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Le projet de loi 96 et les marques de commerce : l’emballage et l’étiquetage de produits

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Bulletin propriété intellectuelle

Le 24 mai 2022, le gouvernement du Québec a adopté le projet de loi 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (la « Loi »), qui modifie la Charte de la langue française (la « Charte ») de plusieurs façons. Les modifications apportées par la Loi auront une incidence considérable sur la façon dont les entreprises utilisent les marques de commerce sur l’emballage, l’étiquetage, l’affichage public et la publicité commerciale. Le présent bulletin traite des effets du projet de loi 96 sur l’emballage et l’étiquetage des produits et de la meilleure façon de se conformer aux nouvelles dispositions. Nous traitons des effets du projet de loi 96 sur l’affichage public et la publicité commerciale dans notre bulletin complémentaire qui se trouve ici.

Modifications relatives à l’emballage et à l’étiquetage des produits

Avant l’adoption du projet de loi 96, il était possible d’utiliser au Québec une marque de commerce « reconnue » dans une langue autre que le français sur un emballage ou une étiquette de produit sans que celle-ci soit traduite en français, à condition qu’une version française de cette marque de commerce ne soit pas enregistrée [1]. L’expression « marque de commerce reconnue » a été interprétée comme incluant à la fois les marques de commerce enregistrées et non enregistrées [2].

Le projet de loi 96 réduit grandement la portée de cette exception [3]. Premièrement, seules les marques de commerce enregistrées entrent dans le champ d’application de l’exception. Pour qu’une marque de commerce figure sur un emballage ou une étiquette de produit sans traduction française (avec au moins au tant de visibilité que dans l’autre langue), elle devra être enregistrée. Il est important de garder à l’esprit que cette disposition touche non seulement les marques de commerce en anglais, mais aussi toute marque dans une langue autre que le français. Par conséquent, une marque de commerce composée de mots en langues étrangères pourra également être touchée par le projet de loi 96. L’Office québécois de la langue française (l’« OQLF ») a même affirmé dans le passé, dans un tout autre contexte, qu’une marque de commerce inventée qui comprend un élément de langue étrangère peut être considérée comme étant « dans une langue autre que le français ».

Deuxièmement, la marque de commerce enregistrée en question ne doit pas avoir une version française correspondante qui « se trouve » au registre canadien. Cette disposition pourrait être interprétée comme englobant toute marque de commerce qui figure au registre, que celle-ci soit enregistrée ou non, ce qui réduirait encore la portée de l’exception modifiée. En effet, ce qui est considéré comme une « version correspondante en français » est maintenant élargi.

Troisièmement, même si une marque de commerce dans une langue autre que le français est enregistrée, si elle est partiellement composée d’un terme générique ou descriptif, ce terme doit néanmoins figurer en français sur l’emballage ou l’étiquette du produit. Il reste à voir si cette traduction en français devra être au moins aussi visible que le terme correspondant contenu dans la marque.

Concrètement, quel sera l’effet de ces modifications sur les droits des titulaires de marques de commerce au Québec? À titre d’exemple, l’utilisation de la marque fictive BLOOM, en lien avec des stylos, serait touchée de la manière suivante :

  • Si la marque de commerce BLOOM n’est pas encore enregistrée elle devra être accompagnée d’une traduction française qui devra figurer sur l’emballage ou l’étiquette de produit avec une visibilité au moins équivalente.
  • Si la marque de commerce BLOOM est enregistrée en anglais seulement, elle pourra figurer sur l’emballage ou l’étiquette de produit sans traduction française correspondante (« FLORAISON »).
  • Si la marque de commerce BLOOM est enregistrée en anglais et qu’une version française de la marque de commerce (p. ex., FLORAISON) est également enregistrée ou fait l’objet d’une demande, alors la version française FLORAISON devra également figurer sur l’emballage ou l’étiquette du produit de façon avec une visibilité au moins équivalente.

Toutefois, si la marque de commerce enregistrée fictive était plutôt BLOOM PRECISION PEN (utilisée en association avec des stylos), le terme « precision pen » serait probablement considéré comme descriptif. En conséquence, l’utilisation de la marque BLOOM PRECISION PEN serait ainsi touchée (en supposant qu’une version française de la marque de commerce ne se trouve pas dans le registre) :

  • BLOOM PRECISION PEN pourrait figurer sur l’emballage ou l’étiquette du produit exclusivement en anglais, mais une version française du terme descriptif « precision pen » (p. ex., « stylo de précision ») devrait également figurer sur l’emballage ou l’étiquette possiblement de façon au moins équivalente que les mots « precision pen ».

Il reste à voir comment l’OQLF mettra en œuvre ces nouvelles dispositions dans la pratique, d’autant plus que les notions telles que « descriptif » et « générique » à des fins de marques de commerce relèvent de la compétence fédérale en vertu de la Loi sur les marques de commerce fédérale.

Comment se conformer au projet de loi 96?

Les modifications relatives à l’emballage et à l’étiquetage des produits entreront en vigueur trois ans après la date de sanction de la Loi, soit trois ans après le 1er juin 2022. Les titulaires de marques de commerce bénéficient donc d’un délai de grâce de trois ans pour se conformer à la Loi. Cela dit, les titulaires de marques de commerce devraient agir rapidement pour déposer des demandes de marques, étant donné que les délais actuels à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada sont tels que les demandes d’enregistrement prennent parfois jusqu’à trois ans, voire plus, pour arriver à l’enregistrement.

Après ce délai de grâce, le titulaire de marque qui utilise une marque non enregistrée (y compris les marques faisant l’objet d’une demande) sur un emballage ou une étiquette de produit exclusivement dans une langue autre que le français s’exposera à des sanctions, y compris des amendes élevées.

En outre, étant donné que la définition de « version correspondante en français » a été modifiée pour inclure toute marque de commerce française qui se trouve dans le registre, qu’elle soit enregistrée ou non, il est recommandé que les titulaires de marques dressent un inventaire de leurs portefeuilles de marques de commerce afin de déterminer s’ils possèdent une version française de certaines marques de commerce dans d’autres langues. Si tel est le cas, la version française devra également figurer sur un emballage ou une étiquette de produit après le délai de grâce de trois ans.

Enfin, même si une marque de commerce est enregistrée dans une langue autre que le français, si elle contient un terme générique ou descriptif dans cette autre langue, ce terme devra apparaître en français à l’expiration du délai de grâce de trois ans. Or, en vertu des lois canadiennes (fédérales) sur l’emballage, le nom commun ou générique d’un produit (ou sa fonction) doit figurer sur l’emballage ou l’étiquette du produit dans les deux langues officielles, c’est-à-dire l’anglais et le français, indépendamment de toute marque de commerce qui peut également figurer sur l’emballage ou l’étiquette. Par contre, le respect de cette exigence fédérale pourrait ne pas être suffisant pour les fins de conformité à la Loi dans la mesure où le terme générique ou descriptif inclus dans la marque de commerce est une qualité ou une caractéristique du produit autre que son nom ou sa fonction. En outre, il reste à voir si la Loi exigera une visibilité du terme français au moins équivalente à celle du terme dans l’autre langue. Les propriétaires de produits devraient donc dresser un inventaire des emballages et étiquettes de leurs produits afin d’assurer la conformité tant avec le régime québécois modifié qu’avec le régime fédéral actuel.

Conclusion

Le projet de loi 96 aura une incidence directe et importante sur la façon dont les marques de commerce peuvent être utilisées sur l’emballage et l’étiquetage des produits. Cela pourrait même inciter certains titulaires de marques de commerce à envisager des contestations constitutionnelles à la Loi sur la base du partage des compétences, puisque les dispositions relatives à l’utilisation des marques de commerce pourraient empiéter sur la compétence fédérale en matière de marques de commerce. Bien qu’il reste à voir comment l’OQLF mettra en application ces nouvelles dispositions, il est impératif pour les titulaires de marques de commerce d’élaborer une solution efficace adaptée à leurs objectifs commerciaux afin de respecter les dispositions législatives pertinentes. Pour obtenir des conseils sur les répercussions du projet de loi 96 sur votre entreprise et votre utilisation des marques de commerce, nous vous invitons à communiquer avec notre équipe chargée des marques de commerce.


[1] Règlement sur la langue du commerce et des affaires, RLRQ c C-11, r 9, art. 7(4). La Loi ne modifie pas le Règlement.

[2] Québec (AG) c. 156158 Canada Inc. (Boulangerie Maxie’s), 2015 QCCA 35.

[3] Charte de la langue française, CQLR c C-11, art. 51.1.

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Auteurs

  • Jean-Philippe Mikus, Associé | Agent de marques de commerce, Montréal, QC, +1 514 397 5176, jpmikus@fasken.com
  • Eliane Ellbogen, Avocate | Agente de marques de commerce, Montréal, QC, +1 514 397 5130, eellbogen@fasken.com
  • Isabelle Kalar, Avocate | Propriété intellectuelle, Montréal, QC, +1 514 397 7528, ikalar@fasken.com

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