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Clauses de limitation de responsabilité : la Cour suprême remet les pendules à l’heure

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Bulletin Litiges et résolution de conflits

La Cour suprême du Canada réaffirme le plein effet des clauses de limitation de responsabilité dans les contrats de gré à gré. Cette conclusion ancrée dans le principe de la liberté contractuelle réitère par le fait même l’importance de rédiger ce type de clause avec soin.

Introduction

Dans l’arrêt 6362222 Canada inc. c. Prelco inc.[1] rendu le 15 octobre 2021, la Cour suprême du Canada confirme à l’unanimité la validité d’une clause de limitation de responsabilité contenue dans un contrat de gré à gré à l’endroit d’un manquement à une obligation essentielle. Le plus haut tribunal du pays est ainsi venu circonscrire l’application de la théorie du manquement à une obligation essentielle selon laquelle une partie au contrat peut se soustraire à l’application d’une clause de limitation de responsabilité si celle-ci vise l’essence même du contrat.

Les faits

L’appelante 6362222 Canada inc. (« Créatech ») est une firme spécialisée en amélioration de la performance opérationnelle et en implantation de système de gestion d’entreprise. L’intimée Prelco inc. (« Prelco ») est une entreprise spécialisée dans la transformation du verre pour différents usages architecturaux, industriels et commerciaux. En avril 2008, Prelco et Créatech conviennent d’une entente pour que cette dernière implante un système de gestion intégré au sein de Prelco. Cette entente prévoyait une clause limitant notamment les droits de recours de Prelco « au montant des honoraires payés [pour compenser les] services déficients » rendus dans le cadre de l’implantation du système de gestion intégré, le cas échéant.

La relation d’affaires entre Prelco et Créatech se termine au printemps 2010 suivant les nombreuses difficultés vécues lors de l’implantation dudit système. Prelco met un terme à leur contrat et confie à Irisco, une autre firme, la tâche de compléter la mise en place d’un système efficace.

Prelco entreprend une action en dommages-intérêts contre Créatech et lui réclame plus de 6 millions de dollars en remboursement du trop-payé, des frais engagés pour rétablir le système, des réclamations de clients ainsi que des pertes de profits.

Jugements antérieurs

La Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec ont conclu en faveur de Prelco au motif que la clause de limitation de responsabilité ne pouvait trouver application en l’espèce. Selon celles-ci, l’implantation d’un système de gestion intégré constitue l’objet principal du contrat, de sorte que la théorie du manquement à une obligation essentielle devait trouver application et faire échec à cette clause.

Les motifs de la Cour suprême 

La reconnaissance des clauses de limitation de responsabilité en droit civil québécois

D’emblée, la Cour réaffirme « [l]a validité de principe des clauses de non-responsabilité ». La Cour rappelle à cet égard que leur validité prend assise dans le principe d’autonomie de la volonté des parties dont le corollaire est la liberté contractuelle.

La Cour réitère que les clauses de limitation de responsabilité demeurent assujetties aux limites prévues par les règles propres à certains contrats nommés de même que par les articles d’ordre public 1474 et 1475 du Code civil du Québec. Rappelons à cet égard que l’article 1474 du Code civil du Québec empêche quiconque d’exclure ou de limiter sa responsabilité « pour le préjudice matériel causé à autrui par une faute intentionnelle ou une faute lourde », ou encore « pour le préjudice corporel ou moral causé à autrui ». En l’occurrence, la Cour estime qu’il ne peut être fait abstraction du choix du législateur d’écarter la notion d’obligation essentielle parmi ces contraintes issues de l’ordre public formel de direction.

Selon la Cour, le fait de reconnaître la validité d’une clause de non-responsabilité contenue « dans un contrat de gré à gré, négocié entre deux personnes morales avisées » se conçoit d’autant plus que l’insertion d’une telle clause peut traduire la volonté des parties de prévoir un partage de risques. En effet, la Cour souligne qu’une clause limitative de responsabilité est souvent consentie en contrepartie d’un « prix avantageux ». La Cour reconnaît ainsi une « utilité commerciale et sociale » aux clauses de non-responsabilité tout en acceptant qu’il puisse s’agir d’un mécanisme de gestion des risques employé en présence de parties sophistiquées.

La théorie du manquement à une obligation essentielle

Interprétant l’intention du législateur, la Cour rejette « l’existence d’une règle d’ordre public d’application générale qui neutraliserait une clause de non-responsabilité portant sur une obligation essentielle » et renverse ainsi le courant créé par la Cour d’appel dans l’arrêt Samen[2]. En matière de contrats de gré à gré, les principales limites à la validité des clauses de non-responsabilité demeurent donc celles expressément prévues par le législateur dans le Code civil du Québec.

À la lecture des articles 1379 et 1384 du Code civil du Québec, qui régissent respectivement les contrats d’adhésion et de consommation, la Cour conclut à l’existence de la théorie du manquement à une obligation essentielle en droit civil québécois, mais elle insiste sur la volonté du législateur de limiter son application à « ces deux types de rapports contractuels » marqués par un déséquilibre des parties.

Puisque la Cour d’appel s’appuie aussi sur la réciprocité des obligations et la notion de la cause de l’obligation pour justifier l’application de la théorie du manquement à une obligation essentielle, la Cour revient sur les deux courants doctrinaux qui s’affrontent en la matière. Dans les circonstances, la Cour conclut qu’il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle l’obligation est dénuée de cause objective, de sorte qu’elle juge à propos d’éviter de se prononcer sur ce débat doctrinal dans l’abstrait.

En somme, la Cour conclut à la validité de la clause de non-responsabilité en l’instance parce qu’elle n’est visée par aucune limite d’ordre public codifiée par le législateur.

Commentaires et conclusion

Cet arrêt aura de quoi réjouir les adeptes de la liberté contractuelle. Quoique la Cour consacre la validité des clauses de limitation de responsabilité dans les contrats de gré à gré, il convient de retenir que ces clauses demeurent assujetties à certaines limites législatives, dont celles relatives à la faute lourde ou intentionnelle (art. 1474, al. 1 C.c.Q.) et au préjudice moral et corporel (art. 1474, al. 2 C.c.Q.). Outre ces tempéraments, on peut notamment penser à la responsabilité du fabricant, du distributeur et du vendeur professionnel (art. 1733 C.c.Q.), aux contrats de louage en matière d’habitation (art. 1863, 1893 et 1900 al. 1 C.c.Q), de vente (art. 1732 et 1733 C.c.Q.), de transport (art. 2070 C.c.Q.), de travail (art. 2092 C.c.Q.), de dépôt hôtelier (art. 2298 C.c.Q.) et de consommation (art. 10 de la Loi sur la protection du consommateur). Rappelons aussi que les Codes de déontologie des différents ordres professionnels au Québec peuvent limiter l’application de ces clauses.

À la lumière de ce qui précède, l’arrêt Prelco confirme la possibilité de recourir à des clauses de limitation de responsabilité pour les parties souhaitant gérer leurs risques contractuels. Néanmoins, la prudence demeure de mise compte tenu des limites établies par les dispositions d’ordre public mentionnées précédemment.



[1]              6362222 Canada inc. c. Prelco inc., 2021 CSC 39.

[2]              Samen Investments Inc. c. Monit Management Ltd., 2014 QCCA 826.

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Auteurs

  • Mathieu Leblanc-Gagnon, Associé | Construction, Québec, QC, +1 418 640 2036, mleblancgagnon@fasken.com
  • Maxime-Arnaud Keable, Associé | Litige commercial, Québec, QC, +1 418 640 2013, mkeable@fasken.com
  • Camila Saïdi, Avocate | Litiges et résolution de conflits, Québec, QC, +1 418 640 2076, csaidi@fasken.com

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