qu’un bailleur est en mesure d’obtenir pour les biens hypothéqués est souvent très limitée, notamment si le créancier institutionnel du locataire a préséance sur les biens du locataire à titre de créancier de premier rang, et surtout dans un contexte de liquidation forcée (sans compter les coûts nécessaires à l’exercice d’un recours hypothécaire).[24] Vous êtes bailleur? Enfin, à titre de dernier conseil pour les bailleurs, vous devriez inclure dans le bail une clause de loyer par anticipation prévoyant expressément le droit, en cas de défaut du locataire, de réclamer une somme correspondant à au plus trois mois de loyer. Cette clause aura plein effet même en cas de faillite. À la lumière de ce qui précède, nous recommandons tant aux bailleurs qu’aux locataires de se faire conseiller par un avocat expérimenté pour bien comprendre les enjeux liés aux sûretés en matière de louage commercial. Communiquez dès aujourd’hui avec nous pour être accompagnés dans la négociation de votre prochain bail! *** Merci à Charles Moreau, étudiant en droit, pour son aide dans la réalisation de ce bulletin.
La lettre de crédit ou de garantie
Le cautionnement
L’hypothèque mobilière
Vous êtes locataire?
[1] Georges F. S
[2] 9176-2609 Québec inc. c. Aventures en excellence inc., 2021 QCCS 81.
[3] Restaurant Ocean Drive Inc. (Syndic de), [1998] R.J.Q. 30.
[4] Expleo Global inc. (Syndic d’), (C.S., 2003-03-21), SOQUIJ AZ-50167942.
[5] Article 2665 C.c.Q.; René GAUTHIER, « Chapitre IV – Les sûretés relatives aux baux », dans Collection de droit 2020-2021, École du Barreau, vol. 6, Obligations et contrats, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2020, p. 329.
[6] R. GAUTHIER, préc., note 5, p. 330.
[7] Denys-Claude LAMONTAGNE et Bernard LAROCHELLE, Droit spécialisé des contrats, vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, par. 671.
[8] Id.
[9] Article 1873 C.c.Q.; Jacques DESLAURIERS, Vente, louage, contrats d’entreprises ou de service, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2013, par. 1422.
[10] R. GAUTHIER, préc., note 5, p. 330.
[11] GSI Environnement inc. c. 2641-1363 Québec inc., 2011 QCCQ 4958.
[12] Rousseau c. Équipements LS inc., 2013 QCCQ 6458; Vincent KARIM, Le cautionnement personnel en droit québécois, Montréal, Wilson & Lafleur, 2019.
[13] Article 1881 C.c.Q.
[14] Jacques DESLAURIERS, Vente, louage, contrats d’entreprises ou de service, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2013, par. 1451; Biase c. Léger, (C.Q., 1997-09-11), SOQUIJ AZ-50188241; Elysian Inc. c. Société de gestion SGL Inc., [1986] R.D.I. 10.
[15] Ferland c. Cuirs Pako inc., [1995] R.L. 360; voir aussi : 93877 Canada inc. c. Drescher, (C.S., 1994-01-26), [1995]; Benard c. 131658 Canada inc., (C.Q., 1996-09-30), J.E. 96-2102, R.L. 157.
[16] V. KARIM, préc., note 13, p. 122; D.-C. LAMONTAGNE et B. LAROCHELLE, préc., note 8, par. 668.
[17] V. KARIM, préc., note 13, p. 117-118.
[18] Jacques DESLAURIERS et Aurore BENADIBA, Les sûretés au Québec, 2e éd., Montréal, Wilson et Lafleur, 2018, par. 2488: « Le bénéfice de division est le droit accordé aux différentes cautions d’un même débiteur pour une même dette, qui n’ont pas renoncé à ce bénéfice, d’exiger que le créancier divise son action et la réduise à la part et portion de chaque caution (art. 2349 C.c.Q.) sauf en certaines circonstances. »
[19] Id., par. 2473 : « Le bénéfice de discussion est le droit de la caution poursuivie, qui ne s’est pas engagée solidairement avec le débiteur principal ou qui n’a pas renoncé expressément à ce bénéfice, d’exiger que le créancier exécute d’abord l’obligation contre les biens du débiteur principal. »
[20] Article 2352 C.c.Q.
[21] R. GAUTHIER, préc., note 5, p. 329.
[22] Denise PRATTE, « Chapitre I – Les principales règles relatives aux priorités et aux hypothèques » dans Collection de droit 2020-2021, École du Barreau, vol. 7, Contrats, sûretés, publicité des droits et droit international privé, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020, p. 153; J. DESLAURIERS et A. BENADIBA, préc., note 19, par. 1074 et 1247-1256.
[23] Restaurant Ocean Drive Inc. (Syndic de), préc., note 3.
[24] R. GAUTHIER, préc., note 5, p. 329.
[25] G. F. SAYEGH, préc., note 1, par. 2.4.2.1.