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Bulletin

Réforme imminente de la Charte de la langue française (loi 101)

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Bulletin - Projet de loi n° 96

Le 13 mai 2021, le Ministre responsable de la Langue française Simon Jolin-Barrette a déposé devant l’Assemblée nationale du Québec le Projet de loi n° 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (le « Projet de loi »). Ce Projet de loi de 100 pages vise à « affirmer que la seule langue officielle du Québec est le français »[1]. Plusieurs lois sont visées par les amendements proposés, incluant la Loi constitutionnelle de 1867, la Charte des droits et libertés de la personne, le Code civil du Québec mais surtout, la Charte de la langue française, communément appelée la loi 101 (la « Charte »).

Le resserrement à venir des règles encadrant l’usage de la langue de Molière aura de fortes répercussions sur les organisations ayant des activités ou des cocontractants au Québec. Afin de mieux appréhender et vous préparer aux nombreuses nouvelles obligations et restrictions linguistiques, nous vous invitons à lire le présent sommaire des principales modifications proposées dans le Projet de loi, mais également à :

D’ici là, voici un aperçu des modifications proposées par le Projet de loi 96 et leurs conséquences sur les organisations impactant de près ou de loin le Québec :

Francisation des entreprises de 25 employés et plus

  • Dès qu’une entreprise a 25 employés ou plus au Québec, elle devra s’inscrire auprès de l’Office de la langue française du Québec (l’« Office ») et faire un rapport de la situation du français au sein de son organisation[2]. Actuellement, le seuil se situe à 50 employés et plus[3].

    • À la suite de la réception du rapport, l’Office peut ordonner la création d’un comité de francisation au sein d’une telle entreprise s’il constate que l’utilisation du français n’est pas généralisée à tous les niveaux de l’organisation[4].
    • L’entreprise inscrite auprès de l’Office devra être représentée auprès de celui-ci par un membre de sa direction désigné et, le cas échéant, par le représentant désigné par le comité de francisation[5].
  • Le gouvernement du Québec, ses ministères, organismes publics et parapublics, services de santé et autres organisations rattachées à l’administration publique québécoise (collectivement, l’ « Administration »)[6] ne pourront plus contracter avec, ni octroyer de subvention, à l’entreprise qui ne possède pas d’attestation d’inscription à l’Office, n’a pas fourni, dans le délai prescrit, l’analyse de sa situation linguistique, ne possède pas d’attestation d’application de programme de francisation ni de certificat de francisation ou si son nom figure sur la liste des entreprises qui se sont vu refuser, suspendre ou révoquer une attestation de conformité linguistique[7]. Une telle liste sera désormais tenue par l’Office[8].

Affichage public

  • Actuellement, le français doit figurer dans l’affichage public et la publicité commerciale de façon « nettement prédominante ». Toutefois, l’obligation pour les marques de commerce est moindre : il est permis qu'une marque de commerce soit affichée dans une autre langue que le français (sauf dans le cas où une version française en a été déposée au registre fédéral), dans la mesure où le français maintient une présence « suffisante »[9]. Ce critère de suffisance est généralement satisfait par l’ajout d’un générique ou d’un descriptif au nom du commerce (par exemple, « les chaussures Cheap & Strong »)[10].
  • Il ne sera désormais plus suffisant d’avoir une marque de commerce déposée en anglais seulement, ou qu’il y ait présence suffisante du français dans l’affichage public. Il faudra que le texte en français soit généralement deux fois plus grand ou autrement que l’impact visuel du texte rédigé en français soit beaucoup plus important[11]. Également, si la marque affichée à l’intérieur du local est visible de l’extérieur, cette nouvelle obligation demeurera applicable.

Interactions avec les clients

  • L’entreprise qui offre à un consommateur ou à un public autre que des consommateurs des biens ou des services devra désormais l’informer et le servir en français[12]. Les clients ou autres personnes faisant l’objet d’un manquement à cette obligation pourra notamment demander une mesure injonctive dans la plupart des cas, ou tout simplement porter plainte à l’Office[13].
  • Quel qu’en soit le support, les catalogues, les brochures, les dépliants, les annuaires commerciaux, les bons de commande et toute autre publication ou document de même nature commerciale qui sont disponibles au public devront être rédigés en français[14].

    • Cette obligation élargie engloberait donc désormais sans ambiguïté les sites Internet et autres plateformes numériques visant à offrir des biens ou services au Québec.
    • N’est toutefois par réglée l’épineuse question de l’application extraterritoriale de cette obligation aux entreprises de commerce électronique sans établissement au Québec.

Obligations de l’employeur

  • La loi ajoute plusieurs documents qui doivent être rédigés en français : offre de mutation, contrat individuel de travail écrit, communication à un travailleur en particulier ou une association de travailleur et communication suivant la fin du lien d’emploi[15].
  • Les documents suivants doivent être disponibles en français : formulaires de demande d’emploi, documents ayant trait aux conditions de travail, documents de formation produits à l’intention de son personnel[16].
  • Pour qu’un employeur puisse exiger la connaissance d’une autre langue que le français dans le cadre de l’embauche, il aura le fardeau de démontrer notamment qu’il:

    • a évalué ses besoins linguistiques réels associés aux tâches à accomplir dans le cadre d’un poste en particulier;
    • s’est assuré que les connaissances linguistiques déjà exigées des autres membres du personnel étaient insuffisantes pour l’accomplissement de ces tâches; et
    • a restreint le plus possible le nombre de postes auxquels se rattachent des tâches dont l’accomplissement nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une autre langue que le français[17].

Langue des contrats et vices de forme

  • Les parties aux contrats d’adhésion ou contrats de même nature (contrats-type non négociés tels que les conditions d’utilisation en ligne) ainsi qu’aux contrats de consommation[18] devront recevoir la version française avant d’accepter de contracter dans une autre langue que le français. Autrement, le consentement ou l’acceptation du contrat ne sera pas valide[19]

    • Il est actuellement possible de contourner cette exigence en insérant une clause à l’effet qu’il est de la volonté expresse des parties que le contrat soit rédigé dans une autre langue que le français. Cette stipulation usuelle ne sera désormais plus suffisante[20].
    • Le contrat d’adhésion qui a été conclu dans une autre langue que le français, sans qu’une version française n’ait été rendue disponible peut être annulé à la demande de l’adhérent sans avoir à prouver un préjudice, mais le cocontractant peut démontrer l’absence d’un tel préjudice pour éviter la nullité. Alternativement, l’adhérent peut réclamer des dommages-intérêts[21].
  • Il y aura également une présomption à l’effet que l’adhérent n’a pas pris connaissance du renvoi vers une clause externe ou d’une clause rédigée dans une autre langue que le français[22].

Interactions avec le Gouvernement

  • Actuellement, les contrats avec l’Administration sont rédigés en français, sauf les contrats avec des partenaires/fournisseurs étrangers où le contrat peut être dans une autre langue[23]. Désormais, même lorsque l’Administration peut contracter dans une autre langue que le français (par exemple, avec les personnes physiques hors-Québec ou les personnes morales non immatriculée au Québec dont le siège est situé dans un pays non francophone, notamment), une version française doit être mise à la disposition des membres de son personnel[24].
  • Toutes les demandes transmises par écrit à l’Administration, notamment pour obtenir un permis, une autre autorisation de même nature, une subvention ou une autre forme d’aide financière devront désormais être rédigées exclusivement en français[25].
  • Tous les services rendus à l’Administration par une personne morale ou une entreprise doivent l’être en français. Lorsque les services ainsi obtenus sont destinés au public, l’Administration doit requérir de son co-contractant qu’il se conforme aux obligations issues de la Charte[26].

Exercice des professions, actes de procédure devant les tribunaux et autres

  • Outre l’exigence actuelle d’une connaissance adéquate du français au moment de la délivrance de son permis d’exercice par un Ordre professionnel, le professionnel devra maintenir une connaissance du français appropriée à l’exercice de sa profession. S’ajoute également l’interdiction pour un professionnel, dans l’exercice de ses activités professionnelles, de refuser de fournir une prestation pour le seul motif qu’on lui demande d’utiliser le français dans l’exécution de cette prestation[27].
  • Une traduction en français certifiée devra être jointe à tout acte de procédure rédigé en anglais émanant d’une entreprise ou autre personne morale partie à une poursuites judiciaire intentée au Québec, à ses frais[28].
  • Les sûretés (comme les hypothèques) devront être inscrites (via des formulaires d’inscription dans les registres publics) et réalisées (notamment par le biais d’avis hypothécaires) en français[29].

Dénonciation et sanctions à la hausse

  • Toute personne pourra dénoncer une contravention à la Charte amendée et ce, malgré des obligations de confidentialité pouvant la lier à son employeur, incluant le secret professionnel, sauf celui liant l’avocat ou le notaire à son client[30].
  • Les amendes pour les personnes morales qui contreviennent à la Charte amendée ont été augmentées de la manière suivante[31]:

 

Charte

Charte amendée

Première infraction :

1 500 $ à 20 000 $

3 000 $ à 30 000 $

Deuxième infraction :

3 000 $ à 40 000 $

 

6 000 $ à 60 000 $

Infraction subséquente :

9000 $ à 90 000 $.

 

  • Les administrateurs seront désormais présumés avoir commis l’infraction à la Charte amendée, à moins de faire preuve de diligence raisonnable[32], et pourront donc engager leur responsabilité personnelle. Les montants des amendes pour les administrateurs sont du double de celles applicables aux personnes physiques, ce qui équivaut aux sanctions suivantes[33]:

Première infraction :

1 400 $ à 14 000 $

Deuxième infraction :

2 800 $ à 28 000 $

Infraction subséquente :

4 200 $ à 42 000 $

 

  • De plus, lorsqu’une infraction à la Charte amendée se poursuit durant plus d’un jour, elle peut constituer une infraction distincte pour chaque jour pendant cette durée[34].
  • Enfin, une contravention répétée à la Charte amendée pourra entraîner la suspension ou la révocation d’un permis ou d’une autre autorisation délivré par l’Administration[35].


[1]        Projet de loi 96, notes explicatives.

[2]       Charte telle qu’amendée par le Projet de loi 96 (« Charte amendée »), art. 139.

[3]       Charte, art. 139.

[4]       Charte et Charte amendée, art. 140.

[5]       Charte amendée, art. 138.1 et 139.1.

[6]       Voir l’Annexe I de la Charte amendée pour une liste exhaustive des organisations constituant l’« Administration » au sens de ce texte.

[7]       Charte amendée, art. 152.1.

[8]       Id., art. 152.

[10]     Charte, art. 58.

[11]     Règlement précisant la portée de l’expression « de façon nettement prédominante » pour l’application de la Charte de la langue française, art. 2.

[12]     Charte amendée, art. 50.2.

[13]     Id., 204.16.

[14]     Id., art. 52.

[15]     Id., art. 41.

[16]     Id., art. 41.

[17]     Id., art. 46.1.

[18]     Projet de loi 96, art. 151.

[19]     Charte amendée, art. 55.

[20]     Charte, art. 55.

[21]     Charte amendée, art. 204.20.

[22]     Id.

[23]     Charte, art. 21.

[24]     Charte amendée, art. 21.4.

[25]     Id., art. 21.9.

[26]     Id., art. 21.11.

[27]     Id., art. 35.1.

[28]     Id., art. 9.

[29]     Projet de loi 96, art. 125 et 126.

[30]     Charte amendée, art. 165.22.

[31]     Id., art. 205 et 206.

[32]     Id., 208.4.2.

[33]     Id., art. 207.

[34]     Id., art. 208.

[35]     Id., art. 204.27.

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